Ceux et celles qui rêvent d’une participation équitable et du leadership de Mauriciennes dans la vie politique locale peuvent se rendormir. Qu’on dise cela de manière moins abrupte ne changera pas la réalité à laquelle nous sommes confrontés en 2024. La route vers la parité entre les femmes et les hommes en politique, à Maurice, est encore longue, très longue même !
Et ce n’est certainement pas à la veille des élections générales, avec tous les enjeux que celles-ci représentent, que la parité – sujet qui n’a pas la même importance, ou pas du tout, pour tous – sera un élément prioritaire dans la préparation de la liste des candidats. Pour le moment, il ne faut pas se leurrer : la représentativité féminine n’est pas l’objectif à atteindre pour les partis et n’a pas encore fait de convaincus dans la sphère machiste de la politique. Quant à l’électorat – peu loquace parce qu’il n’a pas encore le réflexe des revendications, mais celui du silence pour ne pas s’attirer des critiques, voire des représailles –, il aurait d’autres priorités, plus légitimes, que de se soucier de la place de la femme en politique. Qui corrigera le déséquilibre entre les sexes en politique, et quand ? Visiblement pas celles qui, à chaque 8 mars, se signalent à coup de revendications teintées de frustrations et de nostalgie, avant de retourner à leur routine. Pas celles, non plus, qui à chaque 8 mars également, profitent de la lumière que leur accordent leurs leaders pour mettre à jour un discours dont la finalité est d’encenser ceux-ci et leurs partis. Ou qui sont prêtes à sortir les griffes ou lever le nez lorsqu’arrive une nouvelle adhérente, pour garder leur place. Les discours et les plaidoyers sporadiques ne sont, peut-être, pas vains. Mais il n’est pas sûr qu’ils parviennent aux oreilles de ces hommes et femmes à l’intérieur des machines politiques, capables de changer la donne.
La participation équitable des femmes à la politique et au gouvernement est fondamentale pour instaurer et soutenir la démocratie. Pour être pertinent, le rôle de la femme en politique doit être basé sur ses compétences. À la veille des élections générales, et en l’absence d’un quota prévu par la loi, on ne réglera pas le problème de la sous-représentativité féminine en recrutant des candidates sur d’autres bases que ses aptitudes, sa capacité de leadership et à transformer le pays pour le mieux. Une femme (aussi bien qu’un homme) qui n’a rien dans le ventre, le cœur et le cerveau n’a pas sa place sur une liste de candidats ! Quand on connaît le sexisme dicté par des codes résolument masculins prévalant dans le milieu de la politique, l’on sait très bien que, bien souvent, la nomination d’une femme relève plus de la stratégie que du militantisme volontaire pour l’équité !
À l’heure où la moitié des pays de la planète vote en 2024, le progrès, ou plutôt le retard de Maurice sur la question de la place qu’occupe la femme en politique est, à notre sens, honteux. À ce jour, la République ne compte que 14 femmes parlementaires contre 55 hommes, 5 femmes ministres contre 18 hommes. Selon ONU Femmes, moins de 20 pays ont une femme comme cheffe d’État et “seulement 15 pays ont une femme comme chef de gouvernement. Seulement 6 pays comptent 50% ou plus de femmes au Parlement dans les chambres uniques ou basses : Rwanda (61%), Cuba (56%), Nicaragua (54%), Andorre (50%), Mexique (50%), Nouvelle-Zélande (50%) et Émirats arabes unis (50%).” Cette plateforme des Nations Unies observe même : “Au rythme actuel, il faudra 130 ans pour que la parité dans les décisions politiques du plus haut niveau soit atteinte.”
À noter que sur 345 chefs d’État et de gouvernement dans le monde, une seule se trouve sur le continent africain : Sahle-Work Zewde, Présidente de l’Éthiopie. Ceci étant souligné, on n’ignorera pas le nom de Judith Suminwa, l’actuelle Première ministre de la République démocratique du Congo, première femme à occuper ce poste et nommée le 1er avril 2024 par le Président Félix Tshisekedi Tshilombo. Une nomination qui, malheureusement, n’a pas fait le buzz sur la scène internationale. En France, la gauche (Le Nouveau Front Populaire) s’est enfin mise d’accord sur le nom de Lucie Castets pour le poste de Premier ministre. Une femme à Matignon, ce n’est pas la première fois, mais ces derniers temps, les propositions étaient essentiellement féminines : la Réunionnaise Huguette Bello et Laurence Tubiana.
Plus loin, au Bangladesh, Sheikh Hasina, la Première ministre, n’est certainement pas un exemple inspirant, mais qu’il faudrait quand même citer si on veut rappeler qu’en politique, indépendamment du genre de la personne qui tient le gouvernail, quand le pouvoir monte à la tête, la démocratie perd son soul, son sens… Agée de 76 ans, Sheikh Hasina dirige le Bangladesh depuis 15 années consécutives. Celle qui, à l’instar de ces libérateurs devenus dictateurs comme Robert Mugabe (Zimbabwe) ou encore Fidel Castro (Cuba), ne tolère aucun opposant sur sa route. Même si elle a su accélérer la croissance économique de son pays, aujourd’hui, elle paye le prix fort de sa politique régressive en matière des droits de ses citoyens. C’est toute une jeunesse qui se dresse contre elle à cause des quotas de recrutement dans la fonction publique et qui réclame sa démission. Sous cloche pendant plusieurs jours, Bangladesh a compté ses morts, entre autres des jeunes tombés parce qu’ils voulaient d’un pays plus juste.
En novembre prochain, les yeux du monde seront rivés vers les États-Unis, où les citoyens seront appelés à voter. Si l’actuelle vice-Présidente Kamala Harris a la bénédiction des délégués démocrates, elle se présentera à la présidentielle américaine. L’ancienne procureure générale de Californie (2011-2017) est plus que jamais bien placée pour remplacer le Président Joe Biden, après son retrait, dans la course à la Maison Blanche, non pour son statut de femme, mais par son parcours, sa fermeté quand elle a eu à prendre position (notamment sur l’avortement) et son engagement féroce dans la lutte contre la criminalité. Il ne fait aucun doute que le profil de Mme Harris, d’origine jamaïcaine et indienne, est une carte séduisante pour conquérir les électeurs noirs et de la minorité, y compris les femmes. Et si Kamala Harris remporte la présidentielle, elle aura à poursuivre la politique lancée par Biden et délivrer ce que le Parti démocrate attend d’elle. Mais à 59 ans, la femme qui pourrait diriger les États-Unis et par extension… le monde, a les épaules solides pour être une dirigeante.
Entre temps, pendant que le monde bouge, même à petits pas, la politique mauricienne ne se renouvèle pas. Trop coincée dans une polarisation maladive, elle devient sourde et n’entend plus la voix de ceux et celles qui ont envie de politiques, femmes et hommes, sincères.
Sabrina Quirin