À chaque semaine sa manif. Depuis l’an dernier, le mécontentement citoyen multiplie les rendez-vous, témoignage de l’avalanche de scandales qui plombent le pays. Hier, c’est littéralement un risque physique d’éboulement qui a réuni plusieurs centaines de personnes à Tamarin. Autour d’une « Marche du Sel » conviée par l’activiste Percy Yip Tong, en réaction notamment aux projets de construction qui visent à remplacer les emblématiques salines de Tamarin, mais aussi aux récents développements concernant le projet Legend Hill. Et cette manif n’en était pas moins importante, tant le dossier Legend Hill cristallise tout ce qui dysfonctionne et fout le camp à Maurice depuis quelque temps.
Avant d’être cette spectaculaire plaie à terre ouverte sur le flanc de la montagne dite La Tourelle à Tamarin, Legend Hill est le nom d’un projet de luxe. Un resort 5 étoiles, résidentiel et commercial, aménagé sous le PDS, Property Development Scheme, dispositif permettant aux investisseurs étrangers d’acheter, sous certaines conditions, un bien immobilier en pleine propriété.
Développé par Iconic View Ltd, ce projet se décline sous l’intitulé suivant : « Une île de légende, pour une vie de légende. » Sur le site vantant le projet, on peut lire : « Nous avons conçu le resort Legend Hill à la fois proche et lointain, au plus près de vos désirs et au plus loin dans l’imaginaire et la féérie d’une île tropicale. »
Sont ainsi prévus « 52 biens suspendus entre montagne et océan », avec 23 villas de luxe avec terrasses extérieures et piscines privatives à débordement, 16 appartements, 9 appartements boutique-hôtel et 4 penthouses « en parfaite harmonie avec la nature préservée ».
Ce groupe se vante « d’intégrer une démarche de développement durable dans la conception et la réalisation de ses programmes, en limitant les impacts environnementaux ». Ça c’est pour la brochure de luxe. Dans les faits, à Maurice, c’est une tout autre histoire qui est en train de s’écrire.
Et pour comprendre cette histoire, il faut suivre la chronologie de ce projet.
Selon certains documents, Iconic View aurait soumis et obtenu son Building and Land Use Permit, autrement dit son permis de construire ses infrastructures résidentielles sur les flancs de La Tourelle, en 2018, alors que sa demande de permis d’impact environnemental (EIA) daterait de … janvier 2019. Première curiosité…
Legend Hill soumet ensuite, en février 2019, sa demande de permis EIA pour un club house de 3000 mètres carrés, regroupant un restaurant gastronomique, un restaurant bistronomique, un cocktail bar, un spa salin, une conciergerie, un club de fitness avec espace yoga, une piscine, une music room, un kids corner. Oeuvre de MJ Développement, promoteur immobilier français créé en 2007, qui compte parmi ses actionnaires l’industriel Jean-Louis Desjoyaux, PDG des Piscines Desjoyaux, leader mondial dans le domaine de la construction de piscines et spas.
Ayant obtenu son permis EIA en septembre 2019, avec une liste d’obligations à respecter, il va ensuite faire sa demande de permis de construction auprès du Conseil de district de Rivière Noire.
Le 27 avril 2020, soit en plein lockdown, alors que les journaux papier ne paraissent pas, sa demande de permis pour le club house est publiée dans la version online d’un journal.
Le 10 mai 2020, des propriétaires de villas au sein de la Plantation Marguery, qui se trouve juste en contrebas, objectent par mail. Sans suite. En juillet, un numéro de Building Permit accordé apparaît sur un panneau près du futur chantier.
Suite à une nouvelle objection, un comité présidé par la présidente du Conseil de District de Rivière Noire, Véronique Leu-Govind, décide de rejeter la demande de Legend Hill. Il est intéressant de noter que ce sont alors d’une part des considérations esthétiques et patrimoniales qui sont mises en avant. Le comité argue en effet que la masse du développement proposé sur le flanc de la montagne va obstruer la qualité esthétique et paysagère du lieu, que les bâtiments n’ont pas été conçus de manière à se fondre dans la nature environnante. Il est en outre relevé que le projet ne respecte pas certaines conditions du permis EIA et que le promoteur n’a pas démontré son intention de se conformer aux conditions imposées par la Land Drainage Authority en date du 17 janvier 2020.
Affirmant respecter toutes les règles et investir de gros montants qui aideront au développement du pays, Legend Hill revient à la charge.
Mais lors de sa séance du 23 octobre 2020, le Permits and Business Monitoring Committee du Conseil de district de Rivière Noire rejette, une deuxième fois, l’application pour le club house. Estimant « inacceptable » que le promoteur essaie de shifter la responsabilité de nécessaires aménagements (upgrading du réseau de drains, caniveau, ponts, décharge dans la mer, etc.) sur d’autres parties. Le Conseil dit aussi qu’aucun plan de maintenance des infrastructures de drainage n’a été soumis au Conseil.
Le 22 novembre ont lieu les élections villageoises. Le 2 décembre 2020, un nouveau président du Conseil de district est désigné pour remplacer Véronique Leu-Govind. Il a pour nom Narainsamy Seeneevassen, et dédie son élection au Premier ministre.
Le 21 janvier 2021, le Permits and Business Monitoring Committee approuve le permis de Legend Hill. Le permis est délivré le 7 février 2021.
Sur sa page Facebook, le 22 février dernier, Véronique Leu-Govind tempête : «Voila ki arrivé kan ena bann yess man partout ki pa kpav dir non bann grand missié. Merci mo bann ex conseillé ki ti siège lor PBMC kine ena graine pou contre sa projet la et met bann condition ki nou pann enlévé mem avek la demande de EDB ki p fer la pluie et le beau temp. »
Comment se fait-il donc qu’un projet rejeté à deux reprises soit avalisé la troisième fois sans qu’aucun changement majeur n’y soit apporté pour remédier aux objections formulées lors des deux précédents rejets ?
Comment se fait-il qu’alors que le Planning Policy Guidance 9 (PPG9) – Development on Sloping Sites and Landslide Hazard Areas stipule que « development is not allowed on slopes greater than 20% » sauf dans des cas exceptionnels, ce projet soit avalisé alors que les pentes, d’après le propre rapport EIA du promoteur, se situent entre 33 et 40% d’inclinaison ? Qu’a donc ce projet « d’exceptionnel » pour qu’il soit autorisé sur un site qui est pourtant classé, officiellement, dans une zone présentant un risque moyen à élevé de glissement de terrain ?
Comment, face à des risques d’inondation très présents dans cette région, accrus avec les changements climatiques et l’occurrence de flash floods, un Conseil de district peut, littéralement, se laver les mains en disant que le promoteur « s’engage à prendre toutes les mesures nécessaires pour que son développement ne crée pas de problèmes, y compris d’inondation ou de chute de débris sur le voisinage et sur la route, et que son équipe de consultants s’engage à assumer toutes les responsabilités en cas de défauts de construction, de dommages structurels et de tous dommages matériels dus à un glissement de terrain ou autres risques associés »…
Comment ce projet a-t-il été traité et avalisé par l’Economic Development Board (EDB), le ministère de l’Environnement, et le Conseil de district de Rivière Noire, alors qu’il concentre tant de non-conformités ?
Ce sont ces réponses-là que demandent les citoyens.
Alors qu’est encore vivace, dans la mémoire collective, l’épisode du Wakashio où les autorités ont répété pendant 12 jours que tout allait bien en restant immobiles, face à des citoyens qui n’arrêtaient pas de prévenir que la catastrophe d’une marée noire allait déferler…