Il paraît que nous allons célébrer ces jours-ci la Fête de la Famille, qui vise à transformer la traditionnelle Fête des Mères en quelque chose de plus vaste et « inclusif ».
Dans ce cadre, la ministre mauricienne de la Famille a fait se gausser bon nombre en disant successivement que les femmes mauriciennes doivent faire plus d’enfants. Et que son ministère se propose de venir de l’avant avec une série de réductions pour que les familles mauriciennes profitent des parcs d’attraction et de séjours à l’hôtel.
A priori, pas de rapport direct entre les deux. Ce n’est évidemment pas en regardant copuler les lions à Casela ou en prenant une chambre avec enfants que nos couples risquent de faire grimper notre taux de natalité…
Il y a juste là une sorte de « candeur » dans l’expression qui agace tant elle semble relever de ce que les anglophones appellent le cluelessness. Dans le sens du “completely or hopelessly bewildered, unaware, ignorant, or foolish”. Plus que de l’ignorance, une forme d’inconscience crasse et exaspérante du contexte et de ses implications.
Il y a d’abord le fait de proposer des séjours à l’hôtel dans une conjoncture où un nombre grandissant de familles mauriciennes s’inquiètent de ne plus arriver à joindre les deux bouts, au vu de la cascade d’augmentations de prix qui ne cesse de nous tomber dessus. Être ministre implique-t-il d’être coupé des réalités au point de ne pas se rendre compte que cela relève plus du « adding insult to injury » ?
L’insulte s’amplifie lorsque les femmes sont, en quelque sorte, prises à partie parce qu’elles ne font plus assez d’enfants.
Il est clair que nous avons un problème à ce niveau.
Selon les récents chiffres de Statistics Mauritius, la population de la République de Maurice était, au 1er juillet 2021, estimée à 1 266 334, ce qui correspond à un taux de croissance démographique de 0,03% (+320) depuis mi-2020. La section “Population and Vital Statistics” indique par ailleurs que pour les six premiers mois de l’année, 6 693 naissances vivantes ont été enregistrées dans la République de Maurice, contre 6 856 pour la période correspondante en 2020.
Au final, un taux brut de natalité de 10,3 pour 1 000 habitants au milieu de l’année, contre 10,6 en 2020.
C’est un fait, nous avons tendance, depuis quelques années, à faire moins d’enfants. Et cela devient préoccupant, comme le montre le ratio de dépendance démographique. Celui-ci correspond en effet à la charge sur la société, et sur l’économie, de la population qui n’appartient pas à la population en âge de travailler, comprise comme les moins de 15 ans et les plus de 64 ans.
Il est clair que si nous continuons ainsi, la pression sur la « partie productive » de la population, soit ceux entre 15 et 65 ans, va devenir insoutenable. D’autant que l`espérance de vie moyenne à la naissance à Maurice est de 74.5 ans, ce qui est au-dessus de l’espérance de vie moyenne dans le monde, qui est d’environ 71 ans.
En 1957, la Mauritius Family Planning and Welfare Association (MFPWA), affiliée à l’International Planned Parenthood Federation, fut un des premiers mouvements en Afrique à se concentrer sur la question du family planning. Alors que le pays cherchait à contenir les dangers d’une natalité trop importante, ce mouvement se mit à fournir des services contraceptifs directement aux femmes. Avec le succès que l’on sait. Aujourd’hui, la MFPWA en est à inverser sa démarche : pour contrer la baisse de natalité dans l’île, elle est plutôt engagée dans une campagne de sensibilisation pour « inciter les couples mauriciens à procréer ». Car si, dans les années 60, le taux de fécondité à Maurice avoisinait les 6 enfants par femme, aujourd’hui, ce taux n’est plus que de 1,4. Soit bien en-deçà des 2,1 requis pour le maintien pérenne d’une population génération après génération…
A côté de cela, il y a l’hypocrisie de nos dirigeants. On l’a vu encore lors du début d’émeutes du mois dernier face aux augmentations de prix : certains ont été prompts à stigmatiser les cités où la contestation a jailli, utilisant comme « argument » sous-jacent la propension des habitants créoles de ces cités à « nek fer piti » et ne pas être capables ensuite de s’en occuper…
Alors faudrait savoir. S’il y a une « bonne communauté » pour faire des enfants et ne pas débalancer le ratio politico-ethnique du pays. Ensuite pourquoi ces personnes ne seraient supposément pas en mesure de s’occuper de leurs enfants.
