Après deux semaines d’absence de la scène publique pour cause de maladie, le leader de l’opposition, Xavier Duval retrouvera mardi prochain le chemin de l’Assemblée nationale. En attendant, dans cet entretien accordé à Week-End, il livre sa lecture des développements survenus cette semaine dans l’affaire SS, qui n’en est qu’à ses débuts, selon lui. Et si Sherry Singh, même s’il lui manque à ce stade les documents comme preuves, lui semble plus crédible, Pravind Jugnauth, lui, semble avoir joué sur les mots, le leader du PMSD estime que « c’est trop facile pour un PM de se cacher sous le manteau de la sécurité nationale pour éviter de venir dire les choses… ».
L’opposition ne restera pas les bras croisés, affirme-t-il, tout en ne souhaitant pas dévoiler la stratégie qui sera adoptée pour pousser le gouvernement à venir dire toute la vérité. D’autant que l’opposition ne croit aucunement que c’est à travers l’enquête policière que toute la vérité éclatera, sachant que « nous avons affaire à une police à la botte du pouvoir ».
Xavier Duval, vous étiez absent à l’Assemblée nationale, mardi dernier et toute la semaine de la scène politique, pour cause de Covid. Juste au milieu de la tempête de la Survey/Sniffing affair. Est-ce une occasion ratée ou un blessing in disguise ?
Il faut dire que dès la semaine d’avant, j’avais déjà commencé à avoir des signes de grippe et ne me sentais pas bien. Je suis quand même venu au Parlement parce que la question était d’importance nationale. Mais une fois que j’ai eu confirmation que j’avais le Covid, j’ai dû me mettre en retrait. Cependant, mon absence n’est pas une occasion ratée car l’affaire Sherry Singh ne fait que commencer et il y aura beaucoup d’autres occasions.
Le speaker, à qui vous avez demandé de partir parce qu’il vous avait illégitimement coupé le micro, lors de votre dernière PnQ, a tout de même dirigé la Chambre pendant votre absence. Quel est votre sentiment ?
Il n’y a pas de speaker pour moi, car le speaker implique une attitude équilibrée, un esprit de fairness, un respect des droits de l’opposition, un respect des Standing Orders… Mais quand on voit ce qui se passe, il n’y a pas de speaker. Il y a M. Phokeer. Et pour moi, M. Phokeer a dépassé la ligne rouge et il ne peut pas présider l’Assemblée nationale un jour de plus. Malheureusement, en tant que minorité au Parlement, nous avons peu de façons de le retirer de ses fonctions. La constitution, les règles du Parlement n’ont pas prévu qu’on aurait eu un speaker à la botte du pouvoir comme M. Phokeer. Et il n’y a pas de moyens pour nous d’agir. Cependant, l’opinion publique a ce pouvoir résiduel pour le changement. Nous avons les élections municipales qui arrivent et cela pourra permettre à la population de s’exprimer. C’est le seul moyen de sanctionner le gouvernement. Ce sera à l’opinion publique, avisée, de donner la claque nécessaire au GM lors des élections municipales.
Quelle est votre opinion sur la possible “tampering with the Safe câble”, maintenant que les deux protagonistes ont donné leur version des faits? Qui dit vrai, qui ment? Quelle est votre opinion sur les actions du PM et les dénonciations de Sherry Singh ?
Sherry Singh a dit beaucoup de choses et ce qu’il dit me semble crédible. Cependant, jusqu’à présent, je ne suis en présence d’aucune preuve, d’aucun document ou quoi que ce soit. Et pour moi, Sherry Singh doit désormais étayer ses dires et prouver ce qu’il avance. Il ne pourra toutefois jamais compter sur la police pour faire éclater la vérité car tous les jours, nous avons des exemples d’une police à la botte du pouvoir et c’est évident qu’avec une police, surtout la CCID, menée par un officier à la retraite qui a été réemployé par nul autre que Pravind Jugnauth lui-même, personnellement, et qui est sous contrat, on n’arrivera jamais à connaître la vérité.
De l’autre côté, pour moi, Pravind Jugnauth semble avoir joué sur les mots. Ceci dit, même s’il parle de sécurité nationale, c’est très simple pour Pravind Jugnauth de dire, nous avons dans l’opposition deux anciens PM, un chef de l’opposition, je vais me permettre de donner à ces personnes les informations qui prouvent que Jugnauth a raison. Mais jusqu’à présent, rien. Ce qui me fait croire qu’en fin de compte, il ne peut pas venir substantiate ses propos. Allons voir maintenant du côté de Sherry Singh ce qu’il viendra prouver. Nous sommes au début de l’affaire. Allons ne pas jump the gun.
Avec l’enquête policière sur SS en cours suite à la déposition du PM, il semblerait qu’il sera difficile d’obtenir de nouvelles informations sur cette affaire de sitôt. Qu’en pensez-vous?
