Record pour Maurice : une villa pieds dans l’eau vendue à Rs 627,6 millions à Poste-de-Flacq. Cette nouvelle publiée le 18 mars sous la plume de notre confrère Patrick Hilbert est bien l’info de la semaine. Mais si elle soulève incrédulité et exclamations, elle n’est pas que ponctuelle. Et traduit une tendance de plus en plus répandue qui consiste à vendre des biens immobiliers à des expatriés à des prix faramineux, en misant sur des « qualités mauriciennes » dont les habitants du pays sont eux, du même coup, éhontément spoliés.
Pas de doute, ceux qui sont chargés de « vendre » Maurice aux expats rivalisent de lyrisme et de superlatifs, dont l’imagination et « l’originalité » laissent parfois pantois… Cette semaine, on peut ainsi trouver, entre autres, de la pub pour les résidences Célimar. Nom qui désigne « un joyau résidentiel entre ciel et mer » dernier projet en date de la smart city d’Azuri, ce village balnéaire qui « respire la dolce vita au quotidien. »
Celimar by Azuri invite donc à « faire l’expérience d’un art de vivre unique, face à la mer », et de s’éveiller au doux murmure des vagues caressant le rivage, à une douce brise marine effleurant votre visage… ». Cela dans des penthouses d’une superficie de 306m² et des vues panoramiques à 180° sur l’océan… « Un cadre devenu rare sur l’île ! » s’exclame la pub. Prix du doux rêve : à partir de Rs 29 millions pour l’appartement et à partir de Rs 73 millions pour les penthouses. Pas très cher, diront certains.
Le problème est bien là. Dans le fait que depuis quelques années, avec une accélaration post-Covid, nous voyons à Maurice une inflation foncière et immobilière débridée. Qui s’appuie sur les atouts intrinsèques du pays, atouts que cette politique incitative à l’égard des acheteurs étrangers met de plus en plus hors de portée des Mauriciens.
C’est le cas également du controversé Legend Hill Resort and Spa, construit sur le flanc de la montagne de la Tourelle à Tamarin, en bafouant les normes jusque là établies de constructions à flanc de montagne à Maurice. Malgré les contestations et manifestations, le projet est allé de l’avant, avec une ouverture annoncée pour fin 2024. Legend Hill se targue d’un « cadre somptueux et intimiste, offrant une des vues les plus spectaculaires de la baie mauricienne » , avec 52 biens d’exception déclinés en villas, appartements et penthouses qui dominent le lagon, avec restaurant bistronomique, bar lounge, spa, club de fitness, « accès à notre plage privée avec restaurant, bar, ponton nautique ».
Dans son argumentaire commercial, Legend Hill propose ni plus de « voyager au cœur de la légende » dans le pays mythique et paradisiaque qu’est Maurice. Où ce resort « bénéficie d’un emplacement privilégié, sur la côte ouest, offrant une vue à couper le souffle sur les Gorges de Rivière Noire et sur le Morne, célèbre montagne classée au patrimoine mondial de l’UNESCO », est-il précisé (sans bien sûr faire mention de l’esclavage et du marronage…). Quand au complexe lui-même, les promoteurs, soulignent que tout y rappelle « qu’ici, vous êtes à l’île Maurice et que la douceur de vivre est un art que l’on cultive au quotidien. » Baudelaire peut bien aller se rhabiller avec son fameux « Là tout n’est que beauté, luxe calme et volupté »…
Parce qu’il n’y a pas que la douceur de vivre comme argument de vente. Outre l’obtention du permis de résident permanent pour l’acheteur et sa famille, « il est important de souligner qu’un investissement à Legend Hill permet de bénéficier de nombreux avantages fiscaux : taux d’impôt unique de 15% sur les sociétés et pour les individus ; pas d’impôts sur les dividendes, intérêts et plus-values ; pas d’impôts fonciers ; pas de droits de succession en ligne directe ; rapatriement libre des bénéfices. En plus de ces avantages fiscaux, il est important d’évoquer la stabilité politique et économique de l’Île Maurice depuis plusieurs années. La présence d’infrastructures modernes, d’hôpitaux et de cliniques, et d’universités de renom sont également des éléments importants qui favorisent une expatriation à l’Île Maurice, tout comme le faible décalage horaire avec l’Europe et une excellente connexion aérienne !Tous ces avantages permettront aux futurs propriétaires de réaliser un investissement à l’Île Maurice de qualité dans une destination de rêve bénéficiant d’un climat doux et tropical tout au long de l’année ! »
Tout cela pour des prix allant de €805 000 (Rs 40 millions) pour les appartements à €3 150 000 (Rs157 millions) pour les penthouses.
