Ce vendredi 20 janvier 2023, alors que tous nos établissements éducatifs étaient fermés pour la 3ème fois en 10 jours en raison d’alertes fortes pluies qui ne se sont pas réellement concrétisées, un reportage de la BBC attirait l’attention sur “The cycle-mad city that doesn’t stop for snow”.
Ce reportage met en lumière le cas de Oulu, ville de 200 000 habitants dans le nord de la Finlande, couverte de neige 5 à 6 mois par an sans que cela n’empêche ses habitants de continuer à se déplacer en utilisant leur vélo comme d’habitude. Ainsi, si en été 77% des habitants de la ville utilisent un vélo pour se déplacer, en hiver, même avec des températures qui avoisinent les -14°C et descendent parfois en dessous de -30°C, il y a toujours plus de 50% de cette population qui utilisent les vélos au quotidien, y compris pour aller à l’école ou travailler.
Pekka Tahkola, urban wellbeing engineer interrogé dans ce reportage déclare: « Il ne nous est jamais venu à l’esprit que nous n’utiliserions pas nos vélos en hiver. Our conditions and maintenance are so good that they make it possible for everybody, to cycle and walk around the whole city.”.
Disposant de 950 kms de pistes cyclables dédiées et sécurisées, Oulu considère et traite l’entretien de ses pistes cyclables comme « an absolute top priority ». Les contracteurs affectés à la maintenance doivent ainsi enlever la neige des pistes prioritaires dans les 3 heures qui suivent 2cm de neige, et cela 24 heures sur 24. « It all comes down to city planning. And it’s about maintenance and the quality of infrastructure”, insiste Pekka Tahkola. « People are saying that we are hardcore. No, we’re just regular wimps who are blessed with good infrastructure and good maintenance”.
Aujourd’hui à Maurice, on entend souvent ironiser autour du fait que nous serions devenus des « wimps », des petite-nature qui craignent de sortir à la moindre averse, contrairement à ce qui se faisait il y a 30 ou 40 ans. C’est ne pas prendre en compte tout ce qui a changé au cours de ces dernières décennies. C’est ne pas prendre en compte le changement climatique induit par l’activité humaine qui nous met maintenant à la merci de flash floods, ces pluies torrentielles qui, après des périodes de sécheresse, font tomber en quelques minutes autant d’eau qu’en plusieurs mois sur des terres desséchées, incapables de les absorber.
C’est ne pas prendre en compte le bétonnage tous azimuts auquel nous ne cessons de soumettre notre territoire, ce béton tentaculaire qui semble croître sur notre sol comme une lèpre inarrêtable.
Cette semaine, des chercheurs américains ont annoncé avoir percé à jour l’exceptionnelle résistance du béton romain, qu’incarne notamment le Panthéon de Rome. Ce célèbre édifice, coiffé du plus grand dôme en béton non-armé au monde, a été construit au début du 2ème siècle et semble n’avoir pas bougé. Pour tenter de comprendre cette exceptionnelle longévité, ces chercheurs ont examiné des échantillons de ce béton et ont découvert que de la chaux vive y avait été incorporée au moment de sa fabrication (et non de la chaux éteinte comme on le pensait jusqu’ici). Ainsi, lorsque, sous l’effet du temps, le béton se fissure et que l’eau de pluie y pénètre, celle-ci rencontre les petits grains de chaux vive. La réaction chimique ainsi produite génère une substance qui, en durcissant, finit par colmater la fissure. Selon ces chercheurs, ce procédé permet au béton de « cicatriser », de s’auto-réparer. Pour eux, le secret de fabrication de ce béton antique « pourrait inspirer la mise au point de matériaux plus durables et plus écologiques pour construire nos bâtiments modernes ».
Mais nous semblons ne vouloir nous inspirer de rien du tout. On bétonne, on bétonne, on bétonne, sans penser aux conséquences pourtant déjà visibles. Et l’on arrête tout à la moindre pluie, parce que l’on sait bien que notre « développement » nous met désormais en danger, que la moindre averse peut rapidement avoir des conséquences catastrophiques, parce que non seulement nous bétonnons là où nous ne devrions pas, mais en plus nous péchons au niveau des infrastructures d’accompagnement comme les drains. A la différence des habitants de Oulu, nous ne sommes pas « blessed with good planning, good infrastructure and good maintenance ». Nous sommes prisonniers de notre dit « développement ».
Nous ne sommes pas les seuls. A travers le monde aujourd’hui, fourmillent les exemples de développement inconsidéré voulu par des politiques qui semblent conjuguer avec appétit incompétence et arrogance. En s’accrochant à un pouvoir qu’ils considèrent comme un attribut personnel.
C’est dire, parallèlement, le choc provoqué ce jeudi 19 janvier par la Première ministre de la Nouvelle Zélande, Jacinda Ardern, lorsqu’elle a annoncé publiquement sa démission après cinq ans et demi au pouvoir et à neuf mois des élections législatives.
Devenue, à 37 ans, la plus jeune Première ministre au monde, Jacinda Ardern a affirmé, avec une émotion palpable, qu’elle n’avait plus l’énergie nécessaire pour solliciter un nouveau mandat des électeurs. On voit déjà ceux qui affirmeront que malgré tout ce qu’elles proclament, les femmes n’ont pas « what it takes » pour assumer des responsabilités politiques de premier plan. Jacinda Ardern a pourtant prouvé le contraire avec brio.
Durant son mandat, elle est devenue, en 2018, la première femme depuis Benazir Bhutto au Pakistan en 1990 à donner naissance à un enfant pendant son primeministership. Elle a géré la pandémie de Covid-19 depuis mars 2020, une éruption volcanique meurtrière en décembre 2019 et le pire attentat jamais perpétré en Nouvelle Zélande, avec le meurtre de 51 fidèles musulmans dans deux mosquées de Christchurch par un suprémaciste blanc en mars 2019. Ce qui l’a conduite à réformer les lois sur les armes. Elle a aussi été à la base d’avancées décisives par rapport à la population indigène du pays, nommant une Maorie, Nanaia Mahuta, au poste de ministre des Affaires étrangères et oeuvrant à l’intégration de la langue maorie dans les écoles. Au monde, elle a donné une leçon de good governance et d’efficacité pétrie d’humanité, de compassion, d’humilité. Pour autant, les attaques sexistes ne lui ont pas été épargnées.
Au milieu de tout cela, The Japan Times met en avant qu’aux côtés d’Ardern, d’autres jeunes leaders femmes, comme la Première ministre finlandaise Sanna Marin ou la Première ministre de la Suède Mette Frederiksen, qui ont émergé au cours de cette dernière décennie, s’inscrivent en contrepoint des « loud, attention-seeking and narcissistic male leaders riding a wave of populist sentiment. They show us that countries can be run not only with force and bravado, but with compassion as well as a sense of humor. You can be a deft politician and an empathetic one, while having a laugh along the way”.
Mais la démission de Jacinda Ardern met aussi en lumière les défis d’atteindre la diversité et la parité en politique et ailleurs. « It’s not just about getting women there, but keeping them”. L’arène politique demeure en effet rude pour les femmes, et la décision d’Ardern montre aussi à quel point il demeure difficile pour les femmes, même les plus déterminées, à composer entre vie privée et exercice politique.
Nous avons pourtant tant besoin d’autres Jacinda Ardern, pour nous convaincre que la politique peut être quelque chose qui nous élève, qui nous libère…
Prisonniers de notre « développement » ?
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