Nos démocraties sont-elles devenues une vaste farce qui concentrent trop de pouvoir dans les mains d’un seul homme, qui en viendrait à se prendre pour une sorte de dieu tout puissant, avec des conséquences désastreuses pour le collectif ?
À travers le monde aujourd’hui, à Maurice, en France, aux États Unis, en Inde, en Russie, la question se pose de façon de plus en plus concrète et criante.
Ainsi en France, qui célèbre en ce jour une fête nationale que l’on pourrait dire sans « réel » gouvernement. Le 14 juillet 1789 marquait le début d’une révolution populaire contre l’arbitraire du pouvoir monarchique absolu, qui mènera à l’abolition de l’Ancien régime et à un siècle d’instabilité politique qui débouchera finalement sur l’émergence de la République. 235 ans plus tard, l’instabilité préside au moment de la célébration suite à la décision prise, le 9 juin dernier, par un seul homme : le président Emmanuel Macron qui, à la surprise générale, y compris de son propre camp, annonçait la dissolution de l’Assemblée nationale suite à la victoire du Rassemblement National (RN) d’extrême-droite aux élections européennes. Des élections législatives éclair sont ainsi déclarées, seulement deux ans après les précédentes, renvoyant de facto les 577 député-es de la XVII législature de la Cinquième République en principe élus pour un mandat de 5 ans.
Il n’y a pas qu’eux qui sont renvoyés. Il y a aussi un crucial projet de loi sur les retraites. Il y a a également tous les débats sur la fin de vie, qui devaient aboutir à un vote le 18 juin. La dissolution entraîne également dans sa chute plusieurs commissions d’enquête parlementaires, comme celle obtenue de haute lutte par la comédienne Judith Godrèche sur les “abus et violences” dans le cinéma, l’audiovisuel, le spectacle vivant, la mode et la publicité. Plus de 70 personnes et structures avaient déjà déposé devant la Commission.
« Ce fut un effort colossal », déclare la députée Francesca Pasquini dans les colonnes de Libération. « Nous avons dû faire face à nos souvenirs. Pour certaines, ils datent d’hier, pour d’autres, d’aujourd’hui. Beaucoup d’entre nous ont été abusées très jeunes, même enfants, sur des plateaux, lors de castings. Certaines d’entre nous ont dû changer de métier et nombre, parmi nous, sont dans des situations précaires. Nous étions pourtant prêtes à dénoncer une mécanique généralisée de domination et d’omerta. Et tout à coup, alors que nous avions pris notre courage à dix mains, plus rien. Tout se passe d’ailleurs comme si rien n’avait jamais existé, car il semblerait que personne ne sache ce que deviennent les travaux, les documents, les conclusions en cours ». Au mieux, il faudra attendre au minimum 12 mois, selon les procédures officielles, pour qu’une nouvelle commission parlementaire puisse être instituée.
Tout cela parce qu’un homme en a ainsi décidé, dans une volonté, disait-il, de clarification. Sauf que la clarification qu’Emmanuel Macron disait vouloir n’a débouché que sur un chamboulement encore plus anbalao.
Après l’arrivée en tête du RN au premier tour des législatives le 30 juin, et alors que tous les sondages le donnaient largement gagnant au 2ème tour, c’est finalement le Nouveau Front Populaire (NFP) constitué dans l’urgence par la gauche qui l’a emporté. Sauf qu’avec 180 sièges pour le NFP, précédant la mouvance présidentielle avec 163 sièges et le RN avec 143 sièges, aucune majorité suffisante ne s’est dessinée. Et que le Président Macron tergiverse à nommer un nouveau Premier ministre, mettant la France dans une situation inconfortablement inédite. Ce, à la veille du grand rendez-vous des jeux Olympiques et alors qu’il urge de répondre au ras-le-bol exprimé par une large partie de l’électorat français face à la classe politique traditionnelle, à la hausse du coût de la vie, à l’immigration.
Aux États Unis, prévaut en ce moment une situation tout aussi burlesque autour d’un homme. Au fil de ses interventions ces dernières semaines, le Président Joe Biden n’a cessé de montrer des signes très préoccupants, voire carrément inquiétants, sur ses capacités mentales. Il y a eu le débat l’opposant à Donald Trump le 27 juin, où il s’est montré vague, flou, déconnecté, à la recherche de ses mots et de ses idées. Puis, il y a deux jours, alors que de son propre camp montent des questions angoissées sur sa capacité réelle à se représenter face à Donald Trump aux élections présidentielles de novembre 2024, le Président Biden en a rajouté, en direct, une très épaisse couche.
