Mwa ki mari !

Une amende qui passe de Rs 1 000 à Rs 25 000…
Avouez qu’il y a de quoi bondir.

- Publicité -

En l’annonçant, le gouvernement mauricien a fait valoir qu’il s’agissait non pas de renflouer ses caisses, mais d’œuvrer dans une direction vitale : celle de la sécurité routière.
On pourrait se dire que l’intention est bonne. Car le nombre d’accidents et de morts sur nos routes ne cesse d’augmenter de façon plus qu’alarmante. En 2023, un total de 36 400 accidents de la route ont été enregistrés, soit une hausse de 2,5 % par rapport à l’année précédente. Qui signifie qu’il y a quasiment 100 accidents sur nos routes chaque jour. Et ces accidents ont fait 138 morts (dont 57 motocyclistes et 42 piétons). Des vies interrompues de façon violente, souvent sanglante, des familles et des proches plongés dans la douleur et, en général, un immense sentiment d’injustice.

Et la situation cette année ne semble pas vouloir s’améliorer : au 21 juin 2024, on comptait déjà 67 victimes sur nos routes.

A titre de comparaison, à l’île de La Réunion voisine, le nombre de décès sur les routes a chuté de 33% en 2023 avec 30 cas contre 45 en 2022. Une baisse qualifiée d’historique dans le bilan de sécurité de la préfecture de La Réunion. D’autant que les routes à La Réunion, largement en virages à épingle, seraient objectivement beaucoup plus accidentogènes que nos routes plates. On frémit à l’idée de ce que donnerait à Maurice une route comme celle de Cilaos avec ses 400 virages sur un dénivelé de 2 400 mètres, que les conducteurs-conductrices de l’île sœur négocient dans un respect assez étonnant, pour nous Mauricien-nes, des priorités et des dangers…

Car oui, il faut le dire : nos routes sont devenues, au cours de ces dernières années, une sorte de Far West où règne la loi du plus fort, du plus gros, du plus puissant, du plus rutilant. Au mépris du plus élémentaire respect du Code de la route, voire de la sécurité et ultimement de la vie de l’autre.

Aujourd’hui, on nous annonce que les lois régissant la circulation sur nos routes seront renforcées car trop d’accidents sont provoqués par le non-respect du code de la route. Misant sur l’aspect dissuasif que constituerait le fait de toucher au porte-monnaie, le gouvernement proclame que plus de trente amendes seront révisées à la hausse dans le Road Traffic (Amendment) Bill présenté à l’Assemblée nationale, comme par exemple celle qui sanctionne le non-port de la ceinture de sécurité, qui passera de Rs 1 000 à Rs 1 500.

A priori, ces annonces pourraient être considérées comme positives. Mais elles soulèvent d’autres questions. Notamment celle de savoir si avoir des amendes plus coûteuses suffira à faire de nous de meilleur-es conducteurs-trices dans un pays où la prise de contraventions s’exerce de façon manifestement sélective, où certain-es se vantent de pouvoir faire sauter n’importe quelle contravention vu leur proximité avec le pouvoir. Alors que des lois existent déjà, comment expliquer ces policiers « aveugles » devant des excès de vitesse flagrants lorsqu’ils sont pratiqués par certaines berlines, ces dépassements acrobatiquement dangereux sur des lignes blanches, ces refus quotidiens de s’arrêter sur les passages cloutés pour laisser traverser les piétons (alors que cette infraction est en principe sanctionnée d’une amende de Rs 2 000) ? Qu’est-ce qui inciterait les autres à respecter les lois dans un pays où certains les bafouent de façon rugissante et dans l’assurance de la plus parfaite impunité ?

A côté de cela, on nous annonce que l’amende pour les plaques d’immatriculation non conformes passera de Rs 1 000 à Rs 25 000. Ce sur quoi le gouvernement a finalement dû faire machine arrière pour réduire l’amende à Rs 5 000 (dans un pays où certains payent plus de 100 000 pour afficher leur nom ou leur sobriquet sur leur plaque d’immatriculation, nouvelle « tendance » égotiste qui ne cesse de prendre de l’ampleur.

