Un suspense malsain

Et si on profitait de ce début d’année électorale pour avancer. En commençant par exemple par détendre et alléger nos pratiques politiques et électorales ? Les rendre plus prévisibles et moins soumises aux caprices du prince et moins tributaires des cadeaux empoisonnés de dernière minute. Ce souhait est d’autant plus d’actualité que le Premier ministre, entretenant un suspense malsain, laisse planer le mystère sur la date des prochaines échéances électorales. Oui, il est le seul à décider. Cela n’a rien d’illégal, c’est un fait. Mais en 2024, est-il acceptable et juste que ce soit un homme, seul, qui décide du premier exercice démocratique qui soit, la tenue des consultations populaires ? La réponse est évidemment non.

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On a des systèmes qui se rapprochent du nôtre. La Grande-Bretagne par exemple, où Rishi Sunak veut, lui aussi, jouer la montre, parce que les conservateurs se retrouvent à 20 points derrière les travaillistes dans les dernières mesures de l’humeur de l’électorat et des intentions de vote. On ne sait pas si le Premier ministre britannique bluffe ou s’il fera comme ses prédécesseurs en organisant des élections en mai ou juin, et toujours un jeudi, ou s’il les organisera durant le second semestre 2024 comme il l’a mentionné il y a quelques jours. Une chose est certaine dans son cas, c’est qu’il a bien besoin de temps pour redorer l’image bien écornée des conservateurs, dont la succession au 10, Downing Street, de Boris Johnson à Rishi Sunak en passant par l’éphémère Liz Truss, n’a pas été particulièrement réussie.

Ailleurs, les échéances sont connues bien à l’avance, comme aux États-Unis, où tout est fixé et connu quatre ans auparavant. En France, c’est aussi un calendrier présidentiel très strict. Le prochain rendez-vous est pour avril 2027. C’est presque une année en avance que les dates avaient été fixées pour 2022, les 10 et 24 avril. Le conseil des ministres avait pris une décision en ce sens dès le 31 juillet 2021. Cela n’avait pas paralysé le gouvernement ni ne l’avait-il mis dans un état de fébrilité le poussant à faire de grandes annonces ou à distribuer des bribes à la ronde.

En Inde où l’on partage le même héritage colonial et westministérien, il y a eu des progrès et un affranchissement plus que louable des us et coutumes de la Couronne. Dans la Grande Péninsule, c’est l’équivalent de notre commission électorale, l’Electoral Commission of India, qui fixe la date des élections générales. Est-ce trop demander que de copier l’Inde ne serait-ce en ce qu’il a d’intrinsèquement démocratique ?

On ne sait pas si le Premier ministre estime être dans la même situation que son homologue britannique et qu’il a des retards à rattraper pour essayer de se maintenir au pouvoir, mais il pourrait, dans un sursaut démocratique et une brève et ponctuelle appropriation du costume de l’homme d’Etat, annoncer que son programme comprendrait la mise sur pied d’un Select Committee transpartisan qui se pencherait sur le mode d’organisation des élections et sur la plus fondamentale des questions, le choix de la date du scrutin qui serait laissé à la Commission électorale.

Mais arrêtons de croire au Père Noël, le vrai. Il est déjà passé. Il n’y a rien comme l’histoire pour nous éclairer quant à la propension démocratique des uns et des penchants autocratiques des autres. Le MSM de Pravind Jugnauth est sans doute le seul parti politique post-indépendance à n’avoir jamais proposé un projet ou le plus petit texte qui élargit et consolide la démocratie. Bien au contraire. Il y a eu les renvois successifs des élections municipales, dont les dernières remontent à… 10 ans, une confiscation des administrations rurales, quitte à ce qu’elles explosent comme à Flacq, une mainmise totale et partisane des institutions du pays, des lois du numérique et des radios privées comme l’IBA Act, répressives et restrictives, ou une Financial Crimes Commission qui accapare tous les pouvoirs et une MBC plus indécente et plus propagandiste que jamais.

Chacun a apporté son petit caillou ou sa grande pierre à l’édification d’une démocratie plus poussée et plus moderne. Le gouvernement MMM de 60/0 en 1982 a rendu quasi-impossible le renvoi des élections générales et rétabli les municipales ainsi que les partielles. Il avait aussi introduit une nouvelle MBC Act dont la lettre et l’esprit sont quotidiennement violés.

En 2000, au pouvoir avec le MSM de sir Anerood Jugnauth, le MMM avait aussi choisi une dévolution des pouvoirs à un gouvernement régional à Rodrigues et introduit un Island Council à Agaléga pour un dialogue constant avec la population locale. C’est un gouvernement travailliste qui a fait voter l’Independent Broadcasting Authority Act, mais c’est un gouvernement MSM-MMM qui lui a donné tout son sens en lançant les radios privées. On n’était pas encore à l’ère où la revanche est le programme prioritaire de l’alternance et que tout ce qui avait été fait par un précédent gouvernement était immédiatement jeté par-dessus bord.

Quitte à prendre des masses d’argent des contribuables pour compenser les parties lésées. Après les Rs 20 milliards de la BAI, les Rs 6 milliards de Betamax, voici les presque Rs 2 milliards de Patel Engineering suivant une décision arbitrale prononcée en toute fin de 2023. Le promoteur d’un projet aux Salines avait vu son contrat résilié en février 2015 par le gouvernement MSM, un mois seulement après son installation à la tête du gouvernement. Près de Rs 30 milliards ainsi jetées par la fenêtre en raison de décisions purement politiciennes, voilà une somme qui aurait pu garantir aux personnes âgées une pension de Rs 20 000 par mois. Et ceux qui ont pris ses initiatives criminelles pour la trésorerie publique n’ont toujours aucun compte à rendre !

On espère que ce genre de pratiques disparaîtra pour de bon de nos mœurs politiques. Elles sont d’un autre temps. Et à charge pour ceux qui aspirent à diriger ce pays de venir avec un programme qui fasse table rase de toutes ces pratiques désuètes et antidémocratiques.

Josie Lebrasse

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