Avec tout cela, on est encore loin des six villas du projet One&Only Private Homes Le Saint Géran, qui sont actuellement vendues à prix d’or à Poste-de-Flacq. Soit Rs 627,6 millions pour une de ces villas la semaine dernière, la transaction étant fièrement présentée comme le prix le plus élevé jamais atteint pour une propriété résidentielle vendue à Maurice. Une villa de luxe de 6 chambres en bord de mer, avec une superficie de terrain d’environ 2 973 mètres carrés et une superficie construite d’environ 758,3 mètres carrés, qui aurait été achetée par « une jeune famille fortunée d’Europe » ayant pris la décision de déménager définitivement à Maurice «pour réaliser son rêve d’un style de vie idyllique situé directement sur la plage ».
Le projet One&Only Private Homes Le Saint Géran consiste en 52 maisons privées, encore en construction, bénéficiant des services de l’hôtel Le Saint Géran. 43 ont déjà été vendues sur plan, par des acheteurs majoritairement européens.
Mais ce que l’on ne dit pas, c’est que parallèlement, c’est à un véritable saccage du patrimoine commun qui a lieu pour faire place à ces villas de luxe. En novembre 2023, Le One&Only Le Saint Géran a fait une demande de permis d’impact environnemental (EIA) pour procéder au réaménagement de la plage devant son hôtel en raison d’une érosion que ses précédents aménagements auraient eux-mêmes causée. Une demande contestée notamment par l’ONG environnementale MRU25.
Enretemps, le Saint Géran a eu un permis pour développer les fameuses villas. Il a donc pris du sable sur ce site, pour l’amener vers son hôtel et le jeter devant les villas hôtelières. Sable régulièrement repris par la mer, et repris à son tour par l’hôtel dans le lagon pour le remettre sur la plage… Le Saint Géran semble être coutumier de ce genre de pratiques depuis des années. En octobre 2017, il avait ainsi été contraint à reconnaître, en Cour Suprême, avoir, sans permis, utilisé des tractopelles pour jeter 600 tonnes de pierres dans le lagon afin d’ériger un pont.
Face à tout cela, ce ne sont pas les autorités qui agissent pour empêcher de telles dégradations de notre patrimoine commun. Au cours de la semaine écoulée, c’est l’association Ran nou lamer Ran nou later qui a porté plainte contre Le Saint Géran pour des travaux d’excavation de sable et le largage d’eaux usées dans le lagon et de déchets de construction sur les plages et terrains avoisinants, avec toutes les conséquences sur la vie marine, les poissons et la mangrove notamment dans cette partie de l’île. Et il aura fallu un reportage aux saisissantes images sur Top FM pour que des officies de divers ministères s’y rendent vendredi. Avec pour effet que l’hôtel One&Only Le St Geran reconnaisse « ses erreurs » sur le réaménagement de la plage suite à l’érosion, prenne l’engagement de boucher les six décharges qui déversaient des eaux usées dans la mer et d’ouvrir les deux accès publics à la plage de l’hôtel ainsi qu’aux régions aux alentours.
Certains, clairement, forts de leur pouvoir et de leur argent, se permettent tout. Pendant ce temps-là, l’accès au foncier devient de plus en inaccessible pour de jeunes Mauricien-nes honnêtes qui savent que même en travaillant avec acharnement toute leur vie, ils n’auront plus la chance d’être propriétaires du plus modeste bien. Pendant ce temps-là, 5 000 Mauricien-nes ont émigré pour le Canada en 2023. Pendant ce temps-là, on détruit, on démolit, on saccage, on pollue impunément.
Mais ça avouez-le, face au fric, ça fait pas chic…
SHENAZ PATEL