Le Guide - Législatives 2024

Qui manipule qui ?

Jusqu’où ira l’effritement de nos démocraties ?

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Et si les choses qui nous sautent au regard aujourd’hui n’étaient que de la poudre aux yeux, destinée à nous focaliser sur des actions et préoccupations qui cachent le plus complexe qui se trame en sous-main ?

Il y a la répression exercée par la police, comme celle déployée cette semaine à Maurice contre ceux qui manifestaient pour dire leur refus devant les tractations entourant l’allocation de terres pour le Centre Culturel Tamoul. Touchez au « socio-religieux » et tout de suite les choses s’enflamment. Et le pouvoir montre que « li ki mari » en utilisant une force démesurée contre des manifestants pacifiques.

Mais il y a aussi, dans l’actualité cette semaine, une autre répression qui se joue, avec des ramifications encore plus complexes et dangereuses.

Cela se manifeste d’une part avec l’arrestation, à sa descente d’avion à Paris de Pavel Durov, fondateur et patron de l’application de messagerie chiffrée Telegram. Ce mercredi 28 août, il a été mis en examen, la justice le soupçonnant notamment de complicité de délits et de crimes organisés via Telegram (trafic de stupéfiants, pédocriminalité, escroquerie et blanchiment en bande organisée).

Cette affaire est épineuse. D’une part elle pose la question de savoir pourquoi internet devrait être une zone de non-droit. À Maurice comme ailleurs, il y a eu ces dernières années des « scandales Telegram » avec des internautes victimes de cyberharcèlement, de photos volées mises en circulation publique, et de sextorsion notamment. Il est donc légitime d’estimer que les Etats devraient pouvoir exercer une forme de contrôle sur les réseaux sociaux, pour protéger les citoyen-nes contre les abus.

Le problème, c’est que la frontière est fine entre le contrôle justifié sur la désinformation et le contrôle abusif par des Etats désireux de museler la liberté d’expression.

Ainsi, sur RFI, Fabrice Epelboin, enseignant en géopolitique du numérique, émet l’avis que la décision d’arrestation et de mise en examen du patron de Telegram est éminemment politique.  « À mon sens, c’est pour envoyer un signal clair au monde des technologies et préparer le terrain, notamment pour le fameux « chat control », cette réglementation européenne qui ambitionne d’imposer à toutes les messageries chiffrées de donner un accès aux autorités européennes. Cela de façon à pouvoir mettre sur surveillance l’ensemble des citoyens. Donc, il va falloir préparer les populations. Cela se fait à travers des campagnes médias qui consistent à insister sur la dimension terroriste, pédophile ou Dieu sait quoi qu’on peut trouver sur Telegram, mais on peut la trouver partout ailleurs. Tout cela pour imposer une surveillance générale des populations. Parce que très concrètement, les dealers de drogue, les marchands d’armes se déplaceront sur d’autres technologies et continueront leur business. »

Pour l’enseignant en géopolitique du numérique, « C’est beaucoup plus simple d’arrêter Pavel Durov à la sortie de l’avion que de faire ça avec Elon Musk, qui a dans ses mains le sort de l’Ukraine. Sans Star Link et il n’y aurait plus de communication au sein de l’armée ukrainienne et donc plus de guerre en Ukraine. Il a dans ses mains le sort du programme spatial européen. Sans SpaceX, Arianespace serait bien incapable de lancer à des prêts raisonnables les satellites qu’on ambitionne de placer en orbite. Et il a dans ses mains la transition écologique et la voiture électrique. Là-dessus, la pression que peut exercer Elon Musk est sans commune mesure avec ce que peut faire valoir Durov. Il faut également souligner le fait que sur les serveurs de Telegram se trouvent toutes les conversations qu’ont eues la Macronie depuis le tout début de la première campagne d’Emmanuel Marcron. Donc potentiellement une bombe atomique. Cela fait de cette arrestation quelque chose d’éminemment politique. Quelque chose de particulièrement géopolitique qui touche non seulement les relations entre la France et la Russie mais également les relations entre la France et les Émirats Arabes-Unis [là où est domicilié le siège de Telegram, NDLR], qui demandent vraiment à être explorées et qui sont particulièrement pointues quand il s’agit de technologies destinées à surveiller, espionner les populations. Donc, on est sur une dimension cybergéopolitique qui est particulièrement délicate ».

