« Quand ils parlent mais n’agissent pas »
Une malencontreuse coupe dans la longueur du texte original de notre « Fenêtre » de dimanche dernier intitulée « Notre poison quotidien » a supprimé la mention nécessaire du fait que la première partie relative à l’utilisation de pesticides à Maurice s’appuie notamment sur une étude effectuée par Nitin C. Rughoonauth, du Department of Physics, Faculty of Science, University of Mauritius, publiée le 28 septembre 2021 sur le site du Charles Telfair Centre sous le titre « Pesticides Overuse in Mauritius — How Far are we in the Ongoing Ecological Disaster? » et largement répercutée sur les réseaux sociaux.
Nos sincères excuses vont à Nitin C. Rughoonauth pour l’absence involontaire mais non moins inappropriée de cette mention. Nous réitérons ici notre appréciation et notre gratitude pour l’intérêt et la qualité de son travail effectué sur la grave question de la sur-utilisation des pesticides à Maurice. Il mérite certainement d’être crédité et remercié pour ce travail, qui pose des questions urgentes et capitales concernant autant l’environnement que la santé des Mauriciens.
Nous invitons d’ailleurs nos lecteurs à consulter l’ensemble de son article à l’adresse suivante :
The Scourge of Pesticides Overuse in Mauritius – How Far are we in the Ongoing Ecological Disaster?
Pour faire suite, il est intéressant de noter que cette question de sur-utilisation de pesticides à Maurice, soulevée par un rapport de la Food and Agriculture Organisation des Nations Unies (FAO) qui classait Maurice au premier rang des utilisateurs de pesticides en 2018, a aussi fait l’objet d’une question parlementaire de la députée MMM Joanna Bérenger au ministre de l’Agro-industrie et de la sécurité alimentaire, Maneesh Gobin. Le 27 juillet 2021, la députée de Vacoas-Floréal, à travers la N°B/804, lui demandait en effet s’il avait pris connaissance des récentes statistiques publiées par la FAO montrant une utilisation alarmante de pesticides à Maurice.
A cette question, le ministre Gobin avait alors répondu que suite à cette publication, il avait personnellement tenu des réunions avec des officiers de son ministère et de Statistics Mauritius. Il avait ainsi été porté à sa connaissance, dit-il, que ces statistiques de la FAO “relate to the total volume of pesticides imported and is not based on the active amount of active ingredients present in the pesticide used for agricultural purposes”. Le ministre Gobin affirmait donc qu’il y a eu un “misreporting” pour Maurice depuis 2015, et que la FAO en a été informée. Concluant qu’il ne considère donc pas qu’il y a une utilisation alarmante de pesticides à Maurice.
Pourtant, devant ce même Parlement le 3 juillet 2018, celui qui était alors ministre de la Santé, Anwar Husnoo, déclarait qu’une personne ingère involontairement une moyenne de deux kilos de pesticides par an à travers les fruits et légumes qu’elle consomme
En 2017, pas moins de 136 cas d’intoxication par les pesticides ont été traités dans nos hôpitaux. Mais pour les médecins, ces cas, qui se manifestent habituellement par nausées, vomissements et douleurs abdominales, ne sont que le sommet de l’iceberg. Et l’intoxication par pesticides se fait souvent de manière sournoise, les effets peuvant se faire sentir bien des années plus tard. Avec des atteintes au système neurologique, des perturbations endocriniennes, de l’infertilité, des cancers et diverses pathologies graves, voire mortelles. (Une récente étude de chercheurs de l’université McMaster au Canada, publiée le 27 août dernier dans la revue Nature Communications, établit de son côté un lien entre l’utilisation de certains pesticides avec la prévalence grandissante de l’obésité et le cortège de pathologies qu’elle entraîne, ces pesticides réduisant le processus de combustion des calories du corps).
A la lumière de ces alarmes, le ministère de l’Agro-industrie devait introduire en 2018 la Use of Pesticides Act pour réguler l’usage des pesticides. Reste qu’à ce jour, selon les chiffres cités par le ministre Gobin lui-même en juillet 2021, seuls 1 811 échantillons ont été récoltés pour analyse, débouchant sur 96 « improvement notices » servies à des personnes et entités ne respectant pas les normes imposées. Ce qui permet réellement de s’interroger sur la détermination du contrôle effectué.
