— Alors, ton voyage, ça a été ?
— Comment tu sais que je suis partie ? Comme ça tu veilles mes affaires ?
— Tu crois que j’ai du temps à perdre ? Quelqu’un t’a vue en train d’embarquer à Plaisance et a mis ça sur Facebook… Tu as été pour le travail ?
— Non. Tu sais, j’avais acheté un billet d’avion bien avant le confinement. Je l’ai utilisé pour faire un saut à Rodrigues avant que le billet ne soit périmé.
— Les billets d’avion ne sont pas comme les boîtes de conserve, avec une date de péremption.
— Avec Air Mauritius tu ne sais jamais, toi. Un seul coup ils peuvent dire que le billet n’est plus valide et refuser de te rembourser parce qu’ils n’ont plus d’argent dans la caisse. J’ai préféré utiliser mon billet avant et aller voir ma tante qui vit à Rodrigues maintenant.
— Et comment ça se passe à Rodrigues avec leur nouveau gouvernement ?
— Pareil qu’à Maurice.
— Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
— Quand tu causes avec un membre de l’OPR, il te dit que Rodrigues est devenue une dictature. Quand tu discutes avec un partisan de la coalition au pouvoir, il te dit que le nouveau gouvernement a libéré le pays.
— C’est comme à Maurice même alors, quand ton parti est au pouvoir tout est parfait, quand c’est l’opposition, tout est catastrophique.
— C’est comme ça, je te dis. C’est pourquoi il faut éviter de parler politique à Rodrigues, comme à Maurice aussi d’ailleurs. Personne ne dialogue, et tout le monde pense qu’il a raison !
— Ça même qu’on appelle un dialogue de sourds ça, personne n’écoute personne ! Je croyais que tu étais partie en voyage d’affaires pour ta compagnie, comme avant.
— Ça, c’était le bon temps. On allait à toutes sortes de conférences pour le bureau. On prenait l’avion comme on prenait le bus, je te dis. Ça, c’était le bon temps.
— Vous n’avez pas recommencé comme avant depuis qu’on a rouvert les frontières ?
— Ayo, c’est fini et bien fini ce temps-là ? D’ailleurs, les voyages professionnels, c’est fini. Avec la situation économique qui se détériore, toutes les réunions, toutes les conférences se font par visioconférence.
— Peut-être dans le secteur privé, certainement pas dans le secteur public.
— Pourquoi tu dis ça ?
— Tu n’es pas au courant de la dernière mode chez les ministres et députés du gouvernement ?
— Non, de quelle mode tu es en train de parler ?
— C’est fini maintenant. C’était celle d’aller visiter l’Expo de Dubaï. C’était un virus plus fort que le Covid, je te dis.
— Mais pourquoi ?
— Mais parce qu’avec le Covid et la fermeture des frontières, toutes les missions ministérielles ont été annulées. C’était un gros manque à gagner pour les ministres et les députés, toi.
— Ah bon ?! Kifer ?
— Mais parce dans les missions ministérielles, les billets d’avion sont payés ainsi que l’hôtel et les ministres, députés et fonctionnaires qui partent ont droit à un per diem. Selon les catégories, c’est des dizaines de milliers de roupies par jour que les officiels se mettent dans la poche.
— J’ai entendu dire que dans les missions ministérielles, il y avait des officiels qui prennent l’argent pour payer l’hôtel mais vont habiter chez leurs parents ! C’est vrai ça ?
— Moi aussi j’ai entendu dire que c’est une pratique courante, surtout quand les missions ont lieu en Angleterre et en Europe. Alors, pas besoin de te dire, dès que les frontières ont été ouvertes, ils se sont précipités à l’Expo de Dubaï. Tu connais l’expression ala lekours large ?
— Tu n’es pas en train d’exagérer un peu là ?
— Pas du tout. Ils ont fait la queue pour aller à l’Expo de Dubaï. On ne sait plus combien de délégations il y a eu, en passant par celle du président de la République.
— Combien les membres de ces délégations ont eu comme per diem ? Une fortune sûrement !
— On ne peut pas savoir, parce que le ministre des Finances a refusé de répondre à une question parlementaire là-dessus.
— Comment ça il a refusé de répondre ? Est-ce que les missions ministérielles ne sont pas payées de l’argent des contribuables ?
— Oui, mais il a quand même refusé de répondre.
— Il se fout du monde ce ministre, alors qu’il demande aux Mauriciens de se serrer la ceinture pour faire face à la crise économique, il refuse de donner des informations sur les dépenses du gouvernement !
— Oui, toi. Et ce gouvernement dit qu’il pratique la transparence !
— Alors, on ne va pas savoir combien ces nombreuses missions ministérielles à l’Expo de Dubaï ont coûté au contribuable mauricien ?
— On a pu avoir une idée grâce à une question de la députée travailliste Stéphanie Anquetil qui a questionné la ministre du Genre…
— Kisannla sa ?
— Mais enfin toi, c’est la ministre de la Femme !
— Ah, celle qui met dan zar et se maquille comme une actrice de cinéma-là ?
— Limem sa. On a appris que son billet d’avion avait coûté Rs 190 500, alors que ceux des trois personnes qui l’accompagnaient ont coûté chacun Rs 54 720. Et puis, pour son séjour de deux jours à Dubaï, la ministre a eu un per diem de Rs 131 516.
— Quoi, Rs 131 516 de per diem pour deux jours ?! En pleine crise économique. Et après le gouvernement s’étonne que les Mauriciens descendent dans la rue !
J.-C.A.