Rann nou lamer !

Dimanche, jour de Fête des Mères, pour ceux qui seraient assez sourds pour ne pas l’avoir entendu dans son horripilante déferlante commerciale…

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Mais c’est une autre déclinaison de la mère qui nous intéresse aujourd’hui. Et là aussi il y a à redire. Parce qu’on nous a toujours parlé de la Terre-Mère. Sans nous entretenir de la Mère-Mer.

Alors que la Mer est aussi nourricière que la Terre.

Alors que la Mer couvre 70% de la surface de notre planète définitivement bleue même si on l’appelle Terre.

Alors que pour nous, à Maurice, la prise en compte de la Mer nous montre que loin de n’être que « une tête d’épingle au milieu de l’océan Indien », la République de Maurice, c’est en réalité un territoire plus grand que l’ensemble de l’Europe occidentale. C’est en effet ce que donne à réaliser notamment une carte du géographe géomaticien Adish Maudho, que nous avions publiée récemment. Il y montre qu’en additionnant la superficie de la France métropolitaine, de l’Espagne, de l’Allemagne, de l’Italie, du Royaume Uni, du Portugal, de l’Irlande, des Pays Bas, de la Belgique et du Luxembourg, on arrive à un total de 2,2 millions de km2. La République de Maurice, elle, couvre une superficie de 2,6 millions de km2. Nous serions donc un continent à nous tout seuls… Simple question de perspective, liée au fait que jusqu’ici, la tendance a voulu que nous ne considérions les îles qu’en fonction de leur surface émergée, celle qui apparaît au-dessus de l’eau. Or, les îles comme Maurice, c’est aussi une Zone Economique Exclusive, sur laquelle un Etat côtier exerce des droits souverains et économiques en matière d’exploration, d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles.

Au final donc, la République de Maurice disposerait d’un territoire non de seulement 2 040 km2 de terres émergées mais de 2,6 millions de km2. C’est énorme. Et riche de possibilités. Mais qu’en faisons-nous ?

Encore une fois cette semaine, le focus s’est porté sur les travaux en cours à Agalega, avec les images-satellite publiées par le magazine indien Swarajya, qui, après l’aménagement d’un port et d’une piste d’atterrissage aussi longue que celle de Maurice, montrent cette fois la construction de hangars jugés assez grands pour abriter des P-81 Poséidon, avions militaires indiens capables de détecter des sous-marins. Pourtant, le gouvernement mauricien continue de nier, mais refuse toujours, parallèlement, de rendre public l’accord signé en 2015 avec le Président indien Narendra Modi, pour « l’amélioration des infrastructures » à Agalega.

Comment un gouvernement, élu, peut-il disposer d’une partie de notre territoire en refusant de nous informer, nous, population de ce territoire, de la teneur de l’accord signé à ce sujet avec une puissance étrangère ?

De fait, ce gouvernement semble de plus en plus enclin à faire justement cela : disposer, à sa guise, de parties conséquentes du domaine public. C’est ce qu’on a encore pu voir cette semaine avec l’affaire des bouées de Poste de Flacq.

Mercredi dernier, 25 mai, Alain Malherbe lance l’alerte en postant sur ses réseaux des photos montrant des bouées posées dans le lagon, encadrées de deux panneaux flottants portant l’inscription suivante : Restricted Area – Electric surfing activity – No boats. Ton France, pêcheur connu de la région, explique avoir eu la veille des démêlés houleux avec des préposés des Fisheries, et avoir été menacé d’arrestation pour avoir contesté cette appropriation du domaine public à des fins privées.

Un permis est montré, attestant qu’une autorisation aurait été délivrée à cet effet à EFUN Ltd, pour une somme de Rs 75 000. Cette compagnie serait ainsi habilitée à procéder à la démarcation de la zone « for operation of electric surf ». Ce permis, émis le 5 mai 2022, est valable jusqu’au 4 mai 2023.

