— Tu as entendu parler de la nouvelle espèce de fruits ?
— Tu veux parler de ces minuscules mangues contre-saison qu’on a commencé à vendre sur la rue ?
— Ce ne sont pas des mangues contre-saison, ce sont de petites mangues qui n’ont même pas de noyaux que des gens volent dans les cours pour vendre.
— C’est pas des mangues que je parle moi, mais de l’avocat.
— On a mis une nouvelle espèce sur le marché ? Sûrement un avocat importé.
— Non, c’est une espèce tout à fait locale, le « zavoka maron » ! Vrai même tu n’es pas au courant de l’affaire ?
— Ayo tu sais bien que je n’ai le temps d’écouter les radios et de passer ma vie sur internet comme toi. Quelle affaire encore ?
— À cause de ça même que tu es comme un gounga qui n’est au courant de rien !
— Allez right, prend gagné, je ne sais rien et toi tu sais tout. Alors raconte-moi l’affaire de l’avocat.
— Tu sais au moins que la police avait arrêté un avocat et sa compagne soupçonnés d’être dans le trafic de drogue ?
— Comment j’aurais pu ne pas savoir avec tout le tapage que les avocats, les Avengers ont fait, surtout après la déclaration du Premier ministre et les vidéos ?
— Tu te rappelles alors, après son arrestation le Premier ministre avait dit que cet avocat était dans son radar…
— C’est comme ça qu’on a appris que Pravind avait un radar ! Après la cour a fait libérer l’avocat parce que la police n’avait pas de preuves qu’il était dans la drogue.
— Et c’est juste après que des vidéos intimes de l’avocat et de sa pièce, qui étaient sur un téléphone, ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux.
— Et le téléphone était sous la garde de la police, comme tous les avocats qui étaient dans le panel pour défendre leur collègue l’ont répété sur toutes les radios ! Mais tout ça, moi qui ne sais rien, je suis au courant. Pourquoi tu dis « zavoka maron » ?
— Je vais te raconter l’histoire. Comme tu l’as dit toi-même, il y avait plein d’avocats qui ont pris la parole pour défendre leur collègue arrêté par la police. Ils avaient même fait un panel pour le défendre en cour.
— Tout ça je savais…
— Ayo, tu as toujours ta mauvaise manière de couper la parole aux gens ! Laisse-moi finir donc !
— Mais tu répètes le même refrain… on perd du temps.
— Est-ce que tu peux me rendre le service de mettre un cadenas sur ta bouche, juste pour un moment ?! Bon ! Il avait donc tout un panel d’avocats pour défendre son cas. Parmi il y en a un qui est allé le voir pendant qu’il était détenu par la police, est allé en cour, a fait des déclarations à la presse et a même participé à une émission radio.
— Qui c’est, c’est un de ces grands paletots qu’on appelle les ténors du barreau ? Ceux qui font porter les dossiers par leurs assistants ?
— Non !
— C’est un héritier, un fils, un neveu ou un cousin d’un homme de loi connu qui va reprendre le business familial ?
— Non, je te dis. C’est un nouveau venu qu’on a vu intervenir à chaque fois que l’avocat arrêté passait en cour et puis quand il a fait des conférences de presse, quand il a été libéré sous caution.
— S’il était devant-devant comme tu dis, ça veut dire qu’il est un bon avocat, le nouveau venu.
— Écoute, il paraît que les ténors du barreau, qui étaient dans le panel, dont un ancien chef juge, ont été impressionnés par sa connaissance des textes de loi.
— S’il est bon à ce point-là, un des grands « chambers » va sûrement lui proposer un job d’associé.
— On m’a même dit que des états-majors politiques ont envoyé des émissaires pour lui proposer d’intégrer leur parti et qu’on l’a vu dans un récent congrès.
— Il y a une affaire que je ne comprends pas dans ton histoire. Quel est le problème avec ce brillant avocat inconnu qui a impressionné ses seniors qui l’ont intégré dans leur panel ? Pourquoi tu parles de « zavoka maron » ?
— Parce qu’il n’est pas un avocat !
— Kisannla ?
— Cet inconnu qu’on vient de découvrir n’est pas inscrit comme avocat ni auprès de la Bar Association ou de la Cour suprême. Il n’a pas fait des études de droit.
— Tu rigoles ? Tu veux dire que les avocats, dont des ténors du barreau, des magistrats, des policiers et des journalistes ont aidé un non-avocat à se faire passer pour un homme de loi et à intervenir dans une affaire devant la cour ? Tu veux dire qu’il a « couillonné » toutes ces personnes et ces institutions-là ?
— Tu as bien résumé l’affaire. Celui que l’on croyait être un homme de loi brillant est, en fait, un avocat marron.
— Comment c’est possible ? Comment ça a pu arriver ?
— C’est ce que l’enquête de la police va devoir révéler.
— Ayo, la police va être mari contente de pouvoir ouvrir une enquête sur les avocats qui se sont fait embêter.
— Je crois que la police aurait intérêt à garder profil bas dans cette affaire. Parce qu’elle aussi elle a fané en laissant l’avocat marron aller voir en cellule l’avocat qui avait été arrêté pour préparer sa défense. Sans vérifier son identité.
— Je ne sais pas ce qui est plus énorme dans cette affaire : l’audace de l’avocat marron ou la bêtise des hommes de loi, de la police et de la presse mauricienne ? On pourrait facilement faire un film Netflix avec cette histoire !
J.-C.A.