Morisien pa le travay ??!!

Non à la substitution galopante de travailleurs étrangers aux travailleurs mauriciens : c’est ce qui était au cœur de la manifestation organisée à Port Louis ce samedi 6 juillet à l’initiative notamment de la General Workers Federation (GWF) contre la levée des quotas sur l’importation de main d’œuvre étrangère à Maurice.

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Nulle « xénophobie » ici. Juste une inquiétude grandissante face à la décision annoncée par le ministre des Finances, lors de la présentation du budget il y a trois semaines, de libéraliser totalement l’importation et l’emploi d’étrangers à Maurice.

Il ressort ainsi que pour inciter davantage d’entreprises étrangères à délocaliser leurs activités pour s’installer dans notre île, le gouvernement a décidé, outre de leur offrir des avantages fiscaux très attractifs, d’enlever le quota limitant l’emploi de travailleurs étrangers dans les secteurs de l’industrie manufacturière, de la joaillerie, du port franc, des TIC-BPO (en d’autres mots tout ce qui est centres d’appel, etc). Ces secteurs pourront, donc, désormais, employer 100% de travailleurs étrangers.

Et cette mesure est confortée par l’abaissement du salaire minimum exigé pour avoir un permis pour un employé étranger, qui est passé de Rs 60 000 à Rs 45 000 puis aujourd’hui à Rs 22 500.

Il y a là un shift évident et très préoccupant

Dans un premier temps, il s’était agi de n’accorder d’occupation permit qu’à des professionnels dans des domaines spécifiques, informatiques et technologiques, notamment, où nous ne disposions pas de suffisamment de compétences. Puis, il y a eu une transition vers l’embauche de travailleurs plutôt « manuels ». Selon les chiffres officiels fournis par le ministère du Travail, il y aurait actuellement à Maurice 41,957 travailleurs étrangers (sur une work force totale de 556,000 personnes), dont un peu plus de 16,000 venant d’Inde, 11,000 du Bangladesh, 7,800 du Népal et 6,000 de Madagascar. Ces travailleurs opèrent dans les secteurs de l’industrie manufacturière, du textile, de la construction, de la restauration, du BPO, du food processing et de l’agriculture, entre autres.

Aujourd’hui, la stratégie passe de toute évidence à la vitesse supérieure. Et augure l’arrivée massive de travailleurs étrangers dans des emplois peu qualifiés, en leur payant à peine plus que le salaire minimal, fixé désormais à Rs 20,000.

Cela ne serait pas forcément dommageable si nous manquions vraiment de main d’œuvre. L’industrie sucrière dit ainsi qu’elle fait face à de grandes difficultés pour trouver de la main d’œuvre agricole, l’âge moyen des travailleurs aux champs étant aujourd’hui proche de 60 ans et la mécanisation ne pouvant tout résoudre.

Dans d’autres secteurs également, comme ceux de l’hôtellerie et de la restauration par exemple, on entend dire que l’on ne trouve plus à embaucher parce que « Morisien pa le travay ! » Mais est-ce réellement le cas dans un pays où il n’existe pourtant pas d’allocation chômage ?

Concernant le chômage justement, Statistics Mauritius a rendu public cette semaine un rapport qui indique qu’au premier trimestre 2024, le taux de chômage était estimé à 6,3%, ce qui constitue un recul comparé à 6,7% pour le trimestre correspondant en 2023, mais une hausse comparé aux 6,1% du dernier trimestre de 2023. Au total, cela fait 37,300 sans emploi, dont 30,000 sont à la recherche d’un emploi depuis un an. Et 36% de ces sans-emplois sont âgés entre 16 ans et 24 ans, alors que 24,7% ont fait des études tertiaires.

Gras les Mauriciens ?