Accueillant le président ukrainien Vladimir Zelensky comme « president Putin » et parlant de son « vice-president Trump » au lieu de Kamala Harris… Les têtes catastrophées de son état-major présent pour l’occasion en disent long…
Pourtant, seul Joe Biden peut décider s’il se retire ou non, avant la convention démocrate, prévue pour mi-août, qui doit officiellement l’investir. À la question de savoir s’il pourrait être évincé par son parti, il ressort que jamais un parti politique américain n’a évincé un candidat sans son consentement, car cela reviendrait ici à annuler les résultats des primaires démocrates, de mars 2024 largement remportées par Joe Biden. De fait, la charte du Parti Démocrate prévoit qu’un candidat ne peut être remplacé qu’en cas de mort, de démission ou d’incapacité. Et si cette mesure avait été envisagée en 2016 par la présidente par intérim du Comité national démocrate lorsque Hillary Clinton s’était évanouie dans la rue à New York tout juste deux mois avant le scrutin, elle avait été aussitôt abandonnée par crainte de diviser le parti. Et Joe Biden conserve, dit-on, des soutiens forts au sein du Parti Démocrate.
Au final, donc, une polarisation extrême de la vie politique, et des mécanismes qui déposent sur la décision d’un seul homme l’avenir de son pays et de l’ensemble du monde avec la possible ré-élection facilitée de Donald Trump.
Enfin, que dire de Maurice, où nous sommes suspendus au bon-vouloir et à la décision d’un seul homme, le Premier ministre Pravind Jugnauth, pour savoir quand auront lieu les prochaines élections législatives. Du coup, les supputations vont bon train, entre fin juillet, début novembre, mi-décembre. Mais seul le Prince sait.
Et cela donne lieu à des aberrations, comme l’ouverture, cette semaine, du dépôt de candidatures pour l’élection partielle censée se tenir le 9 octobre 2024 dans la circonscription No 10 (Montagne Blanche / Grande-Rivière Sud-Est), suite au limogeage du ministre Hurdoyal en février dernier et de sa subséquente démission comme député. Une situation dénoncée comme un mic-mac par l’opposition qui a refusé d’y participer en ne présentant pas de candidat. Car c’est bien un mic-mac selon lequel 56,000 électeurs-trices seraient appelé-es aux urnes le 9 octobre pour élire un-e député-e dont le mandat ne durera au mieux que cinq semaines, le Parlement devant de toute façon être dissous automatiquement le 21 novembre 2024 si le PM ne décide pas de le dissoudre avant.
Au final, des millions de roupies d’argent public dépensées /gaspillées, alors même que les Mauricien-nes sont confronté-es à une augmentation exponentielle du coût de la vie, Maurice figurant dans le Top 3 des pays africains où le coût de la vie est le plus élevé en 2024 après le Cameroun et le Zimbabwe, selon les dernières données publiées par le site Numbeo.
Qu’il s’agisse d’un régime présidentiel monocéphale comme en Russie, d’une république fédérale présidentielle bicamériste comme aux États Unis, d’un régime semi-présidentiel comme en France, ou encore d’un régime parlementaire comme Maurice, la concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme montre partout son étendue. Et ses dangers. Alors que nous sommes censés ne pas appartenir à des régimes monarchiques ou dictatoriaux.
Serons-nous en mesure de penser, et de mettre en place, des alternatives à cette asphyxie de nos dites démocraties ?
SHENAZ PATEL
Macron, Biden, Poutine, Modi, Jugnauth. Qu’il s’agisse d’un régime présidentiel monocéphale comme en Russie, d’une république fédérale présidentielle bicamériste comme aux États Unis, d’un régime semi-présidentiel comme en France, ou encore d’un régime parlementaire comme à Maurice, la concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme montre partout son étendue. Et ses dangers. Alors que nous sommes censés ne pas appartenir à des régimes monarchiques ou dictatoriaux. Serons-nous en mesure de penser, et de mettre en place, des alternatives à cette véritable asphyxie de nos dites démocraties ?