Quand le « jigri dosh » devient le « jaani dushman » (*)

On dirait que, selon la formule consacrée, la fameuse Special Striking Team « finn dekouver Lamerik lor map ». En effet, on a appris, il y a quelques jours, que les enquêteurs de cette division venaient de découvrir l’existence d’une pratique devenue un business organisé : le vol des fils de cuivre. Une descente des lieux — abondamment médiatisée, comme toutes les opérations de cette « team » — dans une fonderie de métaux à La Tour Koenig a mené à la découverte de vingt tonnes de cuivre destinés à l’exportation. Deux cadres de l’entreprise ont été interrogés par la police, mais pas le propriétaire, un ressortissant indien — qui a déjà obtenu la nationalité mauricienne ? — qui se trouve actuellement à l’étranger. Il pourrait être arrêté à son retour. J’ai écrit que la SST semble avoir découvert « Lamerik lor map » parce que le vol des fils et objets en cuivre, et leur transformation en lingots, est un business lucratif qui date de plusieurs années. Un business protégé par le gouvernement, qui a fait fermer une petite industrie qui existait depuis la colonisation : les récupérations de la vieille ferraille, le scrap metal. Ce métier consistait à récupérer les vieilles ferrailles et autres métaux dont les entreprises avaient besoin de se débarrasser et des les exporter. Il était estimé, en 2015, que l’industrie de la vieille ferraille exportait environ 25 000 tonnes métriques par an, représentant environ 10 millions de dollars, payait des millions sous forme de taxes à la MRA et employait plusieurs milliers de Mauriciens comme vendeurs, collecteurs, transporteurs et des exportateurs vivant très bien de ce métier.

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Jusqu’à l’entrée sur ce marché d’un nouvel acteur, l’entreprise Samlo. Dont le propriétaire est Mahen Gowressoo, qui fait alors partie du PTr, occupe les fonctions de ministre de la Culture et va obtenir tous les permis qu’il veut pour développer son entreprise. Il en obtiendra d’autres quand il quitte le PTr pour le MSM en 2014, devient une star witness dans l’affaire Betamax, est décoré et surtout obtient du gouvernement MSM l’interdiction pour les autres entreprises d’exporter des vieilles ferrailles. Mieux, des hauts cadres du ministère du Commerce se comportent comme des agents et incitent les entreprises qui vont fermer leurs portes à vendre leurs stocks à Samlo. Qui détient alors le monopole de l’industrie de la vieille ferraille à Maurice. L’interdiction d’exporter va obliger les entreprises à mettre fin à leurs activités et licencier leurs employés. Des centaines de Mauriciens vont perdre leur emploi, les propriétaires des entreprises sont forcés de vendre leurs actifs, leurs entrepôts et les terrains sur lesquels ils étaient construits pour rembourser leurs emprunts. Beaucoup ont perdu leur emploi, d’autres ont été tout simplement ruinés. Le gouvernement avait annoncé que l’interdiction avait été décidée pour mettre fin au vol de fils en cuivre du circuit téléphonique de Mauritius Telecom. Les vols vont continuer alors que des permis pour ouvrir des fonderies seront octroyés à des hommes d’affaires étrangers. La principale activité de ces nouvelles entreprises est de fondre les objets en cuivre, dont les fils, pour les transformer en lingots. Personne ne posera la question essentielle : puisque Maurice ne possède pas de mine de cuivre, où est-ce que ces fonderies vont obtenir la matière première pour leur activité ? Avec le landing de la SST à la fonderie de La Tour Koenig et la découverte de 20 tonnes de cuivre, il semble que la réponse a été trouvée : ce sont les vols de cuivre qui fournissent la matière première aux fonderies.

À l’époque déjà, on disait, dans le milieu des ferrailleurs, que l’interdiction d’exportation avait pour but de permettre à Samlo de créer un monopole dans le secteur, mais surtout de permettre le recyclage des fils en cuivre de MT qu’on allait remplacer par la fibre optique. Il se chuchotait qu’un « very big boss » était à la tête de l’opération et qu’il avait des associés tout aussi puissants. Mais comme tout le monde était protégé, aucune escouade de la police n’a jamais ouvert une enquête sur les activités des fonderies — en dépit de dénonciations pour pollution — pour leur demander la provenance de leur matière première. Et là, subitement, depuis que Sherry Singh n’est plus le jigri dosh de Pravind Jugnauth, qu’il est désormais considéré comme son jaani dushman, les dossiers autrefois interdits sont ouverts. On dit haut et fort ce qu’on osait à peine chuchoter au temps où la maharajah autoproclamé était tout puissant, intouchable. On laisse entendre aujourd’hui qu’il était à la tête du business des fonderies qui, avec les fils de MT — volés ou vendus — aurait rapporté des millions. Les biens de certains propriétaires de fonderies ont été gelés, comme ceux appartenant à Shery Suingh et sa famille. Après avoir bien profité de son statut de jigri dosh, le maharajah doit maintenant affronter la condition d’un jaan dushman.

Comme quoi, la roue tourne…

(*) quand le meilleur ami devient le pire ennemi

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