Patrick Assirvaden, président du PTr : « Ce n’est pas Pravind Jugnauth qui dirige le pays ! »

Notre invité de ce dimanche est Patrick Assirvaden, le président du Parti travailliste. Dans l’interview, réalisée vendredi matin, il fait le procès du gouvernement, explique la reprise et l’objectif des « koz kozé » politiques entre le leader de son parti, le Dr Navin Ramgoolam, et celui du MMM, Paul Bérenger. Patrick Assirvaden donne également son opinion sur l’incident qui a récemment opposé sur une radio privée Sakheel Mohamed et Roshi Badhain.

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Comment se porte le PTr au lendemain de son 86e anniversaire, célébré mercredi dernier ?

Le PTr continue à faire son petit bonhomme de chemin, lentement et sûrement. Nous sommes présents au Parlement, dans les circonscriptions, faisons du travail de restructuration, continuons à recruter des jeunes adhérents, avons des comités qui travaillent sur différents sujets comme l’éducation, l’énergie, le logement, l’économie et les administrations régionales.

Cela veut dire que toutes les instances du parti sont en activité, que son Bureau politique se réunit régulièrement ?

Bien sûr, la situation sanitaire nous a obligés, comme tous les autres partis politiques, à prendre certaines précautions, à ralentir certaines de nos activités publiques, d’autant plus que notre leader a été particulièrement touché par la pandémie. Mais nos différentes instances fonctionnent et les membres du BP, l’instance dirigeante, se parlent et se concertent tous les jours et prennent les décisions qu’il faut et interviennent quand le besoin se fait sentir. Par exemple, le leader intervient régulièrement dans le débat public.

Vous êtes allé en Cour, la semaine dernière, pour faire des démarches afin de débloquer les comptes bancaires du PTr. Est-ce que nous parlons des fameux plus de 200 millions découverts chez Navin Ramgoolam ?

Non. J’ai juré un affidavit pour faire libérer un compte du PTr, dont nous avons besoin pour les frais de fonctionnement du parti et pour le remboursement des dépenses médicales du Dr Ramgoolam en Inde. Le compte dont nous parlons n’a rien à faire avec les millions saisis chez le Dr Ramgoolam. Nous espérons que le FIU ne fera pas d’objection pour lever les interdits sur ce compte bancaire qui n’a fait l’objet d’aucune enquête. Nous espérons que la Cour suprême accédera rapidement à notre demande.

On dirait que le compte bancaire gelé dont nous parlons est assez conséquent ?

Il l’est. Mais il est sans aucune comparaison avec celui du MSM. Les 200 millions de Ramgoolam ajoutés aux comptes du PTr ne sont que des peanuts comparés à la fortune de guerre que le MSM est en train d’amasser par tous les moyens en nommant ses dimounn dans les institutions du pays ou en leur attribuant des contrats faramineux.

Passons à la politique. Les koz kozé entre Navin Ramgoolam et Paul Bérenger ont repris depuis quelques semaines. Est-ce que cela signifie que la tentative du MMM et du PMSD d’écarter – pour être poli – Navin Ramgoolam du poste de PM d’une éventuelle alliance des partis d’opposition pour les élections de 2024, a été oubliée, pardonnée ?

Permettez-moi de rappeler que c’est le PTr qui en premier, et par la voix de son leader, souhaita une entente des partis de l’opposition au Parlement pour faire face au gouvernement après les élections de 2019. Ce vœu a été réalisé mais quelque temps après, est survenu le problème que vous venez d’évoquer, et le PTr s’est retiré de cette entente pour des raisons évidentes. Le PTr n’est pas un parti bloqué sur des positions et des décisions prises dans le passé. Comme dit le proverbe, seuls les imbéciles ne changent jamais. La situation aujourd’hui à Maurice nous pousse à écouter les propositions du MMM et du PMSD, à partager avec eux notre réflexion pour refaire l’entente. Les partis d’opposition ne peuvent rester chacun dans leur coin, alors que le gouvernement MSM est en train de finir le pays. Nous devons mettre de côté nos égos et écouter ce que les autres partis ont à dire, à proposer sur le plan politique.

Est-ce qu’il ne serait pas plus logique de conclure une alliance de l’opposition pour les élections municipales, qui auront lieu bientôt, au lieu de koz kozé pour les générales qui sont prévues pour 2024 ?

Cette question figure aussi au menu des discussions en cours. Pour le moment, comme l’a dit Paul Bérenger, « nothing is agreed until everything is agreed ». Il est important pour le PTr que les choses soient clarifiées au cours de ces discussions, avant d’en arriver au stade des propositions.

En termes de clarifications, qu’est-ce qui est primordial et fondamental pour le PTr, aujourd’hui ?

