Les pyromanes

A travers les civilisations, le feu exerce une fascination qui a largement trait à une représentation aussi paroxystique que purificatrice. Comme atteindre un extrême absolu qui détoure et expose dans une lumière crue, qui ravage et punit, mais qui laisse la place à une possibilité de renouveau aussi.

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Le feu qui a détruit cette semaine une partie du bâtiment historique abritant le QG de la police mauricienne a tout de cela.

Là apparaît l’incurie d’autorités qui, censées incarner le respect de la loi, ne se sont pas embarrassées d’avoir un Fire certificate pour un bâtiment qui a pourtant près de trois siècles d’histoire.

Les Casernes centrales, aussi connues comme Line Barracks, c’est en effet une construction démarrée durant la première moitié du XVIIIème siècle sous le gouverneur François Mahé de La Bourdonnais, qui met à l’œuvre les esclavés africains amenés de force par la colonisation française pour construire cet édifice de défense. Dont l’agrandissement se poursuivra durant la colonisation britannique, au XIXe siècle.

Lundi dernier, rien n’a arrêté le feu qui aurait d’abord démarré dans un store où la police conserve des denrées alimentaires vers 20 h 30, pour ensuite reprendre  avec une force accrue à une heure du matin dans toute l’aile qui abrite la SSU (Special Supporting Unit) n° 4.

On a du mal à croire que peut se révéler aussi vulnérable une enceinte qui abrite également le Central Criminal Investigation Department (CCID), la Major Crime Investigation Team (MCIT), le QG de l’Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU), sans compter le bureau du commissaire de police, la cellule de communication, le bureau du chef médico-légal et le département administratif de la police.

A ce stade, on nous affirme que le sinistre, d’origine non encore déterminée, aurait notamment détruit des effets personnels de policiers mais aussi des armes à feu, des équipements pour la formation et du matériel utilisé en cas d’émeutes.   Sont aussi évoqués des documents administratifs de la SSU. Et il est symptomatique de noter que la réaction publique a immédiatement consisté à s’interroger sur ce qui allait être déclaré détruit, notamment en ce qui concerne des enquêtes sensibles en cours…

On aimerait bien entendre le ministre dit du Patrimoine culturel à ce sujet.
Mais le gouvernement est manifestement occupé à faire du firefighting ailleurs.

Plus précisément sur le lieu, éminemment politique, de la déflagration causée par la bombe Sherry Singh.

Le visage défait, le Premier ministre a tenté, au cours de la semaine écoulée, de minimiser l’effet désastreux de la démission de la direction de Mauritius Telecom de celui qui était jusqu’à récemment considéré comme faisant partie de sa garde ultra-rapprochée.

Certains voient là le début de l’implosion d’un gouvernement qui semblait pourtant avoir asphyxié, « gangréné » et verrouillé le fonctionnement de nos institutions à tous les niveaux, pour s’assurer d’un pouvoir absolu. La suite nous le dira. Mais on ne peut que mesurer l’ampleur tellurique de la faille, alors que l’ex-patron des Telecoms affirme que le Premier ministre lui a demandé de permettre à une « tierce partie » d’installer un dispositif de contrôle de nos communications internet. La suspicion étant que cette tierce partie est nulle autre que l’Etat indien, et que cela constituerait une violation gravissime de notre souveraineté nationale.

Face à l’ampleur du soupçon, le Premier ministre n’a apporté que des dénégations sans force, qui font davantage penser à un gamin qui pleurniche parce qu’un petit copain qu’il croyait ami se met soudain à lui jeter du sable à la figure. Gamin qui, de surcroit, se cache derrière la face tonitruante d’un Speaker qui, à l’Assemblée nationale, lui a permis de ne pas répondre aux questions supplémentaires du Leader de l’Opposition sur le sujet en invoquant des Standing Orders qui n’existent pas et en expulsant pêle-mêle l’ensemble des députés de l’opposition qui protestait contre l’iniquité de son attitude.

