Après la publication la semaine dernière de deux intéressants sondages sur le fait d’être Mauricien, la question est revenue dans l’actualité cette semaine avec le jugement rendu ce vendredi 30 septembre par le full bench de la Cour Suprême. Jugement qui déboute Rezistans ek Alternativ dans leur affirmation que leurs droits civiques et politiques ont été lésés lorsqu’il leur a été interdit de se porter candidats aux élections législatives de 2010 parce qu’ils avaient refusé de décliner leur ethnicité.
Pour rappel, ce parti politique conteste, depuis 2005, le fait que le règlement 12(5) sur les élections générales oblige tout Mauricien voulant être candidat aux élections législatives à déclarer qu’il appartient à une des quatre communautés officiellement définies en 1968. A savoir Hindou, Musulman, Sino-mauricien ou Population générale.
Les recours devant les instances locales ayant échoué, le parti a eu recours au Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies. Qui, le 31 août 2012, a émis un pronouncement affirmant que les droits fondamentaux sous la Constitution des membres de Rezistans ek Alternativ ont été violés quand leurs candidatures aux élections générales de mai 2010 avaient été rejetées. Ce pronouncement disait aussi que le gouvernement mauricien disposait à partir de là d’un délai de 180 jours pour mettre en œuvre les mesures nécessaires pour remédier à cette violation.
Ce délai est passé sans que rien ne soit enclenché.
Jusqu’à ce que, à l’approche des élections législatives de 2014, la question soit remise sur le tapis. C’est alors que le gouvernement décide, pour ce scrutin, d’abroger « temporairement » le règlement 12(5). Permettant ainsi à ceux qui le désirent de ne pas avoir à inscrire de communauté sur leur formulaire de dépôt de candidature. On aurait pu y voir une avancée décisive. Sauf que pour les législatives de 2019, le gouvernement de Pravind Jugnauth prend tout le monde par surprise en décidant, à la veille du dépôt de candidatures, de ne pas prolonger l’abrogation temporaire du règlement 12(5). Entraînant à nouveau le rejet des candidatures de ceux et celles qui refusent de déclarer leur communauté.
Ce vendredi, la Cour Suprême a débouté Rezistans ek Alternativ en affirmant que le règlement 12(5) avait été révoqué par le règlement de 2014, et qu’ils ont failli à mettre en avant quelles dispositions spécifiques de la loi étaient contestées et qualifiées d’anticonstitutionnelles. Le serpent se mord la queue…
So what next ?
A ce stade, il est toujours possible de retourner devant le Privy Council.
En décembre 2011, le Full Bench du Privy Council, saisi par Rezistans ek Alternativ, avait émis un jugement affirmant que cette instance ne dispose pas de la juridiction nécessaire pour statuer sur cette question de rejet de candidatures en 2010. Les Law lords britanniques disaient comprendre que les plaignants voulaient faire ressortir que leurs droits constitutionnels ont été bafoués. Mais que Maurice étant un État souverain, la question devait être résolue localement. En ajoutant cependant que “if the issues cannot be resolved politically, they may be raised before the Judicial Committee in the future.”
Cette porte reste donc ouverte.
L’autre possibilité serait de retourner devant les Nations unies. Certes, les pronouncements de cette instance n’ont pas force de loi. Mais le Premier ministre mauricien a lui-même fustigé récemment les Britanniques qui ne respectaient pas le prononcé des Nations unies affirmant que les Chagos devaient revenir à Maurice. « Le gouvernement britannique avait l’occasion de se placer dans le bon sens de l’histoire », a dit Pravind Jugnauth.
Saisira-t-il, lui, l’occasion de se placer dans le sens de l’histoire indiqué par les Nations unies ?
