Un énorme pari sur l’avenir. C’est ce que représente la feuille de route tracée pour les cinq ans à venir dans le discours-programme qui a été présenté vendredi par le président de la République, Dharam Gokhool. Les objectifs sont ambitieux et même audacieux, dans la mesure où ils comportent des éléments de rupture avec ce qui se pratiquait jusqu’ici. Mais c’est les réaliser qui constitue le véritable défi qui attend le gouvernement du changement.
Pour mettre en œuvre un chantier d’une telle ampleur, il va falloir une mobilisation de toutes les énergies et, surtout, une révolution au niveau de la mentalité dans la fonction publique pour espérer ne serait-ce que réaliser 50% des annonces faites. Cinq ans, cela peut passer très vite.
Et lorsqu’on sait que le nouveau gouvernement est, en ce moment, confronté à deux urgences, la sécheresse et, son corollaire, le manque d’eau qui affecte autant les besoins domestiques qu’industriels, ainsi que les pressions qui pèsent sur la production de l’électricité à un moment où des pics de consommation sont enregistrés, il va sans dire que le travail s’annonce colossal.
Mais il y a des promesses de changement qui ne coûtent rien et qui sont susceptibles de provoquer des changements significatifs au niveau social. On pense là à cette mesure qui a aussi le mérite d’être fixée dans le temps : une Constitutional Review Commission à mettre sur pied dans les six mois et qui devrait se pencher sur un certain nombre de réformes touchant à la loi suprême du pays.
La réforme électorale, l’abrogation de l’obligation de déclarer sa communauté pour pouvoir être candidat à une élection générale, une meilleure représentation féminine, la possibilité de saisir la justice même si l’on n’a pas un intérêt direct dans un litige au travers du Public Litigation Interest, les droits humains, la place de la nature sont quelques-uns des thèmes sur lesquels cette importante commission doit se pencher en vue d’un toilettage nécessaire à une Constitution qui a fait son temps.
Les projets sont nombreux, et ce sera certainement intéressant d’entendre ceux qui auront la lourde tâche de les concrétiser lors des débats qui démarrent le 4 février avec la motion de remerciements que présentera le Dr Babita Thannoo, celle dont l’ancien Premier ministre Pravind Jugnauth disait ignorer l’existence avant qu’elle ne vienne le narguer dans son fief. Avec le résultat que l’on sait.
Cela nous amène aux commentaires post-discours-programme de certains politiques et observateurs. Le leader de l’opposition, décidément de plus en plus culotté, n’a relevé que les promesses de campagne qui manquent dans le chapelet des mesures annoncées. Rien sur les mesures novatrices, si ce n’est qu’il veillera qu’elles soient appliquées.
C’est de bonne guerre, pourrions-nous dire dans un accès d’indulgence, mais ce monsieur était le ministre des Services publics il y a deux mois et il avait omis de nous dire qu’il avait laissé un déficit de Rs 4,8 milliards et des moteurs usés à Fort George, que Rs 700 millions avaient disparu de la CWA et que la Wastewater Management Authority était dans le rouge.
Avec un tel bilan, on devrait se faire plus modeste et, veiller pour veiller, il aurait aussi pu le faire pour accélérer la matérialisation de la fameuse promesse de l’eau 24/7 faite depuis octobre 2014. Les syndicalistes CSG, les plus agités depuis que leurs protecteurs ont été bottés hors du pouvoir, ne savent pas sur quel pied danser. Lorsque les mesures sont bonnes, ce sont celles qu’ils ont préconisées. Lorsqu’elles sont plus audacieuses, il s’agit « d’effets d’annonce ». Se faire un peu petit deux mois après la déroute de leurs poulains serait en fait la posture la plus raisonnable dans les présentes circonstances.
Du discours-programme, on aura tout le loisir de discuter durant les cinq ans qui viennent, un bilan d’étape dans la progression des projets devant être périodiquement établi. Cela ne devrait pas nous détourner de la corruption à grande échelle pratiquée sous l’ancien régime. À ce titre, on n’en a pas fini avec le scandale de la Mauritius Investment Corporation.
L’affidavit de la fratrie Adam n’est qu’un gadget pour faire digression. Qu’il y ait eu des échanges acerbes entre certains des protagonistes n’est que secondaire en comparaison avec l’interventionnisme politique qui a fait que la MIC a arrosé les « filleuls » pistonnés du MSM. Grands et petits.
Il y a Menlo Park et son Pulse Analytics, récompensé pour avoir orchestré une grossière tentative de manipulation de l’opinion publique avec des sondages électoraux bidon, mais il y a aussi d’autres bénéficiaires de la manne de la MIC qui devraient intéresser les enquêteurs affectés à ce dossier.
Sham Mathura, le Campaign Manager de Pravind Jugnauth au No 8, a été arrêté, libéré sous caution, mais autorisé quand même à quitter le pays pour fraude alléguée dans l’exécution du Youth Empowerment Programme. Il est bien qu’il en soit ainsi, mais on peut s’étonner que la police ne s’intéresse pas aussi aux investissements à hauteur de Rs 55 millions effectués par la MIC dans sa BSP School of Accountancy.
Qui a plaidé auprès de Renganaden Padayachy pour que la MIC injecte des fonds importants dans cette entité particulière ? Pravind Jugnauth ? Ce n’est pas une vue de l’esprit lorsqu’on se remémore les conversations de la saison 9 des Moustass Leaks révélés en novembre 2024. Pour ceux qui l’ont peut-être oublié, il s’agit d’une conversation entre Pravind Jugnauth et le ministre responsable du CEB Joe Lesjongard.
Dans cet extrait, on peut entendre le Premier ministre d’alors demander avec insistance à son ministre d’intervenir auprès du CEB pour que la menace de déconnexion de la fourniture d’électricité à l’école de Sham Mathura ne soit pas mise à exécution. Il insiste d’ailleurs aussi sur le fait que « nou pe ed li… li pe gagn so bann finansman ». Quel financement ? Celui de la MIC ? Probablement.
La police cible les bénéficiaires de la MIC, c’est un bon début, mais quid de ceux qui ont créé ce monstre à multiples têtes et qui sont intervenus pour que leurs proches, familles et agents, se servent avec délectation ? Cette enquête est, en tout cas, le premier test de la solidité et du sérieux de la nouvelle police promise.
JOSIE LEBRASSE