Il y a le rapport à la Terre, notre planète.
Rapport d’exploitation tous azimuts. Rapport devenu plus que problématique, rapport carrément en crise avec tout ce qui menace de façon de plus en plus cruciale et urgente notre survie même dans ce monde.
La COP 28 qui s’est tenue à Dubaï, aux Emirats Arabes Unis, du 30 novembre au 12 décembre dernier, témoigne de ce rapport. Cette 28ème édition de la conférence des Nations Unies sur le changement climatique s’annonçait d’emblée comme « une COP hors norme ».
D’abord parce que ce rendez-vous censé inciter les pays à passer la vitesse supérieure sur la transition énergétique se tenait à Dubaï, septième plus gros producteur mondial de pétrole. Ensuite parce qu’elle était présidée par le sultan Ahmed al-Jaber, PDG du géant pétrolier ADNOC (Abu Dhabi National Oil Company), dont le rôle à ce poste a fait débat avant même le début de l’évènement, le changement climatique étant principalement provoqué par l’utilisation des énergies fossiles.
Mais si certains ont crié au scandale, le boycott n’était pas envisagé tant les enjeux étaient énormes et cruciaux au terme d’une année où la surchauffe climatique est plus que jamais devenue une brûlante évidence à travers le monde.
De fait, plus de 97 000 personnes ont été accréditées pour cette COP, soit deux fois plus que l’an dernier, et environ 180 chefs d’Etats et de gouvernements y étaient attendus. Mais certains craignaient un fiasco, même si d’autres, comme Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies, avait estimé qu’Ahmed al-Jaber serait peut-être « dans une meilleure position pour dire cette nécessité à ses collègues de l’industrie des énergies fossiles que s’il était membre d’une ONG avec un bilan pro-climat solide».
Il a peut-être eu raison.
Contre toute attente, cette COP a vu ce que certains ont appelé « la levée du tabou sur la sortie des énergies fossiles ». Comme le souligne le journal Le Monde, pointer frontalement l’origine du problème était inédit dans l’enceinte d’une COP, alors même qu’il est établi que les énergies fossiles sont responsables de 80 % des émissions de gaz à effet de serre. Et « réussir à lever ce tabou n’avait rien d’évident à l’ouverture des discussions », ce dont témoigne le fait que jusqu’au dernier moment, les pays producteurs ont mené un lobbying intensif pour éviter que le rôle joué par le pétrole, le gaz et le charbon dans le dérèglement climatique ne soit pas mentionné.
Mais les 198 nations réunies à Dubaï sont parvenues, au final, à poser ce préalable, et donc à renverser un discours qui affirmait, jusqu’ici, que se passer des énergies fossiles était une chose totalement irréaliste et inenvisageable. Il y a donc là une avancée indéniable, qui pose comme irréfutable un constat scientifique pourtant abondamment documenté.
En sus de cela, cette COP a aussi vu ces pays s’entendre, en conséquence, sur une transition écologique hors des combustibles fossiles, avec un triplement de la capacité de production d’énergies renouvelables et un doublement des taux d’efficacité énergétique d’ici à 2030.
Reste que la question du financement, énorme, et du calendrier exact de ce processus d’abandon des énergies fossiles reste flou. Le texte final de la COP28 parle ainsi de parvenir à zéro émission nette en 2050, mais ne fixe pas d’agenda précis.
Ce n’est donc pas un aboutissement en soi, et il faudra voir les engagements concrets que chaque pays devra présenter en 2025.
Cela montre malgré tout que les mobilisations citoyennes qui se sont intensifiées ces dernières années peuvent amener un avancement. Mais aussi qu’elles devront se maintenir et s’intensifier pour que tout cela ne reste pas du lip service…
Car il y va pas seulement de menaces futures à notre survie mais d’atteintes graves, d’ores et déjà, à notre santé. C’est notamment ce qu’ont fait ressortir des organisations internationales représentant 46,3 millions de professionnels de santé à travers le monde qui, un mois avant la tenue de la COP 28, avaient adressé une lettre à son président, où elles appelaient à abandonner les énergies fossiles et réclamaient une transition énergétique juste pour « sauver des vies ». Car outre les conséquences de la pollution sur la santé humaine, il y a aussi l’intensification des catastrophes naturelles qui « provoquent des blessures, des décès et des problèmes de santé mentale chez les survivants ». Sans compter le fait que le changement climatique, en déréglant les températures, les précipitations et les écosystèmes, favorise l’éclosion de nouveaux virus ou fait prospérer ceux qui existent déjà. « Une suppression entière et rapide des énergies fossiles est la meilleure façon de fournir une eau, un air et un environnement propres, indispensables pour une bonne santé», affirmaient ces professionnels de santé.
Plus que jamais, cela urge…
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Il y a le rapport à la terre comme territoire. Territoire qui se définit en termes dont l’incarnation se conjugue de façon défensive/offensive.
Le conflit israélo-palestinien ne cesse de nous le montrer.
Combien prétendre prendre une terre à ses habitants est une entreprise qui ne peut jamais aboutir à la paix.
Combien la revendication d’une terre peut être une menace destructrice pour la vie humaine, et pour la sécurité de l’ensemble de la planète.
Comment, parfois, le rapport à la terre peut être meurtrier.
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Et puis il y a le rapport à la terre comme on l’ignore trop souvent. Pas la terre que l’on voit seulement comme ce qui salit nos chaussures, non, la terre qui nous sublime. Qui fait que nous nous sentons d’un lieu de la plus profonde et inspirante manière.
C’est ce que vient de montrer Shakti Callikan, en ce mois de décembre, à travers « Terres Marronnes ».
A la base, tout part chez elle d’une envie de faire de la poterie. Mais très vite, elle est intriguée par le fait que nous avons recours à l’importation pour quasiment tout ce qui est nécessaire pour en faire, notamment l’argile.
A partir de là naît une question : la terre de Maurice ne se prêterait-elle pas à cette pratique ?
Avec l’aide de géographes et agronomes, elle se penche alors sur les diverses ères et aires géologiques de notre île, identifie, arpente, fouille, gratte, recueille des échantillons, tente des expérimentations. Par la suite, elle partage avec nous ces terres recueillies et travaillées, ses textures, ses couleurs, ses nuances, ses crissements, son granulé, sa consistance, sa densité, sa malléabilité, ses mélanges, ses métissages, ses créations.
Et c’est beau comme un chant.
C’est beau et inspirant.
Car cela nous ancre dans une histoire millénaire. Cela permet d’envisager plus profondément, de se réapproprier et de réinventer ce qui au fond nous lie tous, qui ancre nos racines, qui porte nos pas.
Cela nous donne à ressentir, charnellement, ce qu’il y a d’infime et de grand à prendre notre
terre entre nos mains. Dans une île où la question des terres est aussi source d’exploitation et d’exclusion.
C’est un cadeau qui élève l’imaginaire en ces temps où déterrer ne fait que trop penser à des cadavres.
C’est un présent qui nous redonne à rêver comme la pluie fait monter cette senteur si riche et subtile de terre qui infuse…
SHENAZ PATEL