C’est une performance qui a rechauffé le coeur de plus d’un en cette période hivernale, voire même laissée pantoise toute la communauté de l’athlétisme local. Celle de Noa Bibi explosant le record national du 200m de Stephan Buckland en 19”89, soit 17 centièmes de mieux ! Tout simplement ahurissant pour celui qui venait à peine de battre le record national du 100m de ce même Buckland qui a, pendant de longues années, symbolisé cette discipline. Chapeau ! Ce qu’a réalisé Noa Bibi est énorme comme on se le plaît à le dire au sein de l’Association mauricienne d’athlétisme (AMA). Personne ne s’attendait à le voir à un tel niveau et aussi rapidement. D’abord, parce que descendre sous les 20 secondes sur 200m est une performance qui n’est pas donnée à tout le monde. Le classement 2022 de World Athletics le prouve. Avant dimanche dernier d’ailleurs, seuls 15 sprinteurs avaient couru sous cette barre ! Le Mauricien étant même le 10e meilleur performeur mondial de la distance !
Etourdissant aussi de constater à quel point Noa Bibi a affolé le chronomètre en un mois seulement. De 20”42 en série des Championnats d’Afrique à Côte d’Or, soit le meilleur temps en ouverture parmi les 57 participants, il a grappillé, tenez-vous bien, 53 centièmes pour devenir champion de France des moins de 23 ans et surtout, facilement dominer ses adversaires en finale. Désormais, ce sont aux Jeux du Commonwealth que Noa Bibi aura à coeur de briller. Et pourquoi pas un podium ? Oui, pourquoi pas, surtout après ce chrono exceptionnel. D’autant que son entourage le croit capable. Lui qui est considéré comme un sprinteur doué, un bosseur et dont on dit le plus grand bien, notamment à courir, non pas derrière le podium, mais derrière le chrono. Aussi, précise-t-on, Noa Bibi ne fait pas dans la demi-mesure. Il est toujours à fond, au coup du starter, pour ne lâcher qu’après avoir passé la ligne d’arrivée.
Un bémol toutefois, la demande non-agréée du Comité olympique mauricien (COM) pour revoir les dates de son billet d’avion avant de décoller pour la France le 15 juin. Une démarche déplorée par l’AMA en raison de grosses contradictions notées sur ce dossier en l’espace de 24 heures seulement ! Au lieu de poursuivre avec dix jours de préparation intensive avec des athlètes plus fort que lui et enchaîner d’autres compétitions de très haut niveau, Noa Bibi a été contraint de rentrer au pays mercredi. Quitte à perdre son énergie en se tapant 9 426 km supplémentaires et 11 heures de vol ! L’AMA ne pouvant, elle, faire mieux en considérant qu’elle a déjà dépensé, de son budget du ministère des Sports, la somme de Rs 200 000 pour payer des billets d’avion et l’hébergement de Noa Bibi et de Jérémie Lararaudeuse qui, en passant, a battu son record national du 110m haies (13”70), dimanche dernier toujours.
La performance réalisée par ces deux jeunes n’est certainement pas le fruit du hasard. Et là, il faut saluer le travail d’un homme qui arpente, pendant des années, les terrains d’entraînements sans pour autant se plaindre ou se décourager. Bravo à Georges Vieillesse qui a pris la peine et le soin de façonner ces deux champions. Chapeau aussi pour sa patience, ce coup double et ces exploits qui ne sont certainement pas à leur apogée compte tenu du fait que les deux sprinteurs n’ont que 22 ans. Ce qui est aussi important de mettre en lumière c’est l’encadrement et la structure derrière ces performances. Celle d’une AMA qui n’a jamais abdiqué après le vide laissé après le passage de Stephan Buckland, Eric Milazar, Jonathan Chimier et Arnaud Casquette. Le “Fabulous Four” des débuts des années 2000.
Ces mêmes athlètes issus du Centre national de formation, lancé en 1994 en présence de l’ancien ministre Michael Glover, qui avait cru dans le projet. Sans oublier ce t-shirt “Air 2000” devenu désormais célèbre. Le message, disait Vivian Gungaram, à l’époque : Le « vol » pour les Jeux olympiques de Sydney de 2000 et la promesse de disputer une demi-finale. Stephan Buckland et Eric Milazar y étaient ! Sauf que l’après 2008, à la retraite du “Fabulous Four”, l’AMA avait échoué, n’ayant pas pensé à une relève durable. Une grosse erreur pour une association de cette envergure et qui avait toujours su se montrer avant-gardiste. Même le responsable de la commission technique nationale, Joël Sévère, au même titre que Vivian Gungaram, avaient reconnu ce manquement lors d’un entretien accordé à Week-End.
Reste que l’AMA n’a jamais baissé les bras. On disait qu’il fallait se réinventer, améliorer les structures et apprendre de ses erreurs. Ce qui a été fait avec, entre autres, la création de six centres régionaux de formation fin janvier 2018. Lors du lancement au stade Auguste Vollaire, à Flacq, l’AMA avait même réaffirmé sa détermination à retrouver les sommets, non seulement du sport local, mais aussi de regoûter aux sensations fortes à l’international. L’AMA n’y est certes pas encore. Mais l’émergence des jeunes comme Noa Bibi et Jérémie Lararaudeuse nous font croire que l’athlétisme local a pris un bon départ. Tout comme celle d’avoir cru dans ses centres régionaux dans lesquels sont issus ces derniers et d’autres futurs champions. Cette course vers les sommets, précisons-le, est loin d’être gagnée. Pour ce faire néanmoins, l’AMA devra pouvoir bénéficier des moyens qui sont à la hauteur de ses ambitions. Ce qui n’est malheureusement pas le cas en tenant compte de certains exemples courants dans le sport local. Même si certains se plaisent à parler d’excellence, mais sans pour autant en connaître le vrai sens.