A la radio, jeudi dernier, Ton France monte le ton. Vendredi après-midi, Sudhir Maudhoo, ministre de l’Economie bleue, des Ressources marines, de la Pêche et du Transport maritime, finit par dire que ce n’est pas lui, mais un haut fonctionnaire de son ministère qui a avalisé ce projet auquel il va falloir mettre un terme. Un ministre à Maurice, c’est bien connu, ignore tout des permis qui sont octroyés par son ministère…

Hier matin pourtant, les bouées et les panneaux d’interdiction étaient toujours présents, comme nous avons pu le constater. S’étalant sur quelque 300 mètres, elle délimitent une zone maritime qui s’étend d’environ 50 mètres à partir de la plage qui borde le boat house de l’hôtel Saint-Géran.

Les habitants du lieu nous expliquent : là, ils ont l’habitude d’aller récolter des huitres, poser des casiers. Et c’est ce passage qu’ils empruntent, en bateau, pour conduire leurs morts jusqu’au cimetière qui jouxte l’hôtel. Un joli petit cimetière bordé de verdure, où la plus récente tombe date d’il y a deux jours, mais où l’on trouve aussi des tombes anciennes, comme celle d’Auguste Vollaire, inhumé le 14 avril 1939, et dont le stade de Flacq porte le nom.

En parcourant le petit village de pêcheurs qu’est Poste de Flacq, trois de ses habitantes, Jenika, Sharon et Marie-Cécile nous racontent. Leurs idées et ambitions pour le développement de leur village, qui devrait se faire, insistent-elles, à travers la valorisation du patrimoine existant. Elles nous conduisent ainsi vers un cimetière abandonné, au bout de l’impasse Peter White, qui est connu comme le « Cimetière anglais ». Là, on peut découvrir, entre les arbres et les ronces, de lourdes pierres tombales comme celle d’un certain Leonard Smeet, mort le 12 avril 1817 à l’âge de 26 ans. Quelques pas plus loin, les restes en pierre d’un grand caveau connu comme « caveau de la Reine ». A plusieurs reprises, elles ont sollicité les autorités pour la réhabilitation de cette part d’histoire. Mais tout le monde leur répond que ce terrain ne relève pas d’eux. Par contre, le jour où une habitante du coin s’est mis en tête d’ériger à proximité quelques tôles pour abriter ses cabris, elle a aussitôt été sommée de les enlever et accusée d’occupation illégale…

Poste de Flacq est pourtant dans une circonscription qui compte trois élus de la majorité, dont deux ministres : Deepak Balgobin, ministre de l’Information, et le ministre de l’Economie bleue en personne, Sudhir Maudhoo. Mais ce village illustre bien une situation nationale : au lieu d’un développement réfléchi et intégré, ce sont des projets bling bling susceptibles de rapporter gros à court terme qui sont privilégiés. Cela même si cela doit se faire au détriment des habitants.

Tout cela intervient alors que le Beach Authority (Amendment) Bill a été voté sans amendement au Parlement, mardi dernier, 24 mai. Un projet de loi qui vise à donner davantage de pouvoirs à la Beach Authority, qui, en sus de gérer 132 plages publiques, longues de 48,2 kilomètres, aura désormais la responsabilité de toutes les plages des îles de la République de Maurice. Et cela implique notamment un renforcement des mesures selon lesquelles nous, Mauriciens, n’avons plus le droit de planter une tente sur une plage de notre pays sans avoir au préalable obtenu l’autorisation de la Beach Authority.

Le citoyen lambda se verra donc imposer des procédures et restrictions renforcées s’il veut passer une petite nuit sur une portion de plage publique, alors que des intérêts privés obtiennent sans autre forme de procès des autorisations pour privatiser des portions de notre mer, domaine public s’il en est !

A ce rythme-là, après Aret Kokin Nou Laplaz, il faudra aussi constituer un mouvement Aret Kokin Nou Lamer.

Reviennent en écho les paroles du Rann nou later, rann nou lamer popularisé par le groupe Lataniers en 1981 sur l’album Krapo kriye : « Rann nou later rann nou lamer / Lepep Moris bien bien ankoler / Pran zot kanon ris zot kaless / Aret explwat nou bann rises »…

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