Reste qu’Elon Musk s’est lui aussi, cette semaine, retrouvé en butte à une sérieuse attaque et remise en question de ses pouvoirs. Ce avec la décision de la Cour suprême du Brésil, ce vendredi 30 août 2024, d’ordonner la suspension «immédiate, complète et intégrale » de la plate-forme de médias sociaux X dans ce pays de 200 millions d’habitants, qui compte de très nombreux abonnés à X.

Si elle est brutale, cette décision n’est pas réellement une surprise. Héros de la gauche, bête noire de l’extrême-droite brésilienne, Alexandre de Moraes est chargé des principales enquêtes sur les activités criminelles de l’ex-président d’extrême-droite Jair Bolsonaro, ses proches et ses partisans. Plusieurs de ces enquêtes ont trait à la diffusion de fausses informations ou l’existence de « milices numériques » qui utiliseraient divers réseaux sociaux pour diffuser leurs messages au Brésil. Après le 8 janvier 2023, lorsque des milliers de partisans de Bolsonaro saccagent les institutions de Brasilia, le juge Moraes ordonne le blocage par les plates-formes en ligne de 140 comptes, appartenant en majorité à des personnalités de la droite, proches de Bolsonaro, qui remettent en question sa défaite aux élections de 2022 face au président de gauche Lula, et affichent leur soutien aux émeutiers qui ont envahi le Congrès et la Cour Suprême le 8 janvier.

Elon Musk, qui refuse, part alors en guerre contre le juge Moraes qu’il désigne comme un dictateur tyrannique.

Cette semaine, le juge Moraes a estimé qu’Elon Musk est un « hors-la-loi », qui a l’intention de permettre et favoriser  “the massive spread of disinformation, hate speech and attacks on the democratic rule of law, violating the free choice of the electorate, by keeping voters away from real and accurate information.”

“Free speech is the bedrock of democracy and an unelected pseudo-judge in Brazil is destroying it for political purposes,” a de son côté réagi Elon Musk vendredi dernier.

Mais Musk a lui-même accumulé ces derniers temps des agissements qui posent question. Depuis qu’il a racheté en 2022 pour $44 milliards ce qui s’appelait alors encore Twitter, il a décuplé ses profits, mais beaucoup d’annonceurs américains ont quitté la plateforme, arguant d’une hausse de hate speech et de désinformation.

Musk a par ailleurs bafoué plusieurs des règlements de la plateforme concernant la liberté d’expression de ses utilisateurs. Il a ainsi banni l’utilisation du mot « cisgenre », qu’il trouve trop libéral, a agréé à la suspension de comptes en Inde. Parallèlement, il a réinstauré le compte de l’ex-Président Donald Trump (dont il a mené il y a peu une interview très controversée), et a diffusé sur ses réseaux il y a deux semaines une fausse intervention réalisée par intelligence artificielle de Kamala Harris, où la voix de la candidate à la présidentielle américaine est trafiquée pour lui faire dire notamment qu’elle n’a aucune idée de comment diriger les Etats Unis.

En clair, nos démocraties ne sont pas seulement menacées par des gouvernements qui se laissent de plus en plus allègrement aller à des tentations et tendances totalitaires. Elles sont aussi, au-delà, soumises aux manœuvres de grands intérêts qui œuvrent puissamment à contrôler la fabrique et la diffusion de l’information et/ou de la désinformation.

Entre nécessité de défendre à tout prix la liberté d’expression et nécessaire défiance vis-à-vis de pouvoirs qui cherchent à tout manipuler et contrôler, à commencer par nos esprits, la voie s’annonce ardue…

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