À qui appartient un pays ?
Notre actualité abonde cette semaine de faits qui nous amènent tous à cette question.
Il y a d’abord eu, lundi dernier, l’annonce par le Premier ministre mauricien du fait que l’archipel des Chagos figure désormais, sur la nouvelle carte des Nations unies, comme territoire mauricien et non plus comme faisant partie du British Indian Ocean Territory (BIOT). Cela, on pourrait le faire figurer sous la rubrique « Comment flinguer une bonne nouvelle en une leçon ».
En soi, en effet, c’est une nouvelle importante. Elle couronne des années de lutte, depuis que Grande-Bretagne et États-Unis ont, autour de notre accession à l’indépendance en 1968, excisé les Chagos du territoire mauricien pour y créer la base militaire de Diego Garcia. Après des années de luttes et de contestation juridique par les Chagossiens qui furent inhumainement déracinés, le gouvernement mauricien a fini par prendre le dossier à bras-le-corps. Avec pour résultat que le 22 mai 2019, à l’Assemblée générale de l’ONU, une majorité de 116 pays ont voté en faveur de la rétrocession des Chagos à la République de Maurice.
Certes, il s’agit là d’une résolution de rétrocession, non contraignante. Certes, le délai de 6 mois fixé par la résolution a expiré en novembre 2019 sans que Britanniques et Américains ne renoncent à leur occupation. Mais on ne peut nier la forte valeur politique de l’inscription des Chagos comme territoire mauricien sur la carte officielle des Nations Unies. C’est une reconnaissance qui place les deux grandes puissances en situation affirmée et désormais reconnue de violation. C’est une avancée importante.
Mais au lieu de nous permettre de nous en réjouir, le gouvernement mauricien a complètement shooté cette nouvelle. Car elle nous a été jetée à la figure comme un « foutant ». Un immense foutant alors que la population mauricienne était suspendue, lundi dernier, à l’attente de l’annonce du plan de déconfinement devant intervenir une semaine plus tard. Déconfinera, déconfinera pas ?
Comment un Premier ministre, et ses conseillers en communication, n’ont-ils pas su (ou voulu ?) saisir que l’urgence était ailleurs ? Que l’urgence résidait dans l’épuisement d’une population qui n’en pouvait plus d’un confinement drastique qui a déjà duré plus de deux mois alors même qu’officiellement, il n’y a plus de nouveaux cas de Covid-19 dans notre île depuis un mois ? Dans la crainte pour son emploi et son salaire, dans l’asphyxie des petites entreprises, dans l’absence totale de visibilité sur des activités de base ? Dans le besoin de pouvoir sortir de chez soi pas seulement deux fois par semaine pour aller faire ses courses pour les adultes, et pas du tout pour les moins de 18 ans ? Dans la nécessité de pouvoir retrouver des parents âgés, peut-être malades, pour qui le temps est une chose comptée ?
Depuis le début, ce gouvernement a organisé les choses comme si la Covid-19 était son combat à lui, et s’il le faut contre nous. Il a traité la population mauricienne comme si nous étions des ennemis en puissance face à la réussite de notre pays face à cette pandémie. Il nous a signifié que nous étions à sa merci, donnant des rendez-vous télévisés non-tenus, n’affichant aucun calendrier, imposant des lois en urgence. Restreignant chaque jour un peu plus nos libertés de mouvement et de parole, alors même que l’urgence sanitaire diminuait. Comme si le pays, et nous avec, lui appartenait. A compter de ce dimanche, nous serons enfin libre à nouveau. Mais…
Que dire du refus de laisser des milliers de Mauriciens rentrer au pays ? Selon les derniers chiffres, elles seraient environ 4 000 personnes à s’être retrouvées hors de Maurice au moment où le gouvernement a décidé de fermer les frontières (certains auront quand même pu rentrer in extremis, et toute relation avec des personnalités haut placées ne serait que pure coïncidence ). Parties pour des soins médicaux non disponibles localement, pour travailler sur des bateaux de croisière et dans divers autres secteurs, pour des raisons familiales ou d’agrément, ces personnes, qui sont citoyens de ce pays, qui y vivent, qui y payent la taxe, sont, depuis plus de deux mois, privées du droit de rentrer dans leur pays. Avec le stress et les difficultés que cela représente, l’impossibilité de retrouver leurs familles, l’incapacité de continuer à payer des chambres d’hôtel, les risques multiples auxquels ils se retrouvent du coup confrontés pour leur santé physique et mentale. Et pas seulement parce qu’il n’y a pas d’avion pour les ramener. La semaine dernière, le droit de rentrer a été refusé à 9 jeunes Mauriciens Covid-négatifs, dont le bateau de croisière sur lequel ils ne travaillent plus depuis deux mois s’est retrouvé au large de notre île. Désormais, ils voguent vers les Philippines, sans savoir s’ils pourront y accoster vu qu’ils n’en sont pas citoyens.
Quel genre de pays sommes-nous qui refuse à ses citoyens le droit de rentrer chez eux parce qu’ils pourraient être porteurs d’un virus qui peut tuer 1% de ceux qui en seraient atteints ? Tout cela parce que nous voulons garder notre palmarès de 0 cas ? Être malade prive-t-il de sa citoyenneté et de ses droits ? Le devoir d’un pays n’est-il pas d’accueillir ses citoyens et de les soigner s’ils sont malades ? Un gouvernement du jour a-t-il le droit de condamner les citoyens d’un pays à l’exil sanitaire ? A-t-il le droit de porter atteinte à ce qui est considéré comme le droit fondamental du sol ?
Enfin, il y a aussi cette semaine ces squatters qui ont été brutalement expulsés de leurs logements illégalement construits, pendant le confinement, sur des terres qui ne leur appartiennent pas. Cela pose la question de l’humanité d’un gouvernement qui choisit de mettre à la rue des familles en situation de précarité alors que nous sommes toujours en confinement, et à la veille de la fête des Mères. Cela pose la question de savoir faire la différence entre ce qui est légal et ce qui est légitime. Entre ce qui est légitime et ce qui est juste.
Cela pose aussi, au-delà, la question de la propriété privée et de l’accès à la propriété privée dans notre pays. Sachant que le rapport de la Commission Justice et Vérité, qui contenait des cas d’expropriation illégale dès la période de l’esclavage, n’a été suivi d’aucun effet. Sachant qu’acheter un terrain devient un rêve de plus en plus inatteignable même pour des Mauriciens de la classe moyenne vu le choix du gouvernement de privilégier le développement de villas de luxe pour riches étrangers en recherche de nationalité (et d’avantages fiscaux). Sachant qu’à Pomponette, par exemple, le non-respect et l’échéance d’un bail n’ont pas valu au promoteur hôtelier d’être expulsé.
Quelle différence entre les Anglais qui expulsent les Chagossiens de leurs terres et le gouvernement mauricien qui aujourd’hui refuse aux citoyens mauriciens le droit de rentrer au pays et expulse les squatters ? Il serait intéressant de porter la question devant les tribunaux des Nations Unies. À moins qu’on vienne nous dire que cela porterait atteinte à notre souveraineté .