— Hey toi la, dis-moi un coup : quel était le surnom qu’on avait donné à Maurice à un moment ?
— Ayo, Maurice a eu beaucoup de surnoms, tu sais. L’étoile et la clé…
— Je ne parle pas des surnoms de l’antiquité, mais des slogans plus récents.
— Euh… Maurice c’est un plaisir ? Maurice 24/7 ? Mauritius SUS Island ? Le bouledogue sans dents ?
— Le dernier c’était pour l’ICAC, pas pour le pays ! Non. C’était bien avant. Je crois que c’était à l’époque où Lutchmeenaraidoo était aux Finances…
— Je sais, je sais : ABC. Asize bez kas en parlant des fonctionnaires.
— Non, c’était pas ça, c’était un slogan avec le nom d’une bête dedans…
— Un slogan avec le nom d’une bête… Ah, je sais : Maurice, le tigre de l’océan Indien.
— Ça même. D’après mon bonhomme, ce slogan est complètement dépassé.
— Ah bon ? Et quel est le nouveau slogan que ton bonhomme propose pour le remplacer ?
— Maurice, l’île du canard mani.
— Quoi : Maurice, l’île du canard mani à la place du tigre de l’océan Indien ?
— C’est ce que mon bonhomme dit qu’il faut faire.
— Sorry de poser la question, mais qu’est-ce que c’est qu’un canard mani ?
— Tu ne sais pas ce que c’est ? C’est vrai que tu as toujours habité dans des flats, toi. C’est une espèce de canard qu’on a à Maurice.
— Je ne comprends pas pourquoi ton bonhomme veut changer le slogan de Maurice ?
— Il dit que Maurice n’est plus un tigre, mais un canard mani. Et je pense qu’il n’a pas tort.
— Il n’a pas tort ? Mais pourquoi est-ce qu’il dit ça ?
— C’est parce qu’il a été obligé de marcher de la gare de Quatre-Bornes jusqu’au bazar de Belle-Rose l’autre soir.
— Mais pourquoi il a été obligé de marcher ? Sa voiture est en panne ?
— Non. Il a laissé sa voiture à la maison, à Rose-Hill.
— Mais qu’est-ce qu’il a été faire à Quatre-Bornes sans voiture ?
— Laisse-moi t’expliquer.
— Il vaut mieux, parce que je ne comprends rien du tout de ce que tu es en train de raconter !
— Jeudi, il devait voir un quelqu’un pour son travail dans le centre de Quatre-Bornes à 18h30. Tu sais comment la circulation est devenue impossible à Quatre-Bornes avec les travaux du métro.
— Tu mets une heure pour traverser la ville et je ne te dis pas pour le parking ! Depuis ça, je ne mets plus les pieds à Quatre-Bornes.
— C’est à cause de ça même que j’ai dit à mon bonhomme d’aller à son rendez-vous par métro. En voiture, et avec les crises de nerfs, il aurait pris plus d’une heure. En métro, il est arrivé en dix minutes.
— Mais pourquoi il a marché jusqu’à Belle-Rose pour retourner au lieu de reprendre le métro ?
— Attends un coup ! En arrivant à la gare à 19h05, après son rendez-vous, il apprend que le métro ne circule plus après 19h.
— Quoi ? Ne me dis pas.
— Oui, toi. À Maurice, le métro arrête de rouler à 19h.
— Ah bon ? Pourquoi ?
— Ça, je ne saurais te dire.
— C’est bien bizarre ça. Mais ton bonhomme aurait pu prendre le bus pour retourner chez vous, non ?
— C’est ce qu’il s’est dit. Il a donc marché jusqu’au bus-stop sur la grand-route. Là-bas, il y a avait du monde et après avoir attendu un moment, mon bonhomme a demandé à quelle heure le bus allait passer.
— Il fallait attendre encore longtemps ?
— Les personnes lui ont dit qu’ils avaient sans doute raté le dernier bus sur la ligne Vacoas/Port-Louis.
— Mais quelle heure il était ?
— Un peu plus que 19h30 et il n’y avait plus de bus.
— Tu veux dire qu’il n’y a plus de métro et de bus à 19h30 à Quatre-Bornes ?!
— Tout a tout compris. Dans le temps, on chantait Dilo pou arete 9h. Aujourd’hui, il faudrait chanter : Bis ek metro arete 7h !
— Ne me dis pas ! Et comment ton bonhomme est retourné à la maison alors ?
— Il a fait comme tous ceux qui attendaient le bus avec lui ce soir-là : il a marché jusqu’à Belle-Rose.
— Pourquoi il a été marcher jusqu’à Belle-Rose ?
— Pour prendre le dernier bus sur la ligne Curepipe/Port-Louis qui passe par Rose-Hill. C’était le seul moyen d’avoir un transport.
— Il y avait beaucoup de monde à attendre ce dernier bus-là ?
— Il y avait déjà une petite foule sur le bus-stop de Belle-Rose. Il a fallu attendre, mais serré-serré, tout le monde a eu une place dans le bus.
— Si je comprends bien, si tu n’as pas une voiture, tu ne peux pas sortir après 19h à Maurice ! Mais comment est-ce que les Mauriciens qui n’ont pas de voiture, c’est-à-dire la majorité des habitants du pays, se déplacent le soir ?
— Elle reste chez elle. À moins d’être disposée à courir le risque de rentrer à pied, si elle a le malheur de rater le dernier bus.
— Hey toi là ! Et le gouvernement a le toupet de dire que Maurice est un exemple de développement pour les autres pays !
— Tu comprends maintenant pourquoi mon bonhomme veut changer le slogan du pays.
— Maintenant j’ai compris. Mais pourquoi ton bonhomme a choisi le canard mani pour remplacer le tigre ?
— Parce qu’avec le métro et les bus qui ne circulent pas le soir, le tigre de l’océan Indien dort au coucher du soleil, à sept heures du soir. Comme le canard mani…