L’ampleur de la victoire électorale – 60-0 et 72% des suffrages – donnait à l’Alliance du Changement les moyens, et le mandat, pour réaliser ses deux slogans de la campagne : le changement et la rupture avec les méthodes passées. Cette éclatante victoire lui offrait la possibilité de revoir, de fond en comble, le fonctionnement des institutions pour faire de Maurice un pays moderne dans les faits, pas uniquement au niveau des slogans. C’est ce que l’électorat jeune, qui en général boude la politique et les élections, et celui des femmes – plus de 50% de la population – espéraient. Les longues négociations tergiversations qui ont débouché sur la composition du nouveau cabinet ministériel a révélé ce que certains redoutaient : pour le changement, il faudra repasser. Ce n’est pas demain la veille que la rupture avec le passé sera actée. En dépit des promesses et des engagements pris, c’est le système mis en place avant l’Indépendance et qui ne correspond plus à ce que Maurice est devenu depuis, qui a été choisi.
Les critères de sélection des ministres n’ont pas été la compétence et les qualifications, mais l’appartenance communale et castéiste et la loyauté, pas vis-à-vis du pays et des habitants, mais vis-à-vis des leaders de leurs partis politiques. La photo officielle du cabinet ministériel est une illustration de ce système politique où chacun est à la place de la communauté ou de l’ethnie qu’il est censé représenter. Comme quoi, on change d’acteurs, mais au fond on continue à faire comme avant. Mais est-ce qu’il pouvait en être autrement dès lors que les candidats à la députation ont été sélectionnés sur cette base du système, avec les conseils des présidents des associations socioculturelles qui affirment parler au nom de communautés ou de religions mais qui, en fait, défendent leurs intérêts particuliers ou des concepts dépassés? C’est ainsi qu’une jeune candidate, bien sous tous rapports, a été écartée d’une circonscription urbaine parce que, selon les pressions des « consultats sociaux religieux » que les politiciens écoutent : « dans nou, bann madam napa fer politik. » La candidate a été déplacée vers une circonscription rurale où, démentant tous les pronostics des « consultants », elle a été élue !
En dépit du fait que la majorité des habitants de ce pays sont du sexe féminin, c’est seulement une petite poignée d’entre elles qui ont obtenu un ticket. Apres les 60-0, on aurait pensé que l’Alliance aurait fait la part belle aux candidates élues en réparant ainsi l’erreur qui a consisté à ne pas en choisir plus. Encore une fois, ce sont les règles des réalités électorales – édifiées avant l’Indépendance, alors qu’une femme candidate était une exception – qui ont prévalu. Dans le nouveau cabinet composé de 24 ministres, il n’y a que deux femmes alors que, répétons-le, les femmes sont majoritaires dans le pays. Dans une tentative d’essayer de rattraper cette erreur politique, les leaders de l’Alliance ont nommé plusieurs élues au poste de Junior Minister. Mais un Junior Minister n’est qu’un Junior qui travaille pour le compte et dans l’ombre du ministre qu’il doit seconder. Il ne participe pas aux délibérations du cabinet où les décisions sont prises. Et l’on s’étonnera que les femmes choisissent de s’épanouir dans d’autres domaines que la politique. En tout cas, pour la parité et le partage des responsabilités, il faudra repasser. Autant que sa composition, c’est l’âge des occupants du front bench du nouveau gouvernement qui interpelle. Ce bench, censé donner une image forte du nouveau gouvernement, montre 3 membres du 3ème âge et un cinquantenaire. Derrière eux, des ministres qui ont déjà occupé des fonctions ministérielles, ce qui indique qu’ils ont beaucoup de kilomètres au compteur. Comment veut-on que les jeunes s’identifient aux personnes occupant les premières places de ce gouvernement et aient envie de se lancer dans la politique ? Ils le feraient, d’ailleurs, que leur élan serait coupé par ceux qui sont dans la place et n’ont aucune intention de la céder !
Après ces premiers pas depuis les élections, on pourrait avoir tendance à croire que, malgré les 60-0 qui lui donnaient un mandat pour apporter le changement du pays, l’Alliance du Changement ne jouera pas la carte de l’innovation et de la remise en cause, mais celle de la continuité et du respect d’un système obsolète. Pour certains, en ce faisant, l’Alliance est en train de passer à côté de ce que les Mauriciens réclament. Peut-on encore espérer une rupture avec le système du passé et un vrai changement de logiciel, avant qu’il ne soit trop tard ?
L’avenir nous le dira.