Les motifs de la police dans cette affaire sont très clairs : protéger le pouvoir. Personne ne croit dans la justesse et l’efficacité de la police. Et personne ne croit que l’enquête mènera quelque part. Mais il paraît que les documents existent. Allons voir quels éléments sont disponibles et seront dévoilés. À Maurice, vous savez, il n’y a pas de secret. Tout se sait tôt ou tard. Mais c’est trop facile qu’un PM vienne se cacher sous le manteau de la sécurité nationale pour essayer d’éviter de dire ce qu’il faut dire. Dans les pays démocratiques où la sécurité nationale joue un rôle extrêmement important comme l’Amérique, l’Angleterre ou la France, il existe des instances multipartites qui agissent comme chiens de garde par rapport aux services secrets, l’armée etc. À Maurice, il n’y a pas de structure pour qu’un PM, les services secrets ou la police soient held accountable. Et sous le prétexte de la sécurité nationale, on peut se permettre n’importe quoi. C’est une grosse faille. Il y a des manquements alors que nous savons, par exemple, qu’il y a l’écoute téléphonique et que la NSS d’après les moyens techniques qu’elle a, se permet d’écouter à outrance les opposants du pouvoir. Pour moins que cela, Nixon a perdu son travail à Watergate. Voilà la différence.
Mais l’opposition fera son travail et notre but est de forcer la main au GM de tout dévoiler car il s’agit là de la confidentialité des communications. Il y a une équipe qui est venue qui d’après les dires de l’ex-CEO de MT, avec l’intention de faire un survey sur les données internet, dans le but d’installer des équipements d’écoute et de capture des données informatiques. On ne peut pas se réfugier derrière le manteau de la sécurité nationale pour cacher tout cela. Cela affectera tous les Mauriciens dans leur vie privée ainsi que les entreprises qui sont à Maurice, surtout le secteur offshore dont la base même est la confidentialité. Cela risque d’affecter les ambassades basées à Maurice. Il y a toutes ces questions et le citoyen mauricien a un droit constitutionnel à sa vie privée. La réputation de Maurice est grandement entamée et il faut tout faire pour la rétablir.
Quelles sont les initiatives que vous prendrez en tant que leader de l’opposition pour que la vérité éclate dans cette affaire ?
C’est mon travail en tant que leader de l’opposition, et je suis payé pour cela, de faire toute la lumière sur ce genre de scandale. Et je ferai mon travail pour comprendre exactement ce qui s’est passé. Bien sûr, j’ai besoin d’éléments et je suis en train de confirmer tout ce qui a été dit. Mais pour l’instant, je ne souhaite pas dévoiler ma stratégie.
L’affaire Survey/Sniffing semble avoir réuni l’opposition. Cette union ira-t-elle au-delà de cette conjoncture ?
Nous n’avons jamais caché le souhait que toute l’opposition soit réunie et qu’on fasse bloc pour les élections municipales et générales et il y a toujours eu des contacts réguliers entre le PTr, le PMSD et le MMM à plus haut niveau. Si cette affaire a soudé nos actions et que nous nous concertons davantage, je souhaite qu’on arrive évidemment à cette unification de l’opposition.
Avant de terminer, une députée de l’opposition est pointée du doigt par le GM pour un post qu’elle a mis sur les réseaux sociaux…
Ceux qui la critiquent, ce sont les gens qui n’ont d’autre chose à faire que d’essayer de soulever un certain sentiment communal ou religieux. Il n’y a pas d’autre dessein derrière ces gens qui attaquent Joanna Bérenger ou un autre député issu des rangs de la minorité. Mais toutes ces attentions dirigées sur Joanna Bérenger, c’est un compliment qu’on lui fait parce qu’on pense qu’éventuellement, elle pourrait être un jour une menace pour le pouvoir. Je demanderai moi aux Mauriciens de suivre ce qui se passe en Angleterre où, sur un certain nombre de prétendants au poste de Premier ministre, il y a une majorité d’étrangers, dont parmi une candidate d’origine mauricienne. C’est extrêmement plaisant de voir que l’être humain peut dépasser ses considérations purement ethniques et religieuses. Ce qu’espèrent et recherchent les Anglais, c’est le meilleur PM pour qu’ils puissent prospérer, vivre en paix et en sécurité, pour que les enfants puissent avoir les meilleures opportunités. C’est la personne qui compte et c’est très important. Mais à Maurice, nous sommes encore très loin derrière.
En dehors de l’affaire SS, quel autre sujet d’actualité vous préoccupe ?
Il faut aujourd’hui s’attarder sur le rapport du FMI. Un rapport technique qui confirme en fin de compte que Maurice va dans la mauvaise direction, qui confirme les problèmes que nous avons. Le FMI a été très clair quant à la dette publique et la nécessité de la baisser, la situation à la Banque de Maurice et la nécessité qu’elle se défasse de la MIC, entre autres, mais aussi la valeur de la roupie et les reformes nécessaires pour empêcher l’appauvrissement de la population. Il y a toute une série de choses à faire mais à Maurice, parce qu’on est populiste, on refuse les réformes et on dévalue la roupie pour en même temps faire jouer la money illusion en donnant Rs 1,000 sur les salaires, en pensant que les gens seront obnubilés, alors que les prix ont augmenté deux fois plus. Aujourd’hui, la population est traumatisée quand elle se rend à la station d’essence ou au supermarché. Ceux qui achetaient des cuisses de poulet avant se retrouvent désormais à acheter des pattes de poulet. C’est la réalité de la vie et nous avons face à nous un GM extrêmement maladroit et incompétent, avec une politique de prix incompréhensible. Ils mettent tout cela sur le dos du Covid ou de la guerre en Ukraine, mais en fin de compte, c’est la dépréciation de la roupie. La population n’est pas dupe. Elle saura riposter à ce GM incapable de la protéger.