Mauritius not now…

C’est un tournant stratégique important qui semble avoir été annoncé à demi-mots cette semaine par le ministre du Tourisme mauricien.
Dans une conférence de presse donnée ce mercredi 12 avril, Steven Obeegadoo a en effet déclaré que ce n’est pas vers un accroissement du nombre de touristes reçus que nous allons désormais tendre, mais vers un accroissement de recettes générées par leur séjour.
Si cela se confirme, cela signifiera l’abandon, en tout cas pour le moment, de la stratégie qui clamait jusqu’ici que nous visions à accueillir 2 millions de touristes par an.
Et cela veut dire beaucoup de choses.
Dans la mouvance pré-Covid, Maurice n’a cessé de miser sur l’accroissement rapide du nombre de visiteurs reçus, qui avait atteint 1,418 millions de touristes en 2019, générant des recettes de $1,7 milliards. Post-Covid, les arrivées se sont chiffrées en 2022 à 997 290 visiteurs, générant des recettes de $1,5 milliard. Et si, pour les trois premiers mois de cette année 2023, nous avons attiré 305 197 visiteurs, le nouvel objectif serait donc non pas de vouloir à tout prix dépasser les 1,4 million d’arrivées, mais de se focaliser davantage sur le « gagner plus avec moins ». Donc, tenter de faire à nouveau $1,7 milliard de recettes en accueillant moins de monde. En s’assurant que les touristes restent plus longtemps, et dépensent plus sur place. C’est pour œuvrer en ce sens qu’aurait donc été mis sur pied un Joint Working Group gouvernement-opérateurs privés pour assurer la relance de ce secteur.
Comme pour bien des choses ici, il semble que nous avons eu tendance à poser le problème à l’envers. Jusqu’ici, on avait surtout entendu parler de création de nouveaux hôtels (sur un littoral pourtant déjà largement saturé), pour accroître le parc de chambres. Normal si on ambitionne les 2 millions de visiteurs. Jusqu’ici, on avait surtout entendu parler d’accroître la desserte aérienne et le nombre de sièges disponibles. Toujours normal si on ambitionne les 2 millions de visiteurs.
Jusqu’ici, nous avons éludé cette question fondamentale : sommes-nous prêts à accueillir plus de touristes ?
Plus : sommes-nous seulement capables d’accueillir plus de touristes ?
Cette question ne se pose pas seulement en termes de places, d’avion et d’hôtel, à augmenter.
Elle impose de se demander comment nous allons faire pour nourrir 2 millions de visiteurs alors que nous avons du mal à nourrir notre population de 1,277 millions de personnes. Sachant que notre autosuffisance alimentaire a chuté aujourd’hui à moins de 20%, alors qu’il fut un temps où elle était chiffrée entre 35 et 46%. À la base se pose donc la nécessité, comme martelé par bon nombre, de la mise en œuvre d’une stratégie nationale pour redynamiser le secteur agricole, de revoir toute notre stratégie de production, mais aussi de stockage, d’assurer la stabilisation des prix et l’accès à des légumes de qualité (non sur-sur-dosés de pesticides).
Mais qui parle de la production alimentaire lorsqu’on parle de stratégie touristique ?
Cette question impose aussi de se demander comment nous allons faire pour fournir de l’eau à 2 millions de visiteurs alors que nous peinons déjà à en fournir à notre population de 1,277 million. Sachant que les effets de la sécheresse et des pénuries d’eau se font de plus en plus cruellement ressentir chez nous, que nous avons vu le début d’émeutes de l’eau dans la très touristique région du sud-ouest il y a quelques mois, sachant que nous aménageons à tour de bras des parcours de golf très gourmands en eau, sachant qu’un touriste utilise quelque 300 litres d’eau par jour, soit deux fois plus qu’un habitant local.
Mais qui parle de la fourniture d’eau quand on parle de stratégie touristique ?