Est-ce vraiment ainsi que nous allons réduire l’insécurité routière grandissante ?
Et quand allons-nous nous intéresser vraiment aux raisons profondes du comportement pas seulement inconséquent mais carrément violent qui augmente sur nos routes ?Crédit

« Avez-vous remarqué ce phénomène étrange qui se produit dès que certains d’entre nous se mettent au volant : ils deviennent grossiers, irritables, s’impatientent, abusent du klaxon, rejettent la faute sur les autres et se prennent pour les rois du bitume… Mais que se passe-t-il donc ? Que révèle notre comportement au volant ? Sommes-nous les mêmes sur la route et dans la vie ? » Ces questions, elles ont été posées récemment dans l’émission « On est fait pour s’entendre » sur RTL. Le psychologue et chercheur en sécurité routière Jean-Pascal Assailly y fait ressortir qu’avec son habitacle fermé, isolé, dans lequel on se sent parfois en toute impunité, la voiture « nous fait faire des choses qu’on ne se permettrait pas de faire à l’extérieur ». Insultes verbales, violences physiques, appels de phares : autant de comportements négatifs qui résultent parfois d’un stress, d’une anxiété qui n’ont rien à voir avec les conditions de circulation. “Aujourd’hui, les personnes admettent s’énerver au volant à cause du stress de leur vie quotidienne, qui n’a rien à voir avec la conduite”, souligne le psychologue.

La voiture comme défouloir…Et expression d’un rapport de force que l’on retrouve à tous les niveaux de notre société à travers le rapport hommes/femmes.
On voit déjà les sourcils levés et les soupirs excédés. Quoi, l’incivilité routière aurait un sexe, voilà autre chose !

C’est en tout cas ce qu’affirme l’association française Victimes et Citoyens qui a lancé, en mai dernier, une campagne publique intitulée “Conduisez comme une femme”. Cette association de soutien aux victimes des accidents de la route y vante la conduite des femmes et vise à « initier une prise de conscience au sein des conducteurs masculins pour provoquer un changement de mentalité et donc de comportement ».

L’association s’appuie dans ce cadre sur des chiffres officiels qui indiquent que 84 % des responsables présumés dans des accidents mortels sont des hommes. Et que ceux-ci sont aussi davantage victimes, huit morts sur dix sur la route étant de sexe masculin. Ils sont également ceux qui commettent le plus d’infractions et qui perdent (puis récupèrent) le plus de points sur leur permis. Les statistiques montrent aussi que les hommes n’hésitent pas à prendre le volant après avoir consommé de l’alcool : 92 % des conducteurs alcoolisés impliqués dans un accident sont des hommes.

Ces chiffres ne sont pas dus au fait qu’il y aurait plus d’hommes que de femmes au volant ou que les hommes réalisent des trajets plus longs. Les femmes représentent aujourd’hui en France 48% des automobilistes et leur kilométrage ne serait que légèrement inférieur à celui des hommes.

Il y a deux ans, la Sécurité routière avait elle aussi choisi cet axe de communication pour sensibiliser les hommes sur leur comportement au volant, s’appuyant notamment sur une étude commandée aux sociologues Cyrille Dupré-Gazave et Alain Mergier. Ces derniers mettent d’emblée en avant la présence, chez les hommes, de stéréotypes liés à la « virilité démonstrative » et à la « minoration de la perception des risques ». Des stéréotypes de la masculinité qui ressortent au volant et ne favorisent pas la prudence, attribuée, avec une connotation péjorative, aux femmes.

En Angleterre, le journal The Guardian fait aussi ressortir un comportement plus dangereux des hommes que des femmes au volant, ce à travers une étude qui s’est penchée sur les collisions impliquant un véhicule et un piéton. Sur une période de 18 mois, plus de 4 360 hommes étaient à l’origine de tels accidents, contre seulement 1 473 femmes.
C’est dire si s’attaquer à l’insécurité routière va beaucoup plus loin que de brandir des hausses d’amendes sur des plaques d’immatriculation et d’autres amendes qui seront appliquées de façon sélective. Parce que contrairement à ce que dit le slogan, ce n’est pas « la route qui tue ». C’est nous.

SHENAZ PATEL

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour