Les interviews de Pierre

Pierre Dinan a eu la mort parfaite, selon ses critères. Jeudi dernier, comme d’habitude, il a conduit sa voiture pour aller à la messe du matin avec Monique, son épouse. Au retour, ils ont petit déjeuner puis, se sentant un peu fatigué, Pierre est allé s’étendre dans un des fauteuils de son salon, pour contempler les fleurs du balcon et surtout le magnifique jardin, potager et verger qu’il a fait créer en développant une berge de la rivière Wilhems, qui passe à côté de sa résidence. C’est, sans doute, le résultat de ce dur labeur, qui a transformé un terrain sauvage en un petit jardin d’Eden, qu’il a vu avant de fermer ses yeux pour toujours. Une vision de son petit paradis avant d’aller prendre place dans le grand… Promis aux honnêtes hommes. C’est dans sa maison de la rue Eliacin François, à Rose-Hill, dont les pièces furent ajoutées au fur et à mesure que grandissaient ses cinq filles, que Pierre donnait ses interviews post budget pour Week End. Le rendez-vous avait été organisé la veille par téléphone et il trouvait toujours un créneau pour Week End – le journal où il avait publié ses premiers papiers, à la demande de Jacques Rivet, avant d’en devenir le chroniqueur économique attitré. Il trouvait le temps nécessaire, malgré un emploi du temps très chargé entre plateaux de télévision et de radio la veille et autres petits déjeuner-analyses le matin et après avoir écrit, dans la nuit, une ou deux chroniques déjà publiées dans la presse du jour sur le même sujet. Monique, son épouse, sa complice et son âme-sœur, se chargeait de l’accueil en offrant du thé, du café ou un jus de fruit maison, toujours accompagné d’une tranche de gâteau ou d’une friandise, souvent fabriquée à partir des produits de la cour ou du verger. En général, l’interview avait lieu dans la salle à manger où Pierre arrivait avec la copie du budget annotée et des feuilles volantes sur lesquelles il avait consigné ses remarques. Une fois l’enregistreur mis en marche, Pierre expliquait et décortiquait le budget en prenant soin de choisir le mot, la mesure ou la statistique appropriés.
Les analyses de Pierre Dinan, comme ses autres écrits sur l’économie, d’ailleurs, étaient attendues et, dit-on, redoutées du ministre et des économistes qui avaient préparé le budget, des observateurs politiques et même du grand public. Grâce à ses analyses, beaucoup de Mauriciens ont compris le fonctionnement et l’importance de l’économie et certains termes comme l’inflation, le pouvoir d’achat, la balance de paiements, la dette et le PIB, entre autres, sont passés dans le langage courant. Autrement dit, Pierre Dinan aura contribué, avec d’autres, à démocratiser la compréhension de l’économie et à la rendre accessible au plus grand nombre. Même si certains jeunes économistes disaient que c’était des analyses à l’ancienne, sans ces formules mystérieuses mais sonnantes dites modernes, ils respectaient le travail de Pierre. Parce que ce travail reposait sur une longue expérience et un certain sens de la mesure. Même quand une stratégie ou une décision lui semblait déraisonnable, contre l’intérêt public, il savait le dire sans antagoniser qui que ce soit, comme les gens de sa génération savaient le faire. Avec élégance. Quand j’ai appris la nouvelle de sa mort, je me suis demandé qui allait pouvoir le remplacer pour analyser et décortiquer le prochain budget ou importante mesure économique. Je n’ai pas encore trouvé de réponse à cette question. Ce que je sais, par contre, c’est que ces interviews après budget me manqueront et que je me souviendrai de certains passages longtemps encore. Comme la réponse finale de la dernière interview de Pierre Dinan, réalisée le mois dernier, avec laquelle je conclus ce billet d’humeur qui est, on l’aura compris, un hommage affectueux.
La dernière question découle de l’actualité et a fait le tour des réseaux sociaux depuis le meeting du 1er Mai au cours duquel le Premier ministre a déclaré que sa femme fait trembler les membres de l’opposition et les journalistes. Comme il fallait s’y attendre, la déclaration a été détournée et est devenue un joke, ce qui m’incite à vous demander : Eski ou madam faire ou tremblé ?
(Grand éclat de rire, puis on entend la voix de Monique, son épouse, qui a entendu la question) :
— Mais Pierre, réponds-lui que tu trembles d’amour pour moi !
— Ça, c’est la réponse de ma femme, pas la mienne ! Moi, j’essaye de trouver une réponse intelligente à votre question qui ne l’est pas ! Pour ma part, j’espère qu’il n’est pas question de tremblement entre mari et femme, mais de bonne entente. Parce qu’entre autres, notre démographie en a bien besoin et que c’est une question qui devrait préoccuper davantage et très sérieusement les Mauriciens !

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Jean-Claude Antoine

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