Qu’est-ce qu’un crime ?

Un homme est accusé d’avoir pratiqué des atteintes à la pudeur sur sept fillettes, alors qu’elles étaient âgées entre 4 et 13 ans. Trois d’entre elles font partie de sa famille, quatre sont des amies de ses propres filles. Et c’est dans le cadre de sa propriété familiale, à Tamarin, qu’il a perpétré ces actes qui se sont prolongés pendant des années.

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Il aura fallu plus de vingt ans à ces victimes devenues adultes pour qu’elles décident finalement, en 2012, de rompre une double loi du silence. Celle qui frappe en général les victimes d’actes pédophiles. Et celle qui régit plus spécifiquement le milieu auquel elles appartiennent.

Car leur agresseur, Michel de Ravel de l’Argentière, est un homme d’affaires respecté qui appartient à la meilleure société franco-mauricienne. Et que « chez ces gens-là », comme dirait Jacques Brel, ces choses-là, si elles se passent, sont réglées comme tout le reste, « en famille ».

Michel de Ravel sera pourtant formellement poursuivi en 2016 sous 21 chefs d’accusations d’attentat à la pudeur. Plaidant coupable pour 14 d’entre eux, il dira en cour qu’il ne s’agissait « que de jeux », avant d’affirmer avoir suivi une thérapie pour le guérir de son « attirance » pour les fillettes. Fin 2018, la cour le reconnaît pourtant coupable des 21 chefs d’accusation.

C’est dire la stupeur quand mercredi dernier, 24 avril, tombe le verdict final de la magistrate Niroshni Ramsoondar : jugé coupable, Michel de Ravel n’écope que de quelques amendes de Rs 10 000 à 30 000, et d’une obligation à faire preuve de bonne conduite pendant les trois années à venir…

Une clémence que la magistrate explique par l’état de santé du pédocriminel : une tumeur au cerveau dont il vient d’être opéré et, selon le rapport du médecin, 5% de chances de survie au-delà de 2 ans.

La stupeur publique et la colère des victimes et de ceux qui se battent contre la pédophilie ont eu un effet immédiat : vendredi, le Directeur des Poursuites Publiques (DPP) a annoncé faire appel de cette sentence, estimant que “The sentence imposed by the learned Magistrate was unduly lenient and wrong in principle.”

En 1987 en France, Klaus Barbie, criminel de guerre allemand, officier SS sous le régime nazi, fut condamné à perpétuité pour crime contre l’humanité. Malgré ses demandes de libération pour raisons de santé, il mourra trois ans plus tard à la prison Saint-Joseph à Lyon, à 77 ans, des suites d’un cancer du sang et de la prostate.

Le 2 avril 1998, c’est cette fois au tour de Maurice Papon, complice des exterminations nazies, d’être condamné à une peine de 10 ans de réclusion criminelle. Trois ans plus tard, ses avocats finissent par lui obtenir une grâce médicale, sur la base d’une expertise concluant à l’incompatibilité de son état de santé avec la détention. Une libération rendue possible par la loi « Kouchner » qui prévoit que les prisonniers peuvent être libérés s’ils souffrent d’une maladie incurable ou si leur incarcération met en danger leur santé. Une remise en liberté très critiquée, le rapport médical décrivant Maurice Papon comme « impotent et grabataire » paraissant spectaculairement démenti quand il quitta, à pied, la prison de la Santé.

Il faut toutefois noter que la libération de Maurice Papon fut approuvée par l’ancien garde des Sceaux Robert Badinter, qui déclara, avec d’autres résistants et rescapés : « il y a un moment où l’humanité doit prévaloir sur le crime ».

Quel rapport avec Michel de Ravel ?

Si l’on a pu entendre des victimes cracher « cinéma » à sa sortie de la cour mercredi dernier, alors qu’il claudiquait péniblement, appuyé sur une canne, le crane nu ourlé d’une longue cicatrice, le changement physique opéré ces derniers mois sur cet homme n’en demeure pas moins très marqué. On peut penser qu’il souffre. On peut penser à la souffrance terrible que vit sa famille, sa femme, toujours à ses côtés, ses filles.

Mais il y a aussi, capitale, la souffrance des victimes. Et celle-là a besoin d’autre chose que de clémence. Celle-là a clairement besoin du signal fort d’une vraie punition. D’une vraie reconnaissance de l’incommensurable tort commis.  Pour pouvoir espérer amorcer sa propre reconstruction.

Et il n’y a pas que les victimes directes. Il y a aussi les autres, toutes ces victimes silencieuses qui ont besoin d’un signal, un signal pour arriver à braver leur propre silence. Un enfant sur cinq est victime d’agression sexuelle dans le monde. Et dans 80 % des cas, l’agresseur est un proche. Il y a plusieurs façons de briser une vie. Et il y a encore tant à faire pour que la pédocriminalité soit reconnue comme un crime à part entière.

Et puis il y a un pays tout entier qui a besoin, somme toute, de voir justice être faite. Un pays qui reste sur sa faim de la non-condamnation de Harry Tirvengadum dans le scandale Air Mauritius pour « raisons médicales ». Un pays qui ne comprend pas qu’un voleur de litchis puisse écoper de six mois de prison ferme alors que des agressions sexuelles sur des fillettes ne sont punies de rien. Un pays qui s’interroge sur le fait que cette clémence s’exprime pour un « Franco-mauricien ». Un pays qui se demande si La Fontaine avait raison lorsqu’il écrivait : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir »…

Réponses très attendues…

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