Au cours de la semaine de présentation du budget, cette question est en général sur toutes les lèvres à Maurice. Car c’est de là que doit découler la perspective de ce que sera notre vie immédiate et future.
Cette semaine, toutefois, l’effervescence qui suit en général le grand exercice de dévoilement du budget n’a pas eu lieu. C’est en effet une impression de « platitude » qui a suivi le grand oral du ministre des Finances. Pas de très contents ou de très mécontents. Pas de grands débats ou oppositions sur les mesures phares de l’exercice.
Renganaden Padayachy a été astucieux : il a saupoudré des petites douceurs ici et là , histoire que chacun ait le sentiment qu’il y avait un petit quelque chose pour lui. Un petit Rs 200 par-ci, un moyen Rs 1 000 par là . Tout, en effet, de ce qu’un politicien a appelé un « budget-confetti ». Car s’il y a des mesures qui semblent parer au plus pressé des difficultés économiques grandissantes des ménages locaux, on n’y trouve aucune orientation globale susceptible de nous inspirer un sens du commun et de l’avenir, et de galvaniser nos forces pour tendre vers cet objectif.
Non, on a beau agiter les retombées de la pandémie et le spectre de la guerre en Ukraine, on a beau savoir que nous vivons des temps totalement inédits, avec des défis gigantesques, rien pour nous montrer que la pleine mesure de cette situation a été prise, que des approches innovantes ont été pensées, que des mesures d’envergure seront déployées. Le budget ronronne.
Ne parlons même pas de la culture.
On pouvait espérer que cette fois, l’éternel parent pauvre de l’exercice budgétaire soit mieux pris en compte. Alors même que les artistes continuent de souffrir de l’arrêt de leurs activités publiques depuis la pandémie et le confinement de mars 2020, et que les restrictions de rassemblements à moins de 50 personnes perdurent au-delà de toute logique. Alors même que les artistes et professionnels de la scène mauricienne ont fait forte impression la semaine dernière au IOMMA et au Sakifo de La Réunion, là où les tourneurs internationaux viennent faire leur marché pour les saisons à venir.
Mais le budget pêche une fois de plus par l’absence d’impulsion aux industries créatives. On nous parle de l’organisation d’une expo pour laquelle chaque artiste sélectionné touchera Rs 5 000, ce qui ne servira même pas à couvrir ses frais de matériel. Et puis on nous annonce qu’une somme de Rs 21 millions sera  consacrée à la création du tant attendu National Art Centre.
Rappelons seulement que le précédent budget avait annoncé la mise en place d’un comité public-privé pour mieux assurer la préservation et la promotion des sites classés de notre patrimoine national. Ce comité réunissant les hauts cadres du ministère de tutelle, le National Heritage Fund, des représentants de la Mauritius Tourism Promotion Authority (MTPA), de l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (AHRIM) et Business Mauritius, ne s’est réuni qu’une fois. En janvier 2022. Et cette réunion a été presque exclusivement consacrée à la célébration des 30 ans de la république…
Pendant ce temps-là , les Archives nationales et la Bibliothèque attendent toujours l’Arlésienne de leurs nouveaux locaux à Moka. Les tarifs de la MASA sont toujours gelés, et nos artistes peuvent bien crever.
Rien de marquant non plus dans ce budget par rapport à une constante qui gangrène de plus en plus notre vie nationale : la corruption.
Nous aurions eu besoin de mesures fortes pour assainir en profondeur notre pays. Tout juste nous promet-on la mise sur pied d’une Financial Crime Commission. Et on nous annonce dans la foulée que les contrats publics inférieurs à Rs 20 M seront réservés aux petits entrepreneurs. Cela apparemment, dans le but « d’améliorer la trésorerie et la compétitivité des entreprises locales de construction ». Sauf que le fait que cela ne doive pas passer par des appels d’offre risque fort d’augurer une intensification de la politique de petits copains et du népotisme.
Quant à l’abolition surprise de la taxe municipale, elle apparaît comme une menace supplémentaire à la pratique de la démocratie régionale. Au lieu d’oser l’imposition de la taxe d’habitation en milieu rural, le gouvernement, craignant manifestement la désaffection de son réservoir électoral de « la campagne », a préféré donner l’impression de mettre tout le monde sur un pied d’égalité. Mais cela privera nos mairies de revenus importants, et les rendra plus que jamais dépendantes, financièrement et politiquement, du gouvernement central.
Et puis il y a cette fameuse mesure concernant les terres. Notre ressource primordiale, et tellement limitée en superficie.
Voilà donc le ministre des Finances qui révèle fièrement, à la mesure 172 de son budget, que non content des IRS, Smart Cities, PDS et autres plans, il met en place un nouveau programme. « Holders of Residence Permits will be given the opportunity, upon applications, to acquire a residential property of a minimum USD 350 000 outside the existing schemes, subject to a 10% contribution made to the Solidarity Fund ». Les détenteurs d’un Resident Permit auront donc davantage de possibilités, moyennant Rs 14 millions, d’acquérir des biens résidentiels n’importe où à travers Maurice. Avec un comité présidé par le Premier ministre en personne, qui se chargera d’examiner les applications « on a monthly basis »…
Cette mesure réjouit certainement l’oligarchie locale.
Mais pense-t-on à l’immense inflation immobilière que cela va créer, qui va rendre l’acquisition d’un terrain et d’une maison de plus en plus hors de portée pour les Mauriciens ?
Pense-t-on à ce qu’on aurait pu faire d’autre de nos terres que de les livrer à la sur-construction par de riches étrangers ?
Après le bouleversement Covid avec ses fermetures de frontières et d’approvisionnement, au cœur de la guerre en Ukraine et des sanctions internationales contre la Russie, n’aurait-il pas été plus judicieux d’investir dans notre sécurité alimentaire ? Imaginons : un grand plan national, alliant gouvernement et secteur privé pour la valorisation et mise à disposition des terres à des fins agricoles. Imaginons l’investissement des citoyens mauriciens qui pourraient disposer d’un lopin de terre pour cultiver et nourrir leur famille, et se sentir partie prenante d’une stratégie nationale visant à rendre notre pays souverain en matière d’alimentation.
Nous importons quasiment tout. Qu’allons-nous manger demain : du béton ?
Il y a 40 ans exactement, le 11 juin 1982, se tenaient à Maurice les élections qui allaient amener le premier 60-0 de notre histoire.
A cette époque, le gouvernement MMM-PSM était porteur d’un élan, d’un espoir, d’un programme de société, d’une volonté forte de rompre avec un passé politique sclérosant pour avancer vers l’idéal d’un mauricianisme solidaire et innovant.
Qu’est-il advenu de cette ambition, de cette vision, de ce désir partagé ?
Des confettis.
Un morcellement ethnique accru. Une séparation de classe intensifiée. La culture du court-termisme. Répandre des miettes pour donner l’illusion de la générosité.
Un pays qui se proclame tigre alors qu’il n’a qu’un pauvre chat décati dans le moteur…
SHENAZ PATEL