Certains pensent cela. D’autres font ressortir que le Covid a amené une mutation, notamment par rapport au secteur de l’hôtellerie, où la réalisation que l’on pouvait soudain être totalement redondant après des décennies de sacrifices au travail, a détourné de ce secteur exigeant et pas toujours suffisamment reconnaissant et rétributif. Et d’autres soulignent aussi qu’il devient plus difficile de convaincre les Mauriciens de s’engager à s’esquinter la santé et la vie pour un salaire qui ne leur permet plus de vivre décemment, alors qu’ils sont confrontés à l’ostentation d’enrichissements désormais insolents pour ne pas dire insultants. La recrudescence de Porsche dans un pays où plus de la moitié des employés touchera un salaire minimum de Rs 20,000 est en soi un indicateur de ce climat délétère et déstructurant.

Alors, on fait quoi ?

On fait venir de pays plus démunis des travailleurs qui ne rechigneront pas à être exploitables à merci. Et le fait que le système préconise désormais le remplacement du paiement des heures supplémentaires par un jour de congé en dit long à ce sujet…

Au lieu de cette dérégulation totale, il aurait certainement été plus judicieux, tel que préconisé par les organisateurs de la manifestation de ce samedi, de mettre sur pied une agence nationale de l’emploi pour déterminer quel secteur aura réellement besoin de travailleurs étrangers. Et de mettre en place des mesures claires et résolues pour éviter toute discrimination/exploitation à l’égard des travailleurs étrangers.

Mais on préfère ouvrir grand la porte à l’exploitation des uns (les travailleurs étrangers) en menaçant de précarité et de chômage des autres (les travailleurs mauriciens). Qu’avons-nous appris de notre histoire ? Combien de travailleurs mauriciens seront privés du droit à un travail qui respecte leurs droits, à un salaire adéquat et au respect de leur personne, au profit d’autres travailleurs éhontément exploités ? Comment, dans ces conditions, enrayer l’exode vers d’autres pays qui embaucheront eux nos compétences et notre force de travail à plus juste prix ? Comment générer une confiance et une adhésion à la construction d’un pays ?
Cette dernière question se pose aussi au vu d’un autre élément marquant de notre actualité cette semaine. À savoir le jugement du Conseil Privé britannique qui a donné raison à l’association Eco-Sud face au ministère de l’Environnement.

Pour résumer, l’ONG Eco-Sud avait contesté, en 2021, un permis d’impact environnemental (EIA) attribué au projet de construction d’un complexe résidentiel comprenant 172 villas, 278 appartements et penthouses, 100 duplex, 105 infrastructures de service. Ce, sur un site de 70.9 hectares derrière la route côtière bordant le lagon de Pointe d’Esny, comprenant plusieurs wetlands et situé à 235 mètres d’un site classé Ramsar (reconnu écologiquement capital et sensible ; donc, à protéger).

Le Tribunal de l’Environnement avait par la suite estimé qu’Eco-Sud n’était pas habilité (n’avait pas de locus standi) pour effectuer cette contestation. Saisie, la Cour suprême avait cassé cet avis. Mais le ministère de l’Environnement et le promoteur ont eux décidé d’aller devant le Conseil Privé britannique pour invalider ce jugement de la Cour suprême.

Dans un jugement qualifié à juste titre d’historique, et qui fera jurisprudence sur la question de locus standi, les Law Lords ont donc estimé, ce 4 juillet 2024, qu’Eco-Sud a bel et bien le locus standi nécessaire pour mener cette contestation. Parce que la défense et la protection de l’environnement n’est pas uniquement une question d’intérêt économique et personnel.

Au-delà du désaveu cuisant pour le ministère de l’Environnement, cette affaire montre que loin d’être protégés par le ministère censé assurer cette mission, des Mauricien-nes ont dû se mobiliser et y aller de leur poche à travers une quête publique pour faire respecter les droits environnementaux dans notre pays. Donc, à faire le boulot de ceux que nous élisons et payons pour le faire.

Pire : les Law Lors se sont déclarés préoccupés, voire inquiets, du fait que le promoteur a eu le droit de poursuivre ses travaux pendant que la contestation en justice était toujours en cours.

Comment, dans ces conditions, penser que nos dirigeants élus travaillent réellement à protéger nos intérêts, notre bien-être et notre avenir en tant que pays souverain ?

Question qui, ailleurs, génère une désaffection de plus en plus marquée vis-à-vis du politique, et qui entraîne aujourd’hui des dérives que l’on contemple, impuissants et effarés…

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