« Vous recherchez un endroit paradisiaque, avec des services et des infrastructures de qualité, le tout dans un environnement sécurisé, pour y télétravailler, y passer votre retraite, ou simplement y vivre en tant qu’expatrié avec votre famille? Venez en apprendre plus sur les opportunités que recèle l’Ile Maurice, et découvrez les possibilités d’investissements immobiliers sur place ! ». Cette prose enthousiaste, nous avons pu la découvrir cette semaine à travers une campagne de pub de l’Economic Development Board Mauritius, qui convie à un grand roadshow « à travers toute la France » du 9 au 19 mai, de Marseille à Bordeaux, à grand renfort de conférences, tables rondes et cocktail !
La question est : comment se fait-il que cet environnement supposément si attrayant ne suscite pas aujourd’hui le même enthousiasme chez les Mauriciens, et en particulier chez les jeunes Mauriciens ? Qui sont de plus en plus nombreux à exprimer ouvertement leur désir, eux, de partir de cet endroit qui ne leur offrirait plus aucune perspective? Sont-ce les retraités français qui vont venir faire des enfants à Maurice ?
Cela est aussi sans compter avec une tendance qui prend actuellement de l’ampleur à travers le monde : si le terme «childfree» (CF), a émergé aux Etats-Unis dans les années 70, cette appellation venant d’une association a considérablement essaimé au cours de ces dernières années. Et l’on voit aujourd’hui s’étendre la prise de parole des «SEnVol» (acronyme pour Sans Enfants Volontaires) ou des «ginks» (Green Inclination No Kids ; Engagement Vert, Pas D’enfant). Des jeunes qui disent très clairement ne pas vouloir faire d’enfants pour « sauver la planète ». Parce que nous sommes 7,7 milliards d’habitants sur Terre et qu’un récent rapport de l’ONU envisage 2 milliards d’habitants supplémentaires d’ici 2050. Parce que cet accroissement des populations interroge sur la capacité à nourrir, héberger, soigner autant de monde.
Selon une enquête publiée dans la revue scientifique « Lancet Planetary Health » fin 2021, les jeunes interrogés trouvent le futur « effrayant ». Et 56 % des 10 000 jeunes de 16 à 25 ans sondés à travers 10 pays pour cette étude pensent que l’humanité est « condamnée ». Non seulement effrayés par l’état de la Planète, mais aussi aussi espoir en leur avenir. Au point où 39 % disent avoir peur d’avoir des enfants. Et pour ceux qui resteraient déterminés à fonder une famille malgré tout, ils sont 52 % à souligner que leur sécurité « sera menacée ». Et l’on parle ni plus ni moins, dans certains milieux, d’une « grève de la procréation ».
Dans un monde où ce que l’on appelle désormais « l’éco-anxiété » est en pleine progression chez les jeunes, dans un monde où les conditions économiques de vie quotidienne, pour ne pas dire de survie, se dégradent visiblement pour les uns alors qu’elles continuent d’augmenter pour des déjà-nantis, comment donner envie de faire des enfants ?
Alors que jusqu’ici, avoir envie de faire un enfant était généreusement considéré comme un don de soi, un don pour son pays, un don à la planète, aujourd’hui nous sommes dans une tendance inverse où avoir un enfant serait un égoïsme, une menace, une peur. Une folie.
Alors on fait quoi ?
Eh ben on va à l’hôtel !
Et toute personne qui rit est susceptible d’être arrêtée.
Parce que oui, on va en construire encore des hôtels. Et encore.
A côté de ça, ceux qui disent qu’on devrait commencer par se préoccuper d’aménager plus de crèches et de services d’accompagnement si on veut que les femmes fassent plus d’enfants, seront punis comme des rabat-joie.
Et punis également ceux qui disent qu’on devrait urgemment se préoccuper de fournir des structures d’habitation et de soin pour notre population vieillissante.
Vous êtes atteints de surdité sénile ou quoi ?
On va à l’hôtel au paradis, on vous dit !