Et si le vrai budget était en dehors des envolées lyriques de Renganaden Padayachy et que l’exercice auquel il s’est livré le 7 juin n’était rien qu’un catalogue de nouvelles qui se voulaient positives, l’imminence des élections générales imposant l’apparence de la générosité ?
D’autres ont, certes, utilisé ce subterfuge pour tenter d’instiller un “feel good factor” post-budgétaire mais là, le gouvernement s’est pris à son propre piège tant et si bien que les quelques premières bonnes impressions recueillies après la présentation du budget 2024/2025 se sont bien vite évaporées.
C’est paradoxal, voire même ridicule : on peut annoncer la construction de drains ou de toilettes dans le budget, on peut même évoquer l’aménagement de jardins d’enfants ici et là, ce dans quoi excellaient jadis des administrations urbaines inspirées et compétentes.
Mais ce n’est jamais dans le long monologue d’un ministre des Finances qu’on entendra l’augmentation imminente et conséquente des prix de l’essence, des amendes routières et des tarifs d’internet ! Les seules hausses qui sont autorisées sont celles de l’alcool et de la cigarette, ces incontournables qui donnent bonne conscience à ceux qui les appliquent et la mauvaise à ceux qui les consomment.
Eh oui, c’est le lendemain même du budget que la mauvaise nouvelle est tombée pour les automobilistes qui enfreignent le code de la route : les amendes routières prennent un ascenseur digne d’une tour de Dubai ou de New York. Pour une plaque minéralogique qui n’est pas aux normes, c’est Rs 25,000 au lieu de Rs 1,000, et d’autres infractions sont aussi sanctionnées par une hausse considérable des amendes.
C’était, en fait, un retour déguisé au permis à points sommairement supprimé qui était en gestation. Voilà où mène la culture de tout démolir de ce que les prédécesseurs ont fait ! Après le tollé soulevé par ces annonces, le gouvernement a dû rapidement battre en retraite et envoyer le ministre de tutelle, Alan Ganoo au front pour éteindre le feu du mécontentement généralisé. Dans un débit soporifique digne d’une veillée mortuaire, le ministre a finalement annoncé, vendredi, que l’amende pour la plaque minéralogique non-conforme aux règlements sera plafonnée à Rs 5,000, comme pour toutes les autres infractions routières d’ailleurs.
Il fallait y penser avant. Mais avec ce ministre, c’est le sauve qui peut permanent. Il n’y qu’à voir ce qu’il est en train de bricoler à la hâte pour essayer de mettre un terme au scandale de la National Land Transport Authority, alors que ce gouvernement a eu 10 ans pour réfléchir à une simplification des procédures d’enregistrement des véhicules, Ajay Gunness ayant, avec raison, introduit depuis 20 ans maintenant, le paiement de la “déclaration”, la “road tax” aux bureaux de poste. Depuis, plus rien. C’est incroyable à quel point les projets qui tendent à améliorer le quotidien des gens et qui ne courent pas après les milliards sont soit ignorés, soit lents à se matérialiser sous ce gouvernement. Il n’est pas difficile de deviner pourquoi…
Que des mesures soient prises pour pousser à plus de discipline sur nos routes ne peut qu’être salué, mais est-ce que, seule, une augmentation des pénalités peut mettre fin à l’hécatombe en progression, enregistrée ces dernières années ? Ne se focaliser que sur la répression au lieu d’une sensibilisation permanente au respect du code de la route et à la bonne conduite en public est voué à l’échec.
Il faut voir aussi l’état des routes, leur marquage approximatif et, lui-même pas toujours aux normes, l’état des ralentisseurs – devenus plus un danger public qu’un aménagement de protection – et celui des panneaux de signalisation, avant de recourir à la facilité du tout fric.
Appliquer les règlements dans toute leur rigueur à tous indistinctement est indispensable. Tout ira aussi bien mieux le jour où un Speaker ne se garera pas sur l’aire de stationnement réservé aux handicapés, lorsque les ministres ne s’autoriseront aucun excès sur les routes, que les “fils de” qui insultent les policiers les verbalisant ou qui conduisent en état d’ivresse et blessent d’autres usagers seront traités comme le commun des automobilistes. Commencer par là sera, sans doute, plus efficace que des sanctions pécuniaires et fera penser à deux fois ceux qui ont pris de bien mauvaises habitudes.
L’autre mesure hors budget qui a fait bondir les Mauriciens est l’augmentation des tarifs d’internet, sous prétexte que Mauritius Telecom passe à la 5G. Le plus étonnant est que cette mauvaise nouvelle a été communiquée par la direction de MT le jour même où il se bombait le torse d’avoir réalisé un chiffre d’affaires de Rs 12,5 milliards et un profit avoisinant les Rs 1,2 milliards. Normalement, lorsqu’on présente un tel bilan, il y a un phénomène de ruissellement qui s’opère en faveur des actionnaires, des employés et des consommateurs, question de partager équitablement les fruits de la récolte. Dans le privé, c’est souvent le cas.
Or, la direction de MT a orchestré un grand happening pour parler de son bilan en l’assortissant d’une annonce d’augmentation qui a fortement irrité les consommateurs qui se plaignent déjà d’une lenteur du trafic bien trop récurrente. MT a, là aussi, rapidement fait machine arrière. Il a émis un communiqué pour dire que tous les forfaits allaient demeurer à leurs tarifs actuels. On dirait que le mot d’ordre n’a pas été respecté : repousser les augmentations et les mauvaises nouvelles pour après les élections, si jamais le peuple était devenu amnésique et qu’il choisissait de reconduire une équipe qui a bafoué tous les principes de la bonne gouvernance, de la responsabilité fiscale et du parler vrai.
Moralité : il y a le budget, celui qui prétend fer “labous dou”, il y a aussi le budget du lendemain, le vrai, celui qui assomme les consommateurs. Faut désormais retenir la leçon et ne pas trop “tap latab” à tout rompre pour découvrir ensuite que l’on s’est fait allègrement gruger.
Josie Lebrasse