Premièrement, que le PTr sera le leader de toute éventuelle alliance électorale des partis de l’opposition. Deuxièmement, que les postes de leader et de whip de l’opposition reviennent au PTr, comme c’était le cas en 2019, dès maintenant. Il y a ensuite le gros morceau : le programme de rupture économique gouvernemental du PTr qui doit être accepté par nos partenaires. Il ne suffit pas de prendre le pouvoir, il faut mettre en place une stratégie pour gérer le pays, le sortir de là où l’a mené le MSM.

Qui sera le Premier ministre de cette éventuelle alliance et pour combien de temps ?

Il coule de source que ce sera le Dr Navin Ramgoolam qui devra être, comme je vous l’ai déjà dit, un Premier ministre de la transition. Cette idée a fait son bout de chemin, mais les modalités n’ont pas encore été décidées, et ce n’est certes pas dans la presse que cette discussion se fera. L’important c’est le programme gouvernemental et une équipe pour l’appliquer. Un programme sur des engagements fermes sur ce que nous allons mettre en place, ce que nous allons faire avec certaines institutions, sur quels critères seront faites les nominations à des postes névralgiques. Ce sont des questions qui doivent être étudiées en profondeur lors des prochaines séances de discussions. Pour le moment, il faut nous concentrer sur la rentrée parlementaire et les élections municipales, et ce sont des sujets à l’ordre du jour des rencontres entre les leaders du PTr et du MMM.

Il y a quinze jours dans WeeK-End, Reza Uteem disait qu’après chaque épisode de koz kozé, Paul Bérenger venait rendre compte au BP du MMM. Est-ce que c’est la même chose au PTr ?

Le Dr Ramgoolam briefe les cadres du PTr sur l’avancée des discussions. Le BP du parti n’interviendra que quand nous aurons du concret, des propositions fermes et claires à ratifier avec ou sans amendements pour savoir où le PTr doit faire des efforts pour que l’Entente soit refaite.

Quels sont les principaux «efforts» que les autres partis de l’opposition parlementaire doivent faire pour que l’Entente puisse re-exister ?

Je vous l’ai dit : le programme gouvernemental de rupture à mettre en place. Avec ce que le Dr Ramgoolam et le PTr ont vécu de 2014 à aujourd’hui, nous avons un autre regard sur le pays, la manière d’exercer le pouvoir et le fonctionnement des institutions. Nous ne pensions pas qu’un gouvernement aurait pu faire ce que fait Pravind Jugnauth et ses alliés ont fait depuis 2014. Nous étions comme ces dirigeants européens naïfs qui ne pensaient pas que Vladimir Poutine était capable de faire ce qu’il vient de faire en Ukraine…

Vous êtes en train de comparer Pravind Jugnauth à Vladimir Poutine ?

Je ne fais aucune comparaison, mais je me demande s’ils n’ont pas, tous les deux, la même tentation dictatoriale. Nous ne pensions pas que l’ICAC allait devenir ce qu’elle est aujourd’hui ; que le Commissaire de police allait être on probation avant d’être nommé ; que la corruption allait se développer jusqu’au niveau qu’elle a atteint aujourd’hui. C’est un gouvernement qui mène le pays à la dérive, comme les trois chalutiers échoués à quelques kilomètres de Pointe aux Sables. C’est pour toutes ces raisons qu’en tant que parti responsable, le PTr discute avec ses partenaires de l’opposition.

Est-ce que la reprise des koz kozé signifie que le PTr a abandonné la stratégie du seul contre tous aux élections, dont vous étiez un ardent défenseur ?

Je suis toujours partisan de cette stratégie, mais cette idée n’est pas majoritaire au sein du BP rouge et je me rends compte, par ailleurs, qu’avec le système électoral dans une lutte à trois, le MSM risque de l’emporter. Il faut tenir compte des réalités et des critiques des observateurs et des citoyens qui disent que la division de l’opposition ne fait que renforcer le pouvoir du gouvernement. Il faut mettre les égos de côté, faire des compromis, mettre de l’eau dans le vin de la part de tous les partenaires, surtout quand on regarde ce que nous avons en face de nous. Pravind Jugnauth a le titre de Premier ministre, mais ce n’est pas lui qui dirige le pays. La ficelle est tirée du Sun Trust…

Pas de la kwizinn ?

C’est la même chose. Ce n’est pas Pravind Jugnauth qui prend les décisions mais le Sun Trust /la kwizinn. Les prédécesseurs de Pravind Jugnauth pouvaient avoir leurs défauts, leur caractère, une manière forte de parler, mais c’étaient eux qui dirigeaient le pays. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, ce n’est pas le PM qui décide, mais la kwizinn. Après le scandale de la censure du message du Cardinal, décidé par le directeur adjoint de la MBC, au lieu d’être sanctionné, il est nommé directeur général sur la pression de la kwizinn!   Quand on voit où en sont les institutions du pays, il est de notre devoir, en tant que responsables de partis d’opposition, de mettre de côté nos égos et nos dissensions et d’arriver à un arrangement pour débarrasser le pays de ce gouvernement. Le plus important c’est de faire partir cette équipe de jouisseurs qui est au pouvoir.

Est-ce que le fait de reprendre le poste de leader de l’opposition à Xavier-Luc Duval ne pourrait pas l’inciter à aller voir ailleurs politiquement ?

Je ne le crois pas. Xavier-Luc Duval est trop conscient de la gravité de la situation du pays pour aller voir ailleurs. Il ne faut pas oublier que c’est parce qu’il était en désaccord avec la manière du MSM de diriger le pays qu’il avait démissionné du gouvernement. D’ailleurs, il a déjà dit qu’il était prêt à quitter le poste de leader de l’opposition.

Passons maintenant au virulent duel qui a opposé Shakeel Mohamed et Roshi Bhadain. Quel est votre commentaire sur cet incident radiophonique ?

Les deux protagonistes ont de fortes personnalités. Shakeel Mohamed a une position sur le Commissaire électoral, que je ne partage pas forcément tout comme la direction du PTr. La manière dont Roshi Bhadain a traité Shakeel Mohamed, le ton et le langage utilisés sont inacceptables pour moi. Ce n’est pas à Roshi Badhain de décider de la hiérarchie du PTr et de qui aura ou n’aura pas un ticket. Le problème Bhadain pour moi…

Parce qu’il y a un problème Badhain ?

Le problème Badhain c’est, je l’ai déjà dit, le problème de l’Espoir et c’est à eux de le régler.

Pas si vite ! Jusqu’à preuve du contraire, Roshi Badhain et son Reform Party font partie de l’Espoir qui regroupe tous les partis de l’opposition qui discutent pour créer un front contre le gouvernement. Vous êtes en train d’attaquer l’un d’entre eux.

Le PTr a été attaqué avant, je ne fais que répondre. Ce n’est un secret pour personne qu’il y a une méfiance entre l’électorat du PTr et Roshi Bhadain. Cette méfiance a été amplifiée par les déclarations de Bhadain, le ton et les mots utilisés contre Shakeel Mohoamed et les interférences dans les affaires internes du PTr que je condamne, et je vais en rester là !

Trop facile. Si j’ai bien suivi votre raisonnement, l’Entente en train de se mettre en place serait bien mieux sans Roshi Bhadain ?

Nous verrons quand les négociations pour relancer l’Entente arriveront sur la table des discussions. Mais le PTr n’a pas été attaqué que par Roshi Badhain. Il y a eu aussi des piques de Nando Bodha, mais lui est un gentleman, sait faire preuve de diplomatie, a une manière de parler…

Bodha serait, pour le PTr, plus fréquentable politiquement que Bhadain ?

J’ai dit ce que j’avais à dire sur ce sujet. Ce qui ne veut pas dire que je partage les opinions de Shakeel Mohamed sur le Commissaire électoral. L’urgence du moment est plus sur un accord pour un programme municipal que pour la répartition des postes et des tickets pour après. Le PTr a un programme municipal qui est pratiquement prêt, comme nos candidats.

Ce qui veut dire que s’il n’y a pas d’Entente, le PTr pourrait, comme l’avait déjà déclaré Eshan Jummun, un des députés rouges, aller seul aux municipales ?

Nous pourrions le faire, mais nous nous donnons la possibilité de faire revivre l’Entente des partis de l’opposition pour aller ensemble aux municipales. Pour commencer.

Mais comment faire revivre cette entente si, au départ, vous n’êtes pas d’accord avec Badhain et Bodha ?

Il y a eu un incident sur lequel j’ai donné mon sentiment, tout comme j’ai relevé certaines piques dans le cadre d’un dialogue clair et franc.

Revenons sur le Commissaire électoral. Est-ce que le PTr fait partie de ceux qui pensent qu’il doit démissionner ?

Je ne comprends pas pourquoi après avoir accepté le Recount au no. 19, le Commissaire électoral le refuse au no. 15 où existe la même situation. Je ne comprends pas pourquoi le Commissaire électoral refuse de se présenter en cour alors qu’il affirme que les élections se sont déroulées en toute transparence. En ce qu’il s’agit de sa démission, je me pose la question suivante : si Irfan Rahman démissionne, par qui est-ce que le gouvernement le remplacera? Un avocat de la kwizinn comme on l’a fait dans d’autres institutions ? Ce qui ne m’empêche pas de dire qu’Irfan Rahman a déçu par son comportement dans l’affaire des pétitions électorales.

Arvind Boolell a déclaré à un confrère, dimanche dernier, qu’en cas de victoire des oppositions en 2024, le poste de PM sera occupé dans un premier temps par Navin Ramgoolam. Qui prendra la suite ?

Rien n’a été décidé à ce niveau dans les instances du PTr. Mais je vous le répète : pour le moment, les priorités sont l’élection municipale, le programme gouvernemental et la rentrée parlementaire.

Les rumeurs qui placent M. Damree comme successeur désigné de Navin Ramgoolma à la tête du PTr et, de facto, au poste de PM pour après la période transitoire, ne sont que des rumeurs ?

C’est une rumeur sans queue ni tête. M. Damree n’est membre d’aucune des instances dirigeantes du PTr : le BP et l’exécutif. C’est quelqu’un qui donne un coup de main au PTr, c’est tout.

Maurice sera officiellement enlevé de la liste noire de l’Union Européenne dans quelques jours. Votre réaction ?

Je suis heureux pour Maurice mais je suis sceptique sur le fond. Parce que les institutions financières d’aujourd’hui sont les mêmes qui, hier, par leur comportement et le non-respect des procédures, ont mis Maurice sur la liste noire. Ces institutions – la FSC, la Banque de Maurice, l’ICAC, entre autres – sont dirigées par les mêmes personnes sous la supervision du même ministre des Finances et du même Premier ministre. Des lois ont été votées, des mesures sont été prises pour donner l’image, l’impression que les choses ont changé, mais est-ce vraiment le cas ? Il faut se dire que les agences internationales ne sont pas dupes des changements en surface. Je ne suis pas un anti patriote quand je le dis, mais un opposant politique qui pose un regard critique sur le fonctionnement des institutions du pays. Quand je vois que le comprimé de Mulnupiravir sort de Rs 9.30 pour arriver à Rs 19 le lendemain sans qu’il n’y ait aucune sanction… Quand je vois un chef de cabinet de la Santé qui, malgré ce scandale, obtient un “early retirement” et s’en va sans problème… On reprochait au PTr en 2014 le soi-disant règne des petits copains et petites copines…

… ce qui n’était pas totalement faux !

Nous avons perdu les élections sur cette campagne et depuis, qu’est ce qui s’est passé ? Depuis, le pouvoir a fait de la nomination et de l’attribution des contrats à ses copains et copines – qu’ils appellent amis d’enfance – une véritable industrie. Nous allons vers un précipice et le gouvernement n’arrête pas la chute, il ralentit seulement la cadence de la chute. Mais plus tard, des comptes seront réclamés. À un moment donné, l’actuel directeur général de la MBC, qui ne respecte pas la MBC Act, aura à répondre de ses décisions, même si elles lui sont dictées par la kwizinn, pour lequelle il se comporte comme un valet.

Je voudrais quand même vous rappeler que l’actuel DG de la MBC a été un die hard du PTr, donc un protégé…

Vous savez combien d’anciens membres soi-disant die hard du PTr ont trahi et vendu le parti depuis les élections de 2014 pour de l’argent, pour une position, une nomination ? La liste des Judas est très longue, croyez-moi ! Plus vite nous nettoierons le pays de ces malpropretés, plus vite les institutions recommenceront à respirer, alors seulement nous pourrons commencer à redresser le pays. Pour y parvenir, il faut une relance de l’Entente des partis d’opposition, mais aussi des partis non représentés au Parlement, des organisations de citoyens engagés. La population, qui n’en peut plus de ce système, demande un nettoyage du pays. Nous pouvons le faire en organisant les oppositions pour qu’elles coordonnent leurs actions et mènent le combat. C’est ça qui est important, pas de savoir qui sera le Premier ministre, pour combien de temps et quelle sera la hiérarchie du prochain gouvernement. Ce que la population souhaite c’est qu’on débarrasse le pays du MSM. Alors, donnons-nous les moyens de le faire en commençant par le koz kozé, en laissant le passé au passé, en mettant nos égos de côté pour regarder l’intérêt du pays, avant celui des partis. Sinon, nous allons vers des crises sociales incontrôlables.

Terminons par une question qui concerne votre circonscription. Que pensez-vous de la déclaration de votre collègue député du no. 15, Gilbert Bablee, qui a promis de transformer Vacoas en Mahattan ?

Je me demande si M. Bablee circule régulièrement dans Vacoas qui est aujourd’hui la ville la plus arriérée de Maurice en termes de voirie, d’entretien des routes, d’éclairage public, sans compter les travaux du métro. Comment ose-t-il parler de Manhattan, alors que des endroits de la ville semblent sortir des pays du tiers monde ? Je crois que M. Bablee a voulu entrer dans l’histoire. Il est entré dans celle du ridicule et a gagné un surnom : celui de maire de Manhattan.

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