Face à la démission forcée d’Ameenah Gurib-Fakim de la présidence de la République, la même réaction monte des quatre coins de l’île. Aussi bien du côté de ses détracteurs — de plus en plus nombreux — que de ses admirateurs — il en reste — : elle a été mal conseillée. D’autres nuancent le propos en disant qu’elle a accepté d’être mal conseillée, qu’elle a préféré suivre les conseils qui lui faisaient plaisir. Dès sa nomination, on aurait dû lui avoir dit — elle aurait dû avoir compris — que la Présidente est au service du pays et de son image, et pas le contraire. Dès le départ, on aurait dû lui avoir fait comprendre qu’elle ne pouvait porter quatre ou cinq casquettes et en changer selon les circonstances du moment ou son bon vouloir. Ce qui lui aurait évité son premier faux pas : accepter sa nomination comme présidente de la République tout en continuant à agir comme ambassadrice de L’Oréal. Faute d’avoir été rappelée à l’ordre, elle a continué à mélanger les rôles — ou les casquettes —, se laissant griser par le confort de la première classe des avions et des salons VVIP des aéroports.
Si elle faisait également des discours présidentiels qui ont rejailli sur notre pays, il n’empêche qu’elle a aussi un goût du luxe, se refaisant une beauté en transit à l’aéroport, entre deux voyages, en sirotant une coupe en femme moderne et libre. Le tout servi par des membres du personnel du Réduit se comportant plus en majordomes que comme des fonctionnaires. Le fait que le chef du gouvernement continuait à approuver ses voyages — 59 en trois ans — a dû encourager la présidente à persévérer dans la même voie, cela ponctué de mélanges de casquettes. C’est ainsi qu’on l’entendit chanter — très mal — Kabie, Kabie… et porter une création d’un designer dans une manifestation de haute couture filmée par la télévision pakistanaise. Après avoir été actrice, puis chanteuse, la présidente de la République se transformait en mannequin ! Quand les journalistes évoquaient ces mélanges de genres, elle répondait qu’elle n’avait rien à se reprocher, qu’elle bénéficiait du soutien du gouvernement et que ses voyages rapportaient au pays. En plus d’une occasion, elle a même déclaré que ses voyages avaient rapporté un milliard au pays !
Si elle avait été conseillée comme il le fallait, Ameenah Gurib-Fakim aurait refusé un poste de direction au sein de l’ONG Planet Earth Institute d’Alvaro Sobrinho. Elle aurait compris que ce n’était pas pour ses beaux yeux et sa compétence de scientifique que l’homme d’affaires angolais la recherchait, mais pour le prestige attaché au poste de présidente et qui fait ouvrir les portes des institutions gouvernementales. Elle aurait surtout refusé que l’ONG lui donne une carte de crédit avec un plafond de presque un million de roupies à son nom. Il est ahurissant de penser qu’aucun des conseillers de la présidente ne lui a dit qu’en acceptant cette carte de crédit elle faisait — pour dire le moins — une entorse à sa fonction. Sont-ce les mêmes conseillers qui lui ont suggéré de lancer un ultimatum à l’express quand le quotidien a publié la liste de ses dépenses personnelles
— bijoux, vêtements, chaussures — payées avec la carte de PEI ? Est-ce que ce sont les mêmes conseilliers qui lui ont suggéré de dire, quand il était devenu évident qu’elle ne pouvait nier l’authenticité de la liste, qu’elle avait utilisé la carde de crédit par “inadvertance”? Est-ce que ce sont les mêmes conseillers qui lui ont dit de dire qu’elle avait utilisé la carte par “inadvertance” plus d’une vingtaine de fois sur une période de plusieurs semaines ? Avec des conseillers de cet acabit, Ameenah Gurib-Fakim n’avait pas besoin de redouter ses ennemis…
Mais le pire était à venir en termes de mauvais conseils, puisque ceux qui les dispensaient ont poussé Ameenah Gurib-Fakim dans un affrontement frontal contre le gouvernement. Une bataille perdue d’avance. L’opinion publique aurait soutenu une présidente refusant de démissionner sur une question de principe, pas pour des achats de bijoux, de chaussures et de robes faites par “inadvertance” avec une carte de crédit destinée à payer les dépenses d’une ONG. Et comme si cette déclaration de guerre ne suffisait pas, les conseillers — les mêmes ou de nouveaux experts constitutionnels autoproclamés proches d’un parti politique — y ont ajouté une dernière mesure qui a mis fin au mandat de la présidente : lui faire nommer une commission d’enquête alors qu’elle ne peut pas le faire. Comme le dira plus tard le ministre Mentor en résumant la situation, « en nommant cette commission d’enquête, la présidente s’est tiré une balle dans le pied. » C’est ainsi que pour avoir écouté de mauvais conseillers, Ameenah Gurib-Fakim, qui était arrivée à la présidence soutenue par tout un pays, a dû quitter le Réduit en catimini vendredi, après avoir provoqué une déception nationale. Il ne lui reste que ses beaux yeux pour pleurer et méditer sur ce proverbe universel : « Les conseilleurs ne sont jamais les payeurs. »