Une affaire sans précédent, qui enfonce un peu plus le clou du cercueil d’un Parlement devenu totalement inopérant. Parce que semaine après semaine, un Speaker, non élu et désigné par le Premier ministre, s’arroge le droit d’empêcher l’Opposition de faire le travail pour lequel elle est élue, en utilisant des procédés dont la légalité s’avère de plus en plus contestable.

Une fois de plus (de trop ?) cette affaire montre à quel point notre système est paralysé, inopérant, dévoyé, parce qu’il concentre trop de pouvoirs entre les mains d’un seul homme.

Quels recours face à cela ?

Selon certains, il serait possible de faire appel à la Cour suprême, qui peut intervenir dans les affaires du Parlement lorsqu’il y a eu un viol des droits constitutionnels ou des Standing Orders. Car elle est la gardienne suprême de la Constitution. Et que les députés de l’opposition peuvent ici poser que les agissements du Speaker les prive du droit d’exercer le rôle qui leur est conféré par la Constitution.

Reste à savoir si nos politiques ont besoin d’attendre que la Cour Suprême vienne leur taper sur les doigts pour réagir.

La coïncidence veut que, cette même semaine, le Premier ministre britannique Boris Johnson a annoncé sa démission du parti conservateur. La leçon à retenir ici étant que c’est par son propre camp conservateur que le Premier ministre britannique est poussé vers la sortie.

Rien ne laissait pourtant prédire cette issue pour celui qui fut élu en fanfare à la tête du parti conservateur le 23 juillet 2019 et qui, ultra-populaire, remporte en décembre 2019 une majorité historique à la Chambre des Communes pour les conservateurs à l’issue d’élections législatives anticipées. Champion du Brexit, il entérine en janvier 2020 la sortie du Royaume-Uni sort de l’Union européenne.

Mais sa marche triomphale est entravée par le Covid : critiqué pour avoir tardé à réagir face à une menace qu’il minimise, il finit, en avril 2020, par être lui-même hospitalisé en soins intensifs. Sa sortie, au bout de quelques jours, ne l’aura manifestement pas rendu plus « wise ». Dans les mois qui suivent, il se retrouve au cœur d’une affaire de lobbying éclaboussant certains membres de son gouvernement, d’une polémique autour du financement coûteux de la rénovation de son appartement de fonction, puis de révélations sur plusieurs fêtes illégales organisées lors des confinements, alors même qu’il annonçait un durcissement des restrictions pour l’ensemble de la population.  En avril dernier, il reçoit ainsi une amende pour avoir enfreint la loi en participant à un pot surprise pour son anniversaire en juin 2020 à Downing Street.

Le 6 juin dernier, ce sont les députés de son propre parti qui le confrontent à un vote de défiance, auquel il réussit à échapper. Mais le 5 juillet, il est contraint de reconnaître avoir fait une “erreur” en ayant nommé en février Chris Pincher comme whip adjoint, chargé de la discipline parlementaire des députés conservateurs, alors qu’il avait été mis au courant d’accusations à caractère sexuel le visant. Le même jour, deux de ses ministres démissionnent en signe de protestation: le ministre des Finances Rishi Sunak et celui de la Santé Sajid Javid, Dans les heures qui suivent, une cinquantaine de membres du gouvernement leur emboitent le pas. Forçant au final Boris Johnson à la démission.

Maurice a beau avoir hérité du système westministérien, il est clair qu’une telle occurrence est peu susceptible de se produire chez nous. Tant nos élus semblent accrochés aux avantages du pouvoir bien plus qu’à de quelconques principes et sens du bien commun. Chacun cherche son petit avantage : au final, s’ils ne font pas de vague, chaque député de la majorité sait qu’au bout de 5 ans à s’écraser, il/elle bénéficiera ensuite d’une confortable pension qui le/la mettra à l’abri jusqu’à la fin de sa vie. Pension payée par le travail de milliers de Mauriciens qui eux n’en auront jamais fini d’être exploités…

Il n’est pas nécessaire d’avoir des allumettes ou une bombe pour être coupable d’incendie. Le sont tout autant tous ceux qui sacrifient allègrement l’intégrité sur l’autel de la cupidité. Le feu allumé par ceux-là pourrait être plus ravageur qu’ils ne croient… 

SHENAZ PATEL

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