Cette question impose aussi de s’interroger sur la gestion des déchets supplémentaires qui seront générés par 2 millions de visiteurs lorsque nous avons déjà du mal à gérer ceux produits par nos 1,277 million d’habitants. Mis en opération en 1997 dans le but d’assurer l’élimination des déchets d’une manière respectueuse de l’environnement, le site d’enfouissement de Mare Chicose est archi-saturé malgré les agrandissements. Et les récents incendies qui s’y sont déclarés montrent bien que le sonnettes d’alarme tirées à répétition ces dernières années, y compris par la rapporteure des Nations Unies en 2021, pointent bel et bien vers une crise des déchets imminente.
Mais qui nous parle de gestion de déchets quand on parle de stratégie touristique ?
Et encore, qui nous parle de l’électricité qui devra être générée pour les besoins de ces visiteurs supplémentaires, alors que l’on s’interroge déjà sur la fourniture d’électricité pour nos habitants, qui vont être durablement affectés par la récente hausse des coûts et des prix ? Qui nous parle de la pénurie de main d’œuvre dans ce secteur qui peine désormais à recruter alors qu’il avait jusqu’ici toujours attiré ?
Mais qui nous parle de toutes ces choses qui doivent d’abord être assurées avant de prétendre accroître le nombre de visiteurs que nous voulons accueillir ?
Dans le monde après-Covid, les tendances au niveau du tourisme mondial indiquent de plus en plus que le tourisme dit durable est plus que jamais à l’ordre du jour, pour minimiser l’impact des voyageurs face aux défis environnementaux et sociaux auxquels le monde est confronté. Mais le tourisme peut-il aujourd’hui être réellement « durable », au-delà de quelques mesures visant à ne plus fournir des bouteilles d’eau en plastique dans les chambres et à diminuer la fréquence de lavage des serviettes ? Comment arriver à concilier l’apport économique jugé essentiel du tourisme dans des pays comme le nôtre, et les impératifs d’un monde où la population dépasse désormais les 8 milliards et où les ressources naturelles s’épuisent ?
Aujourd’hui, alors que plus de 1,4 milliard de touristes voyagent à travers le monde, on parle de plus en plus de « surtourisme ».
À Venise, les habitants ont manifesté récemment contre l’envahissement de leur ville par les touristes. Chaque année, 3 000 000 de personnes visitent la ville italienne. Qui compte 58 000 Vénitiens. Soit une proportion de plus de 500 touristes par habitant…
En Croatie, l’UNESCO a menacé de retirer Dubrovnik de la liste du Patrimoine Mondial de l’Humanité si les autorités ne diminuaient pas le nombre de touristes et la pression qu’ils exercent sur la ville.
S’il nuit à l’environnement, le tourisme en arrive aussi à nuire au tourisme lui-même.
Car il finit par porter atteinte à ce qui faisait justement l’intérêt d’un lieu (son paysage, son calme, l’accueil de ses habitants).
Car il sur-sature des lieux alors que parallèlement, de plus en plus de personnes disent chercher dans le voyage une expérience unique, singulière, qui a du « sens ».
Le tourisme mondial est dans une période où il va clairement devoir se repenser en profondeur. À Maurice, le Covid est certainement responsable d’un recul. Mais c’est sans vouloir se rappeler que pré-Covid, certains avaient déjà tiré la sonnette d’alarme face au fait que nos arrivées touristiques s’étaient chiffrées à 1,418 million de touristes en 2019 contre 1,431 million en 2018. Une baisse, déjà. Et si l’on parle actuellement de revenge tourism, ceux qui n’ont pu voyager pendant les années Covid ayant décidé de se rattraper, la question de savoir si le monde pourra continuer à soutenir le tourisme tel que nous le connaissons reste entière.
Ici, la campagne « Mauritius now » lancée par le gouvernement suit à la réouverture des frontières semble vouloir aller davantage vers un accroissement différé. Sans doute parce que la conscience de nos limites s’impose. Mais, clairement, on en parle quand ?

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