Les avis, c’est certain, divergent sur la question de la représentation ethnique. Et il est clair qu’un certain nombre de personnes estiment qu’il faut conserver ce système qui a « fait ses preuves » et qui assure à notre pays une forme de stabilité. Mais il est aussi de plus en plus évident qu’il y a un nombre grandissant de personnes qui ne se retrouvent pas dans cette configuration définie en 1968. Est-ce pour autant qu’elles doivent avoir moins voix au chapitre ?
Car il ne s’agit pas ici de remettre en question le droit pour chacun de se considérer et se dire Hindou, Musulman, Sino-mauricien ou Population générale si c’est ce qu’ils désirent. Il s’agit d’assurer que ceux et celles qui ne se retrouvent pas dans cette catégorisation et qui veulent se dire Mauricien-nes, ne soient pas, en raison de cela, privés de certains de leurs droits civiques et politiques. Parce que la réalité est là : aujourd’hui, des personnes qui veulent se déclarer Mauricien-nes sont des citoyens inférieurs en droits dans leur pays. Est-ce normal ? Est-ce acceptable ?
Au cours de ces 54 dernières années, beaucoup de choses ont changé dans le monde. Et les choses changent aussi au niveau de l’identité humaine, chose multiple et mouvante par excellence. Les deux sondages publiés la semaine dernière par Straconsult et Blast Communication montrent clairement l’émergence d’une catégorie de plus en plus importante de personnes (24%) qui choisissent de se définir comme Mauricien-nes ou de mixed race avant d’être d’une communauté ou une autre. Que faisons-nous de cela ?
Aux élections de 2014, où pour la première fois il ne fut pas obligatoire de déclarer sa communauté, plus de la moitié des candidats ont choisi de ne pas le faire. Parmi, le Premier ministre lui-même. Mais ne soyons pas candides : ce choix était directement lié au fait que les membres de la communauté hindoue ne peuvent aspirer aux sièges de best loser, ces fameux 8 sièges qui sont attribués à l’issue du scrutin parmi les « meilleurs perdants » pour assurer un ré-équilibrage communal à l’Assemblée nationale.
Et ne soyons pas non plus hypocrites. S’il est affirmé haut et fort que le système de best-loser est caduque parce qu’il se base sur les chiffres du recensement de 1972, la question de l’appartenance communale ayant été abolie dans le recensement par le gouvernement MMM-PSM en 1982, ces chiffres sont, d’une certaine façon, toujours actualisés. ,
Dans notre article de dimanche dernier intitulé « Honte d’être Mauriciens ? », nous faisions état du fait que le recensement de 2000 avait révélé que les Mauricien-nes avaient choisi de se définir sous… 52 catégories ethniques et religieuses différentes. Mais que cette section avait été « omise » des résultats publiés… Or, il a été porté à notre connaissance cette semaine que dans un article intitulé « Décryptage : aux frontières de la réforme électorale », publié dans Le Mauricien du 28 septembre 2018, le géographe et cartographe Adish Maudho fait ressortir que le Population Census de 2010 effectué par Statistics Mauritius comporte bel et bien ces données. Ainsi, à une question ouverte qui demandait d’indiquer son appartenance religieuse, il en est ressorti une liste de 51 catégories « religieuses » (53 en incluant ceux qui se sont déclarés « sans religion » et ceux pour qui la religion est «not stated ».)
Nous publions ici ce tableau. Parce que l’on sait à quel point la religion est encore largement considérée comme un indicateur de l’appartenance ethnique à Maurice. Et parce que s’il n’y a plus, officiellement, de recensement ethnique, cette question permet, aux états-majors politiques notamment, d’établir le profil communal des diverses circonscriptions. Car les données sont classées par Village Council Area (VCA) et Municipal Council Area (MCA).
Question donc : pourquoi cette question sur l’appartenance religieuse figure-t-elle encore dans le recensement effectué cette année ? Et que vont donner ces résultats, alors que des personnes rapportent que leur souhait de ne pas déclarer de religion n’a pas été respecté ?
Non, décidément, nous n’en avons pas encore fini avec ce débat-là…