Investie vendredi dernier présidente de l’Assemblée nationale après une carrière marquée par son engagement pour la justice et les droits humains, Shirin Aumeeruddy Cziffra, qui vient de fêter ses 50 ans au barreau, au sein duquel elle a exercé pendant 26 ans, livre à Week-End sa première interview en tant que Speaker.
Un rôle que celle qui a aussi occupé différentes fonctions publiques, et notamment deux postes constitutionnels, en tant que première femme Attorney General en 1982 et Chairperson du Public Bodies Appeal Tribunal de 2012 à 2021, a été députée de Stanley/Rose-Hill pendant 15 ans et ministre des Droits de la Femme et du Bien-Être de la famille en 1982 et fut, de 2003 à 2011, l’Ombudsperson pour les enfants, sans compter sa brève carrière diplomatique en tant qu’ambassadeur en France, en Italie, en Espagne et au Portugal de 1992 à 1994, avant de se retirer de la politique partisane. Elle dit sa volonté de promouvoir une institution plus démocratique, respectueuse et responsable, fondée sur les valeurs de « Rights, Respect, Responsibility ». Prônant une impartialité totale, elle entend redorer l’image du Parlement en favorisant des débats constructifs et ouverts. Son leadership vise à restaurer la confiance des citoyens dans leurs institutions.
Que signifie pour vous, personnellement, d’être élue 16e Speaker de l’Assemblée nationale, et seulement la deuxième femme de l’histoire de Maurice à occuper ce poste ?
— Je suis honorée qu’on ait pensé à moi alors que j’étais retournée au barreau à la suite de la décision du gouvernement MSM de ne pas renouveler mon contrat en tant que présidente du Public Bodies Appeal Tribunal qui avait expiré. Et ce, après le décès de sir Anerood Jugnauth, qui m’avait confié cette responsabilité. Je n’ai pas demandé le poste de Speaker, visiblement très convoité, comme le montre la mise en branle des lobbies dans certains organes de presse et sur les réseaux sociaux. On m’a fait une proposition.
Vous avez été une pionnière dans de nombreux rôles tout au long de votre carrière. Comment percevez-vous cette nouvelle étape dans le contexte de votre parcours et de son importance pour la représentation des femmes à Maurice ?
— J’ai continuellement milité pour une meilleure représentation des femmes à tous les échelons dans les secteurs public et privé. Comme ce poste est hautement symbolique, j’ai accepté, entre autres raisons, pour démontrer qu’une femme peut occuper de hautes fonctions.
Vous avez vous-même été ministre au cours de votre carrière, vous rappelez-vous les moments forts de votre passage au Parlement ?
— En tant que ministre de la Justice (Attorney General), le moment le plus fort pour moi était celui où nous avons amendé la Constitution pour empêcher le renvoi des élections générales.
Vous affirmez que vous prendrez l’ancien (premier Mauricien) président de la chambre, sir Harilall Vaghjee, comme modèle pour mener votre rôle au Parlement. Que vous a-t-il inspiré ?
— Sir Harrilall était un exemple de rigueur et d’impartialité. Par exemple, je me souviens qu’il a arrêté un député qui se moquait d’un autre parlementaire qui venait de faire son Maiden Speech en jouant sur le mot « maiden ». Tout le monde le respectait des deux côtés de la Chambre. Il se distinguait aussi par son sens de l’humour et sa parfaite maîtrise de la langue anglaise.
En tant que Speaker, quelle est votre vision pour renforcer le fonctionnement et la pertinence de l’Assemblée nationale dans la démocratie mauricienne ?
— Je l’ai dit dans le discours que j’ai prononcé après mon élection : je veux rétablir la démocratie parlementaire. Ce qui implique que les députés peuvent débattre de toutes les questions les plus pertinentes pour notre pays et nos citoyens et favoriser des prises de conscience, et des actions pour améliorer les conditions de vie de tous. Mais nous sommes aussi capables d’inspirer ceux qui nous regardent pour élargir la démocratie à Maurice afin qu’elle soit plus scrupuleuse. Et que le monde reconnaisse de nouveau notre excellent niveau dans ce domaine.
Comment envisagez-vous d’assurer une plus grande inclusivité, diversité et équité dans le processus parlementaire, notamment lors des débats et des prises de décision ?
— Comme je l’ai dit, je vais respecter des droits fondamentaux et des libertés inscrits au chapitre 2 de la Constitution. Surtout la liberté d’opinion et d’expression. Au vu des résultats des récentes élections législatives, je serai très sensible aux droits de la minorité. De plus, je m’attends que les backbenchers fassent leur devoir pour dissuader l’Exécutif d’outrepasser ses droits. C’est le principe de notre système westminstérien. Il faut des checks and balances, une véritable séparation des pouvoirs ainsi que des contre-pouvoirs, si nous croyons dans la bonne gouvernance.
Le Speaker doit s’élever au-dessus des politiques partisanes pour maintenir l’impartialité. Comment comptez-vous relever les défis liés à la neutralité pendant les débats ?
— J’ai la particularité de n’appartenir à aucun parti politique depuis 30 ans après avoir fait de la politique active pendant 20 ans. J’ai donc acquis une certaine capacité à être neutre. Dans les différentes fonctions officielles que j’ai occupées, j’ai toujours fait preuve d’une totale indépendance. Même en tant que députée, j’ai par deux fois demandé le droit de voter contre la position de mon parti. Il s’agissait de la peine de mort et du mariage des mineures. Dans les deux cas, ma position a fini par être adoptée des années plus tard par les nouveaux députés. J’ose espérer que d’autres causes verront des parlementaires prendre position en fonction de leur conscience. En tant que présidente de l’Assemblée nationale, je ne participe plus aux débats. Je vais écouter sans donner mon opinion et je vais m’assurer que des opinions minoritaires puissent être exprimées et écoutées avec le plus grand respect.
La décence parlementaire est essentielle pour maintenir le respect et l’efficacité au sein de l’Assemblée. Quelles mesures prioriserez-vous pour garantir la discipline et l’ordre lors des séances ?
— Je serai toujours dans le dialogue et je ferai tout pour inciter les députés et les ministres à une certaine retenue, notamment en rappelant à tous qu’ils sont « honorables » et doivent le rester. Je trouverai les bonnes méthodes en fonction des circonstances. J’encouragerai aussi les uns et les autres à travailler dans des comités spécialisés, ce qui les amènera à mieux se connaître en dehors de la solennité de l’hémicycle.
En tant que défenseure de longue date des droits des femmes, comment voyez-vous votre rôle de Speaker contribuer à faire progresser l’égalité des sexes à Maurice, notamment en politique et dans la gouvernance ?— Vous savez qu’il existe un Parliamentary Gender Caucus créé à l’inspiration de Maya Hanoomanjee. Malheureusement, ce travail de recherche soutenu par le Programme des Nations unies pour le développement a été abandonné. Naturellement, je voudrais relancer ce Caucus, comme cela se fait ailleurs dans des parlements de grands pays démocratiques. Je tiens à dire que le rôle des hommes pour enrayer les fléaux comme la violence contre les femmes et les enfants est de plus en plus reconnu. J’espère donc que les députés seront aussi nombreux que les députées. Ce travail soutiendra celui du ministère concerné.
Quel message espérez-vous que votre élection en tant que Speaker envoie aux jeunes femmes et filles aspirant à des postes de leadership à Maurice ?
— J’espère les inspirer et les encourager. Si j’en juge par les messages que j’ai reçus depuis mon élection, de nombreuses filles et femmes sont tout à fait rassurées. Mais les hommes aussi bien sûr, puisqu’ils ont souvent des filles qu’ils voudraient voir réussir dans la vie.
Y a-t-il des réformes ou des innovations spécifiques que vous espérez mettre en œuvre pour moderniser les opérations de l’Assemblée nationale et la rendre plus accessible et transparente au public ?
— Je crois que nous devons revoir les Standing Orders and Rules, et il existe un comité qui doit se réunir assez vite pour ce travail important. Les députés semblent aussi vouloir travailler dans des comités thématiques. J’attends des propositions et les ministres peuvent aussi attirer notre attention sur des sujets spécifiques. J’ai aussi appris que la bibliothèque mérite une modernisation. Apparemment, notre patrimoine est en train de disparaître, car le lieu lui-même demande à être modernisé. Dès lundi, je dois aller voir ce qu’on peut faire dans tous les lieux qui sont sous ma responsabilité.