S’il met en avant, parallèlement, la formation des agriculteurs à de meilleures pratiques, le ministre soutient qu’il s’agit d’un « processus lent », car il s’agit dechanger des pratiques vieilles de 100 à 150 ans.
Sauf que la situation urge. Depuis quelques années des individuels, conscients de cette urgence, ont choisi de s’engager pour tenter, à leur niveau, d’amener des pratiques plus judicieuses. On peut ainsi penser à Aurore Rouzzi, qui a créé SensiBio, afin de sensibiliser aux méfaits de l’utilisation de pesticides chimiques non seulement sur notre santé mais aussi sur notre environnement.
Il est évident que la transition vers l’agriculture dite « raisonnée » et l’agriculture bio est une chose qui prend du temps. Ne serait-ce qu’en raison du temps de latence qu’il faut accorder à toute terre afin qu’elle soit débarrassée de ce qui la pollue.
Il est clair aussi que cela a un coût. Ainsi, depuis le précurseur Agribio, ils sont rares à Maurice à avoir obtenu le fameux label Ecocert, certification qui garantit le caractère bio. D’une part parce que les exigences de ce label sont très élevées, d’autre part parce que l’obtention de ce label a un prix élevé. Que ne peuvent se permettre bon nombre de petits cultivateurs. Mais il est encourageant de noter que depuis la Covid, ils sont de plus en plus nombreux les particuliers qui, ici et là, ont choisi de travailler à la mise en place de petits potagers bio à vocation personnelle ou de quartier. Des personnes qui « walk the talk » et s’engagent concrètement dans une démarche alternative, comme Gaël Soupe et sa petite entreprise The Primitive Lounge.
Ne plus se contenter de discours mais agir, concrètement, conformément à ses discours semble être l’urgence également par rapport au sommet de la COP 26 devant se tenir du 31 octobre au 2 novembre prochains à Glasgow. Renvoyé l’an dernier en raison de la pandémie de Covid-19, ce sommet des chefs d’Etat devrait viser à accélerer les négociations climatiques, capitales si l’on veut encore se donner une chance de réduire le catastrophique réchauffement de la planète déjà très avancé.
Mais l’engagement de certains chefs d’Etat reste en question. Ainsi, à deux semaines du début du sommet, nombre de dirigeants n’ont pas encore confirmé leur présence à ce sommet de l’ONU pour le climat, parmi lesquels le Premier ministre australien Scott Morrison, le président chinois Xi Jinping, le dirigeant russe Vladimir Poutine et le Premier ministre indien Narendra Modi.
Ce qui a donné, cette semaine, un buzz autour de l’énervement manifesté par l’habituellement flegmatique reine d’Angleterre… A la faveur d’un micro resté allumé suite à son allocution devant le Parlement gallois, on a ainsi pu entendre Elizabeth II dire à la Présidente de ce Parlement, Elin Jones : “Extraordinaire, n’est-ce pas ? J’ai entendu parler de la COP… Je ne sais toujours pas qui vient. Aucune idée. Nous ne connaissons que les personnes qui ne viennent pas… C’est vraiment irritant quand ils parlent, mais qu’ils n’agissent pas”, a grincé la reine.
Deux jours plus tôt, son fils, le prince Charles, a appelé les dirigeants à “agir sur le terrain”. Son petit-fils William est lui intervenu, lors d’un entretien accordé à la BBC, pour demander plus que des « belles paroles ». Et a enchaîné en fustigeant l’actuelle course au tourisme spatial, estimant que “les plus grands cerveaux et esprits de ce monde devraient essayer avant tout de réparer cette planète”, avant de se focaliser sur la lubie de mettre de riches touristes en orbite.
L’urgence de notre situation se fait de plus en plus ressentir. Reste à savoir si ces petites et grandes interventions seront capables enfin de mettre en mouvement ceux qui détiennent les pouvoirs décisionnaires sur notre environnement, notre santé, notre survie…