Les limites du clientélisme

Lorsque des voix se sont élevées, il y a des années de cela, pour déplorer le pervertissement de certaines fêtes dites religieuses qui, au fil des années, ont été transformées en carnaval, bruyant, dérangeant et posant, en plus, un vrai problème de sécurité publique, ceux qui se sentaient visés ont crié au communalisme ou au racisme. Dans tous les courants religieux, il y a ceux qui pensent que la pratique de la foi doit se faire de manière ostentatoire. Comme porter une croix plus grande que l’autre, répéter toute la journée que l’on observe le jeûne et déambuler avec le plus gros et le plus grand kanwar. La religion tape-à-l’œil !

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Moins ils croient, plus ils font du bruit et l’étalage de leur foi. Pour les yeux des autres, ceux réputés pieux étant considérés comme des saints. C’est du moins ce qu’ils croient. Mais dans l’île Maurice plurielle, si le vivre-ensemble implique une grande tolérance, elle requiert aussi une immense responsabilité. Il n’est pas acceptable qu’une pratique rituelle ait, d’année en année, dérapé pour devenir une source de nuisance sonore, visuelle, sécuritaire et environnementale. On ne peut pas prendre un bâton et soulever des câbles du CEB ou de Mauritius Telecom pour faire passer des structures sans s’exposer à des accidents. On ne peut pas passer devant des maisons de retraite et à toutes les heures du jour et de la nuit avec de la musique diffusée à fond dans des véhicules transformés en disco-mobiles. C’est la religion, ça ?

Sans être nostalgique, on ne peut que regretter ce temps vraiment béni de la procession silencieuse des pèlerins vêtus du blanc de la pureté, avec leur petit kanwar orné de jolis miroirs sur les épaules. Ils marchaient jusqu’à Grand-Bassin en respectant les autres usagers et se tenant des deux côtés de la route. C’était tellement inspirant que des personnes d’autres confessions religieuses se joignaient spontanément aux pèlerins pour faire un bout de chemin avec eux. Question de partager un moment de communion et de spiritualité. Those were the days !

Le laisser-aller a pris une tournure dramatique cette année. Deux morts ont été enregistrés dans un malheureux accident qui aurait pu être évité si tout ce qui s’organise autour de cette fête ne relevait pas d’un clientélisme outrancier. Il a montré ses limites de manière dramatique. Pour qu’il n’y ait plus de victimes, il faut maintenant agir. Le gouvernement, pas seulement celui du jour, intervient trop dans la sphère religieuse. Cela doit cesser. Après le drame survenu jeudi, le conseil des ministres a annoncé un comité ministériel présidé par le ministre de la Culture, Avinash Teeluck. Encore une fois, cet amalgame malsain religion/culture alors que c’est le Premier ministre qui préside la Task Force sur les principales fêtes religieuses du pays. Il est grand temps de dépolitiser tout ça. Laisser à un board multiconfessionnel et pluridisciplinaire décider de l’organisation des grandes célébrations religieuses.

Vendredi de la semaine dernière était le jour de la désignation des lauréats. Des établissements inattendus et mal considérés ont rayonné et des élèves de milieux modestes ont réalisé de bien belles performances. C’est marginal, mais c’est néanmoins rassurant en ceci qu’il met à mal la fatalité attachée à la condition sociale. Celle qui veut que seuls les nantis peuvent atteindre les sommets de la réussite scolaire. Parce qu’ils ont davantage de moyens et qu’ils peuvent, par exemple, s’offrir les meilleurs professeurs pour leurs leçons particulières. Lorsque ces lauréats viennent, en plus, de quartiers qui traînent, souvent à tort, une mauvaise réputation, ils doivent, plus que les autres, être logiquement célébrés.

Dans leurs propos post-résultats, quelques lauréats, qui étaient interrogés sur leur perspective de carrière, leur choix de filière et leur éventuel retour au pays, ont évoqué la méritocratie. C’est le mot-clé. Il n’est pas étonnant que ceux qui viennent de régions défavorisées et qui savent ce que c’est que d’être étiquetés, catégorisés, souvent rejetés, insistent sur cette notion de méritocratie. Or, en ce même vendredi 10 février, pendant que ces vaillants jeunes adultes exprimaient leurs légitimes attentes d’une République du mérite, l’instance délibérative gouvernementale décidait de la nomination de Dineshrao Babajee à la direction de la Mauritius Shipping Corporation. Il prend le relais de Krishnajee Lalsing, sommé de débarrasser le plancher après les péripéties du service de cabotage entre Maurice et Rodrigues. Le nominé politique Dineshrao Babajee n’a pourtant pas brillé là où il est passé depuis sa défaite aux élections générales de 2014.

Le candidat battu avait d’abord été nommé directeur de l’établissement sucrier de Rose-Belle. Son passage de 2016 à 2020 a été entaché d’accusations de favoritisme lors d’un exercice de recrutement qui lui a même valu une enquête de l’ICAC. Si, comme attendu, l’enquête n’a rien donné, la seule chose que le gouvernement ait trouvé utile de faire c’est de nommer Dineshrao Babajee, cette fois, directeur du Sugar Investment Trust. Mais après des dénonciations, à l’Assemblée nationale notamment, le directeur a été prié de prendre congé en juin de l’année dernière. Pour être de nouveau repêché le 10 février à la MSC. Au nom de ce même clientélisme indécent.

C’est le jour même où elle et ses collègues du conseil des ministres décidaient de cette nomination scandaleuse que la ministre de l’Éducation Leela Devi Dookun-Luchoomun osait demander aux lauréats de revenir au pays. Pour être parqués au bord de la route au profit de « nou dimounn ». Pas étonnant qu’ils aillent voir ailleurs.

À ceux qui parlent, avec raison, de rupture, le programme doit être : laïciser, démocratiser et « méritocratiser ». La République doit retrouver tout son sens. Rien d’autre ne permettra de redresser la barre et refaire de ce pays un endroit où il fait bon vivre. Le chantier est immense, mais pas irréalisable.

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