L’impasse

Comment reconnaître le dysfonctionnement caractérisé d’un pays et la perte de confiance généralisée et confirmée dans ses organismes ? C’est lorsque plus personne ne sait à quelle porte frapper pour réclamer justice, vérité et réparation.

- Publicité -

Il n’y a qu’à faire un inventaire des réactions qui ont suivi la publication des vidéos de torture absolument scandaleuses et intolérables de policiers martyrisant et humiliant des personnes interpellées pour divers délits allégués.

Ceux qui sont à l’origine de la divulgation des vidéos viennent d’une formation de figures extraparlementaires réunies au sein de Linion Lepep Morisien avec sa vaste palette de sensibilités. Si Bruneau Laurette a choisi, non sans justesse tactique, de médiatiser les enregistrements choquants, son collègue de parti Rama Valayden, qui y avait aussi eu accès, avait lui choisi de s’en remettre à la police.

Cela pose question sur les rapports des avocats avec la police. On ne peut pas, un jour, dire qu’il n’est pas question de leur faire confiance et, le lendemain, s’en remettre à ces mêmes policiers pour espérer obtenir des enquêtes indépendantes et impartiales.

Imaginons un instant qu’au lieu d’aller tranquillement remettre les vidéos à la police seulement, Rama Valayden avait aussi informé ses interlocuteurs des Casernes Centrales qu’il prenait la liberté de les rendre publiques et de les remettre aux médias ou les mettre en ligne? Cela aurait permis de démasquer bien plus tôt ces bourreaux qui se sont trompés de métier et réconforté, un tant soit peu, les victimes dans leur quête de justice.

Mais qu’importe. Les vidéos ont été vues des milliers de fois et partagées non seulement à Maurice mais à travers le monde. Elles sont venues enfin mettre en évidence, sans aucune équivoque, ce dont se sont plaints sans succès les dénonciateurs des méthodes barbares de la police et qui ont fait plus d’une victime.

Les preuves de la barbarie sont là, mais what next? Les révélateurs de l’inqualifiable infamie ne le savent pas eux-mêmes. L’un réclame la démission du Premier ministre et du porte-parole de la police, à qui, initialement, les enregistrements ont été remis; l’autre prône une commission royale comme en Angleterre, le jubilé de la Reine faisant sans doute son petit effet. Chacun y va de sa petite suggestion pour faire éclater la vérité.

Les principales formations de l’opposition, ont, pour ne pas changer, proposé des avenues contradictoires pour arriver à la vérité, à la sanction et à la réparation. Les partis regroupés au sein de l’Entente de l’Espoir ont réclamé une commission d’enquête. C’est, en tout cas, bien mal inspiré.

Qui réclamerait une commission d’enquête sous le règne de Pravind Jugnuth, franchement!? Celle nommée sur la drogue a vu ses principales préconisations ignorées, celle instituée sur l’ancienne Présidente de la République n’est pas encore rédigée, quatre ans après les travaux initiés, bien que celui qui les a présidés a déjà pris sa retraite comme chef-juge.

Et ne parlons pas de celle qui a enquêté sur l’affaire Britam et de ses conclusions rocambolesques ou encore de celle diligentée sur le naufrage du Sir Gaëtan, qui, selon ce que l’on peut deviner, pointerait du doigt un organisme sous l’égide du PMO, la Mauritius Ports Authority. D’où sa non-publication, malgré les morts et leurs familles qui attendent de connaître enfin la vérité sur ce drame.

Il vaut mieux ne pas parler, non plus, des Fact Finding Committees, version MSM et consorts, dont les conclusions dorment toutes dans un tiroir bien gardé, comme celles qui étaient censées nous éclairer sur la disparition dramatique des dialysés atteints de Covid.

D’autres, à l’instar du PTr, ont réclamé une enquête judiciaire initiée par le Directeur des Poursuites Publiques (DPP). Soit. Elles sont intéressantes parce qu’elles sont publiques et qu’elles permettent de juger des performances des divers témoins entendus et de tirer ses propres conclusions.

Mais on a vu les limites des enquêtes judiciaires avec l’affaire Soopramanien Kistnen. Ce fut un exercice salutaire, mais le DPP a renvoyé les conclusions de la magistrate qui a présidé les travaux… à la police. Et comme elle avait de manière commode décrété que c’était un suicide….

Et là, on ne sait pas si la grève de la faim que projette d’entamer Ravi Rutnah est une démarche sérieuse ou une fanfaronnade digne d’un personnage qui a le don de se mettre en avant, quitte à se rendre ridicule. C’est dire que les réclamations absolument justifiées face à la barbarie des forces de l’ordre sont multiples, mais les recours efficaces limités.

Le Premier ministre, en tournée socioculturelle permanente, a réagi bien tardivement. Il était, sans doute, trop pris à veiller et à s’assurer que la machine à sous du Champ de Mars tombe entre les mains de son bailleur de fonds pour s’incarner ministre de l’Intérieur et responsable de la police.

Lui, qui a trop souvent félicité la police au point où celle-ci a fini par se croire tout permis, n’a fait que déplorer et annoncer une enquête « transparente ». Pour ce que cela veut dire venant de lui, le champion de l’opacité!

Il n’y a qu’à voir comment les enquêtes ont démarré. Il y a, certes, eu des arrestations mais on peut déjà noter un traitement différencié par rapport aux autres justiciables. Entre ceux qui refusent les parades d’identification et les reconstitutions des faits et ceux qui sont dispensés de menottes, alors que d’autres, appréhendés pour des délits ridicules si ce n’est imaginaires, se sont vite vu poser les humiliants bracelets.

Le pays ne sait plus vers qui se tourner parce que cette affaire vient, une nouvelle fois, mettre en évidence la décrépitude accélérée de nos institutions. La Commission des droits de l’homme est une farce coûteuse et la nouvelle Independent Police Complaints Commission, une mauvaise blague. Il n’y a qu’à voir qui est celui qui s’exprime au nom de cet organisme, Phalraj Servansingh, un apparatchik du MSM.

C’est l’impasse, donc. Comme dans d’autres cas, rien de significatif ne sortira de cet épisode macabre qui mêle cruauté, barbarie, inhumanité et sadisme. Il faut, désormais, espérer un changement de locataire au bâtiment du Trésor et des engagements fermes, écrits et tenus pour en finir avec l’impunité des tortionnaires en uniforme.   

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -