Comme d’habitude, le ministère de l’Éducation a fait publier un communiqué pour se féliciter des résultats, annoncé des statistiques qui, selon son interprétation, prouvent qu’il a fait bien son travail. Très bien même. Pour ne pas changer, on félicite ceux qui ont obtenu les cinq Credits nécessaires pour pouvoir passer en HSC et poursuivre des études universitaires. Les collèges se félicitent aussi de leurs taux de réussite, en augmentation, soulignent-ils, et les professeurs, donneurs de leçons particulières, en font de même. Les uns et les autres se payant un peu de publicité gratuite pour recruter de nouveaux élèves. Les parents racontent comment ils ont accompagné leurs rejetons, veillé qu’ils se concentrent plus sur leurs devoirs que sur les programmes télé et les sorties en disco entre copains. Quant aux élèves, ils ont le triomphe modeste — ce qui ne les empêche pas d’utiliser le terme performance —, disent que le travail assidu finit par payer, même s’ils n’étaient pas tout à fait sûrs d’avoir bien travaillé. Tous passent à la télé, sur les radios et dans les journaux. C’est ce qui se passe à Maurice après chaque proclamation de résultats d’examens importants pour la poursuite des études : le CPE dont a aujourd’hui changé le nom, le SC et le HSC. C’est la célébration de ceux qui ont réussi le parcours et que l’on acclame comme des champions. Et comme d’habitude, dans notre système inégalitaire, on braque les projecteurs sur ceux qui ont gagné en faisant l’impasse sur les perdants. Si cette année 13 089 élèves sont parvenus aux cinq Credits, qui ouvrent toutes les portes de l’avenir, 4 947 n’ont pu obtenir que quatre de ces Credits. Devant eux, toutes les portes se ferment à double tour, comme les perspectives d’avenir et ils irons grossir les rangs des recalés. Ceux dont on n’a pas le temps de s’occuper.
La règle de base de toute compétition voudrait que tous les participants à une épreuve doivent avoir bénéficié de la même préparation, de la même attention des entraîneurs pour qu’ils développent leurs potentialités et puissent prendre place sur la ligne de départ de la course. Mais est-ce que notre système d’éducation, censé dispenser le même enseignement, la même attention à chacun de ses élèves respecte ce qu’il est censé promouvoir ? Est-ce que les élèves timides, ceux qui sont un peu lents, n’ont pas l’habitude de lever la main quand l’enseignant pose une question bénéficient de la même attention que ceux que l’on place au premier rang et qui connaissent la réponse ? Je me souviens d’un élève d’une des écoles ANFEN (Adolescent Non-Formal Education Network), ONG qui s’occupait des recalés du CPE. Il m’avait raconté qu’il avait « fait » toutes les classes de first à la sixième en montant automatiquement, sans qu’aucun enseignant ne lui adresse la parole. Il faisait partie de la bande de ceux qui ne lèvent pas la main et qui de classe en classe étaient reléguês dans le fond de la classe. Dans le coin des élèves dont on n’a pas le temps de s’occuper. Est-ce que tous ces élèves qui n’ont pas pu décrocher les cinq Credits aux derniers examens de SC ont bénéficié des conditions optimales pour étudier ? Est-ce qu’ils ont tous eu le soutien nécessaire — en termes de leçons particulières et de matériels technologiques — pour le faire ?
Que deviennent les recalés du SC ? Faute de Credits, ils ne peuvent poursuivre des études, même s’ils le souhaitent, même s’ils en ont le potentiel. Ils peuvent faire une formation technique, dit-on, sauf que pratiquement toutes ces filières ne sont accessibles qu’à ceux qui ont les fameux 5 Credits. Largués, livrés à eux-mêmes à 16 17 ans, les recalés n’auront pas accès à un emploi stable et devront travailler au noir, c’est-à-dire se laisser exploiter. Ou alors ils iront rejoindre les autres rejetés du système, restés sur le bord de la route du développement et grossiront les rangs de ceux qui survivent de petits et gros trafics et de délinquance. Personne ne dit qu’il faudrait baisser le niveau des examens — encore que, selon certains enseignants, cela est fait régulièrement pour pouvoir faire grimper le taux de réussite que le ministère brandit avec fierté. Mais n’est-il pas temps de se revoir ce système qui, en dépit des « tap lestoma » ministériel, a produit cette année presque 5000 recalés en SC, soit plus d’un quart des élèves qui ont pris part aux examens de SC ? N’est-il pas grand temps de mettre au point un système éducatif qui s’occupe du devenir de tous les élèves mauriciens, pas exclusivement de ceux qui passent les examens ?