Qui a eu cette idée folle…

Qui aurait cru qu’un jour, l’école puisse devenir le rêve ultime de nos enfants…
Depuis les années 1960, la tendance était plutôt de reprendre le refrain du « Sacré Charlemagne » lancé par la mutine France Gall.
Certes, on sait bien que ce n’est pas Charlemagne qui a eu « cette idée folle / un jour d’inventer l’école ». Que les premières traces d’enseignement ont été trouvées bien avant dans l’Egypte des Pharaons, en Inde et en Chine avant d’arriver chez les Romains et les Grecs durant l’Antiquité. Mais à un enseignement très élitiste, réservé aux enfants des familles les plus opulentes, le roi des Francs va œuvrer de façon significative, au IXème siècle, à l’élargissement de l’éducation, en créant des écoles dans toutes les paroisses pour permettre à tous les enfants, même les plus pauvres, d’apprendre à lire, écrire et compter. Et par la suite, la scolarisation deviendra obligatoire dans un certain nombre de pays.
Oui, autant elle est considérée comme nécessaire, autant l’école a souvent été perçue comme une corvée par un grand nombre. Jusqu’à la pandémie de Covid-19… Depuis bientôt deux ans maintenant, nos écoles et institutions scolaires sont largement restées fermées. Et clairement, l’urgence du jour est cette fois de les rouvrir. Une urgence répercutée à tous les niveaux, y compris par les élèves.
Sur le plan mondial, l’UNICEF a posté cette semaine sur les réseaux une vidéo qui appelle très fortement à la réouverture. On peut y voir le jeune Selugo qui exprime sa joie d’être de retour à l’école dans un pays, l’Ouganda, qui a rouvert lundi dernier ses écoles après la plus longue fermeture totale enregistrée dans le monde. “We can – and must – reopen schools and keep them open for every child, everywhere”, insiste l’UNICEF.
Chez nous, plusieurs organismes sont venus, en ce début d’année, s’ajouter à la voix d’un certain nombre de parents que l’on entendait déjà depuis l’an dernier. Cela alors qu’approche, en février, la date de réouverture fixée pour seulement trois niveaux.
Sur la plateforme internationale Change.org, une pétition intitulée « Please Re-open our schools for the sake of our children » a ainsi été lancée par le Mauricien Nassir Ramtoola. Adressée au Premier ministre et à l’Ombudsperson for Children, cette pétition fait ressortir qu’alors même que les enfants peuvent aller dans les centres commerciaux, les food courts, les rassemblements familiaux, la seule chose qui leur reste paradoxalement fermée est l’école. Alors qu’elle leur est nécessaire.
De plus en plus de voix s’élèvent pour souligner à quel point l’enseignement en ligne ne fonctionne pas. Ainsi, l’Union of Private Secondary Education Employees (UPSEE), lors d’une conférence de presse ce mardi 11 janvier, a fait part de son inquiétude quant au secteur de l’éducation, estimant que le système est « ankor lor rodaz » et que le ministère de l’Education “n’a pas fait grand-chose” pour améliorer l’online teaching “ni pour l’étudiant ni pour les éducateurs”. Le syndicat des enseignants estime ainsi que “trop d’élèves ont été pénalisés” et qu’il sera impossible de faire un rattrapage, d’autant que la reprise de janvier se fait sous le signe de la “cacophonie”. Ce qui amène le syndicat à réclamer la mise en place d’une nouvelle année académique.
Certes, il y a toutes les conditions pratiques qui rendent cet enseignement inadéquat.
Il y a le manque de moyens et d’équipements dont souffrent certains enfants.
Il y a l’extrême difficulté, voire l’impossibilité dans laquelle se retrouvent des parents de plus en plus épuisés de donner à leurs enfants l’accompagnement que nécessite l’enseignement en ligne.
Il y a la difficulté pour des enseignants non-formés à l’utilisation d’outils technologiques nouveaux et pas armés pour imaginer et mettre en place la pédagogie innovante que cela demande.
Mais il y a plus que des conditions matérielles.
Il y a aussi l’état mental de nos enfants.
Cette semaine, la Société des Professionnels en Psychologie de Maurice a lancé un vibrant appel à la réouverture des écoles « pour la santé mentale des enfants, parents et enseignant.e.s, ». Et il ne s’agit pas là que de faire ce que certains appellent « agiter la carotte de la santé mentale », comme argument à la mode ou moyen de pression ultime.
Psychologue reconnue, Marie-Estelle Dupont apporte sur diverses chaînes françaises, depuis le début de la pandémie, des propos qui font le point sur la dimension trop souvent évacuée de la santé mentale face au Covid-19 et tout ce qu’il entraîne politiquement et socialement.
Dans une interview sur RMC, en décembre dernier, elle dit l’inquiétude profonde de ses collègues psychologues par rapport à la santé mentale des enfants et des jeunes.  « On est inquiets parce qu’il y a beaucoup d’effondrement depuis un an. Il y a beaucoup de troubles anxieux, beaucoup de TOC, des phobies scolaires, des décrochages, des troubles du sommeil, une explosion des troubles alimentaires. Et puis on voit de plus en plus d’idées suicidaires et de passages à l’acte, donc de plus en plus d’hospitalisations ».
Faisant ressortir qu’en 2020 déjà, il y a eu 600% d’hospitalisations en plus en pédo-psychiatrie, notamment à l’hôpital Necker pour les enfants, elle insiste : « Il y a une vraie vague pédo-psychiatrique, elle est indéniable ».
La psychologue va plus loin : « Un enfant ne peut pas apprendre à distance, c’est faux », affirme-t-elle. « Parce que le cerveau ne fait pas passer les apprentissages en mémoire à long terme quand il est en déprivation sensorielle et émotionnelle. « Quand vous êtes derrière un écran, vous êtes juste stimulé au niveau de la rétine par une lumière bleue. Il n’y a plus de modulation de la voix, vous ne voyez pas très bien, vous faites énormément d’efforts pour vous concentrer, donc votre cerveau est baigné de cortisol et d’hormones de stress, et ça perturbe le traitement de l’information qui ne passe pas en mémoire à long terme. Vous n’avez pas d’interaction, le fait de parler avec les copains dans la cour, le fait de poser des questions aux profs, vous êtes privé de tout ce qu’il y a comme environnement émotionnel. Or les centres cérébraux liés à la mémoire et aux émotions sont en grande partie les mêmes ».
Selon Marie-Estelle Dupont, l’école en ligne est donc inefficace parce que le fonctionnement de l’être humain, en soi, ne lui permet pas de mémoriser à long terme des enseignements qui lui sont délivrés dans des conditions où il est privé, comme aujourd’hui, de contact sensoriel et émotionnel.
Pour la psychologue, tout cela revient à créer des problèmes de santé publique à long terme, dont on ne mesure pas les conséquences. « Ce sont des enfants qui perdent leurs compétences sociales. Ce sont des enfants agressifs, hyper actifs ou déprimés. Ce sont des enfants sédentaires, addict aux écrans, obèses. C’est-à-dire qu’on est en train de leur prescrire tout ce pour quoi il y a quelques années on faisait des campagnes de prévention. On est dans une injonction paradoxale et depuis l’année dernière, notre société toute entière se comporte comme une famille maltraitante. Et quand je parle d’injonction paradoxale, c’est « pour être un bon citoyen, tu dois te taire, tu ne dois pas montrer ton visage, tu ne dois pas sortir de la maison, tu ne dois pas faire de sport, tu ne dois pas parler avec tes copains, en gros tu ne sors pas de chez papa et maman. Comment on va en faire des adultes ? » interroge-t-elle.
Au-delà de la simple question de suivre des cours, de maîtriser des apprentissages et de passer des examens, on voit bien que le problème est autrement plus complexe. Face à la gravité et l’importance de cet enjeu, serons-nous capables de sortir de la binarité à laquelle on semble constamment vouloir nous réduire ? Certes, il n’est pas aisé pour les gouvernements de prendre des décisions face notamment à des parents qui un moment réclament à cor et à cris la fermeture des écoles et après manifestent pour réclamer leur réouverture. La situation est inédite. Loin de la politique de la sourde oreille et l’affrontement, ne mériterait-elle pas la mise en commun de toutes les connaissances, compétences, énergies ? Puisqu’il est là question, plus largement et crucialement, de savoir quels humains nous sommes en train de façonner…

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