Le “pire” est-il vraiment derrière nous ?

Elle est saisissante l’assurance avec laquelle le Premier ministre adjoint et ministre du Tourisme mauricien a déclaré cette semaine, au sujet de la pandémie de Covid-19, que « le pire est derrière nous ».

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Pour sûr, le ministre joue là son rôle de réassurance à la veille de la réouverture de nos frontières sans quatorzaine obligatoire à compter de vendredi prochain, 1er octobre. Pour sûr, le pays a besoin que le tourisme redémarre, après dix-huit mois de fermeture. Pour sûr, les finances publiques vont arriver au bout de leur capacité avec les Rs 14 milliards qui auront été injectées durant cette période pour soutenir les salaires dans ce secteur à travers le Government Wage Assistance Scheme (GWAS) et le Self-Employed Assistance Scheme (SEAS).

Mais pouvons-nous être aussi certains que le pire est derrière nous ? N’est-il pas possible de s’interroger sur les conséquences possibles de cette réouverture sans forcément être traités « d’antipatriotiques » ?

Ce qui se passe ailleurs dans le monde nous montre pourtant qu’il est difficile, voire périlleux, d’afficher des certitudes en la matière. Ces dernières semaines, plusieurs autres pays ont décidé de s’ouvrir et de « vivre avec » la Covid. Mais les résultats portent encore à questionnement, voire à inquiétude.

Après une première phase très restrictive, Singapour avait annoncé en juin dernier son intention d’aller vers une « living with Covid strategy », en choisissant de traiter les malades et de réduire les restrictions à la vie quotidienne. En août, certaines restrictions furent levées, et les restaurants rouverts. Pour la première fois depuis le début de la pandémie, l’ouverture de la cité-État aux voyageurs internationaux était envisagée pour le mois de septembre. Mais même si elle a vacciné totalement 81% de sa population, une forte augmentation de cas dus au variant Delta a été enregistrée ces dernières semaines. Mettant en suspens les autres mesures de réouverture. Et amenant les autorités singapouriennes à réintroduire une démarche plus agressive de contact tracing et de tests obligatoires.

La Thaïlande, elle, affiche une situation particulière : en dépit d’un taux très lent de vaccination (moins de 20%), les autorités avaient décidé de rouvrir Bangkok et autres destinations populaires du pays aux touristes vaccinés au début de ce mois de septembre. Mais en raison d’une recrudescence de l’épidémie, les mesures de restriction ont été prolongées jusqu’à fin septembre, avec notamment Bangkok placée en « zone rouge foncé » avec couvre-feu strict.

Plus près de nous, l’Afrique du Sud, qui serait le pays d’Afrique le plus touché par la pandémie, a commencé à assouplir le 12 septembre dernier des restrictions jusqu’ici très strictes. Mais le président Cyril Ramaphosa a annoncé parallèlement son intention d’introduire un système de passeport vaccinal à être utilisé « à diverses fins et lors de divers événements ».

Autre cas de figure : celui du Chili qui, avec 87 % de personnes totalement vaccinées, des booster shots déjà administrés, et la vaccination des enfants à partir de 6 ans déjà engagée, prévoit de rouvrir ses portes aux touristes à partir du 1er octobre. Avec toutefois une mise en isolement de cinq jours à l’arrivée.

Les semaines à venir nous renseigneront sur ce qui va se passer dans ces pays. Et sur ce qui va se passer dans le nôtre. D’ores et déjà, compagnies aériennes et hôtels notent une tendance jugée « intéressante » au niveau des réservations. Et vu la façon très active dont la Covid circule actuellement sur le plan local, il n’y aurait pas forcément à craindre une contamination importée.

Mais une grande question subsiste, qui n’a pas réellement été traitée publiquement par le gouvernement. Que va-t-il se passer si les touristes qui nous arrivent non seulement développent une positivité à la Covid au cours de leur séjour, mais surtout nécessitent une hospitalisation ?

Cette question est pourtant cruciale pour deux raisons.
La première tient à la « publicité » que cela pourrait nous faire.
Les touristes qui sont capables de se payer des vacances à Maurice appartiennent à une catégorie socio-économique habituée à un certain niveau de vie. Imaginez-vous ces personnes dans nos hôpitaux publics ? Cela risque d’être un sacré choc… Et il suffira d’une poignée de secondes pour que cela fasse le tour des réseaux sociaux, et de tous nos marchés « émetteurs ».

Selon certains, c’est bien pour cette raison que le gouvernement a subitement décidé il y a semaines d’autoriser les cliniques privées à recevoir et traiter les patients atteints de la Covid, alors qu’il l’avait strictement interdit jusqu’ici. Il se trouve que l’on a soudainement appris cette « libéralisation » avec l’hospitalisation de Navin Ramgoolam, trouvé positif à la Covid. À un jour près, il aurait dû, comme tout le monde, aller au ENT Hospital. Mais l’ex-Premier ministre a été le premier à pouvoir choisir d’aller à la clinique Wellkin, et son choix de se faire évacuer d’urgence pour l’Inde en jet privé ne parle pas tout à fait en faveur du service de santé local. Très mauvais coup de pub, en fait, à la veille de la réouverture des frontières…

La deuxième question, plus fondamentale, tient à la capacité de notre système de santé à accueillir et traiter un surplus de malades.
On a beau tenter de le taire, il y a des récits très préoccupants qui sont faits ces jours-ci par des proches de personnes décédées de la Covid dans nos hôpitaux. Des récits qui disent que, comme pour la jeune fille de 20 ans morte en mars 2020 du Covid à l’hôpital de Souillac, leurs parents malades se sont plaints d’avoir fait l’objet d’une réticence du personnel hospitalier à les approcher et à les soigner. Que fait-on pour rassurer la population par rapport à cela ?

Ce même personnel hospitalier se dit lui débordé. S’il a déjà du mal à gérer les cas locaux, comment va-t-il arriver à gérer les cas supplémentaires qu’apporterait la réouverture aux touristes sans quatorzaine ? Le ministre du Tourisme l’a dit lui-même cette semaine : 14% des personnes mortes de la Covid à Maurice en 2021 avaient un schéma vaccinal complet. Rien donc ne permet de dire que le fait de n’admettre que des touristes vaccinés ne nous mènera pas plus de cas de Covid graves.

Il y aura l’apport supplémentaire des cliniques privées diront certains. Mais le Dr Dawood Oaris, président de l’Association des cliniques privées, est venu lui-même affirmer cette semaine que plusieurs cliniques sont disposées à apporter leur aide au ministère de la Santé en traitant des patients atteints de la Covid, mais qu’elles doivent disposer d’une salle d’isolement, des équipements nécessaires et du personnel requis pour assurer la prise en charge des patients. Or, dit-il, ces établissements ne sont pas tous dotés des infrastructures et du personnel nécessaires pour un tel exercice. Ainsi, le Wellkin Hospital où fut hospitalisé Navin Ramgoolam se dit disposé à accueillir d’autres patients positifs, mais des discussions sont en cours avec les autorités pour obtenir l’autorisation de recruter du personnel médical et paramédical étranger.

En bref, cela revient à dire que nos cliniques privées ne sont pas encore prêtes à recevoir un afflux de malades.
Est-ce donc être antipatriotique que de s’interroger sur cela ? Ou n’est-il pas légitime de se préoccuper de la façon dont est géré ce qui peut avoir un impact sur notre santé à tous, atteints de la Covid ou non, face à un service hospitalier que l’on n’aurait pas suffisamment « musclé » ?

« On vit dans un monde fou où ceux qui font la politique ne sont pas touchés par la politique : les décisions qu’ils prennent sur les allocations sociales, sur les retraites, sur les salaires, n’ont pas d’impact sur leur propre vie. C’est une incommensurable violence », déclarait récemment le jeune écrivain Édouard Louis sur France Culture.
À la différence de nos puissants de tous bords, très peu d’entre nous auront les moyens d’aller se faire soigner à l’étranger. Nous préoccuper de la façon dont la santé, voire la survie de nos concitoyens, peut ou ne peut pas être prise en charge localement relève dans ce cadre d’un droit et d’un devoir fondamentalement… patriotique, diraient certains…

SHENAZ PATEL

 

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