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Le jour où nous coulerons

Nous avons eu de la chance.
Freddy, le monstre-cyclone annoncé, s’est finalement un peu affaibli à l’abord de notre région, a accéléré et est passé à une distance suffisamment large pour ne pas nous affecter au-delà de quelques fortes rafales.
Mais même avec cette chance, les images de la houle qui a déferlé sur la côte nord, balayant certaines cours d’hôtels et de campements, nous a donné à toucher concrètement du doigt ce que mettait en lumière un récent reportage de la télévision française : à savoir les conséquences déjà visibles, et notre très forte vulnérabilité future au réchauffement climatique. Avec ce que cela entraîne comme fortes tempêtes, érosion, montée des eaux.
Les rapports scientifiques indiquent que le changement climatique menace l’existence même de plusieurs pays, qui risquent d’être recouverts par les eaux.
Depuis un certain temps déjà, on cite à cet effet le cas des Tuvalu, archipel du Pacifique sud qui compte un peu plus de 12 000 habitants. Plus près de nous, on parle aussi des Maldives. Cet archipel « de rêve », hautement touristique, constitué de 1 190 îles ou îlots situés dans des atolls.
Il est intéressant de savoir que ce sont de fait les Maldives qui nous ont donné le mot « atoll ». Mot emprunté au divehi, langue indo-aryenne des Maldives, pour désigner d’anciennes îles volcaniques dont les roches ont « disparu » par érosion et par enfoncement sous le niveau des océans, ne laissant que les récifs de corail qui continuent de pousser sur l’ancien pourtour de l’île. Qui plus est, la plupart des atolls des Maldives sont des faros, c’est-à-dire de petits atolls qui constituent un plus grand atoll. Et, nous dit-on, les faros n’existent qu’aux Maldives.
Lorsque l’on dit que les Maldives sont menacées de disparition, c’est donc quelque chose d’unique au monde qui risque ici de disparaître.
Il y a certes la faible élévation de ce territoire (le point culminant naturel s’élève à 2,3 mètres) qui est en cause. Mais cela se corse en raison des effets du réchauffement climatique et de la montée des eaux qu’il entraîne. Et si certaines études récentes indiquent que les récifs de corail en bonne santé pourraient s’adapter à une montée des eaux, et les îles suivre ce mouvement, le fait est que les récifs autour des Maldives ne jouissent pas d’une santé suffisante, (en raison de la pollution, d’un urbanisme mal maîtrisé, d’une surexploitation des ressources naturelles). Et l’érosion y est telle que ces îles pourraient avoir disparu avant même que le niveau de l’eau ne monte de manière significative.
Résultat : quand on dit que les Maldives risquent de disparaître, ce n’est pas une projection lointaine. Ce n’est pas dans 2 ou 3 siècles. C’est là, en 2100. Autrement dit, des enfants qui naissent aujourd’hui aux Maldives pourraient, à 70 ans, voir disparaître les dernières traces de leur pays…
Car ce n’est pas seulement d’un territoire qu’il est question.
C’est aussi d’une population. Une population qui, à ce vendredi 24 février 2023, s’élevait à 565 694 personnes. Qu’adviendra-t-il de ces personnes ? De leur identité ? De leur culture ? De leur existence future en tant que population ?
S’ils ont été privés de leur territoire, les Chagossiens ont toujours gardé l’espoir de pouvoir un jour y retourner. C’est ce qui les a maintenus en vie. Qu’arriverait-il si, au terme de leur longue lutte qui semble enfin en bonne passe de devenir victorieuse, ils apprenaient demain qu’ils ont finalement le droit de revenir aux Chagos, mais que les Chagos ne vont bientôt plus exister ?
Qu’arriverait-il si nous, qui nous croyons bien à l’abri d’une telle histoire, nous apprenions demain que bientôt, d’île Maurice, il n’y aura plus ? Qu’adviendra-t-il de nous ? Ou irons-nous nous réfugier ? Comment ? Et s’il n’y a plus de Maurice, pourra-t-il encore, juridiquement, y avoir des Mauriciens ?
Car la Convention de Montevideo de 1933 l’établit clairement : un État est constitué d’un territoire défini, d’une population permanente, d’un gouvernement et de la capacité à interagir avec d’autres États.
Il y a quelques années encore, la disparition d’un pays ne s’opérait qu’en cas de guerre avec un autre pays. Il y a quelques années encore, on aurait pu dire que la disparition totale d’un pays par l’accroissement du niveau de la mer relevait de la science-fiction. Plus aujourd’hui. « La Terre est bleue comme une orange » écrivait Paul Eluard. La vision poétique est en passe de devenir un cauchemar réel : cette planète que l’on appelle Terre alors même qu’elle est recouverte d’eau à 70% est plus que jamais en passe de devenir une planète encore plus bleue…
Selon les experts du climat de l’ONU réunis au sein du GIEC, le niveau de la mer s’est élevé de 15 à 25 cms depuis 1900, et ce mouvement s’accélère, à une allure encore plus rapide dans certaines zones tropicales. Ils estiment ainsi que si nous poursuivons au même rythme nos émissions de gaz à effet de serre, les océans pourraient, d’ici la fin de ce siècle, s’élever de près d’un mètre de plus autour des îles du Pacifique et de l’océan Indien. Imaginez : d’ici 70 ans, la mer plus haute d’un mètre autour de nos côtes… Imaginez : tout ce qui sera sous l’eau…
En septembre 2022, des gouvernements d’îles du Pacifique se sont réunis pour lancer l’initiative « Rising Nations ». Leur but : « Convaincre les membres de l’ONU de reconnaître notre nation, même si nous sommes submergés par les eaux, parce que c’est notre identité », explique Kausea Natano, Premier ministre des Tuvalu. En d’autres mots, avoir quelque part ce qui reste du territoire, sa population ailleurs, et son gouvernement dans un autre lieu.
Encore faudrait-il que l’ONU fasse passer une déclaration politique générale, puis des traités spécifiques entre l’État menacé et l’État hôte qui serait d’accord pour accueillir le gouvernement en exil et la population, qui aurait alors, ou pas, une double nationalité… Au vu des nationalismes exacerbés qui s’expriment aujourd’hui à travers le monde, au vu de la façon dont sont rejetés les migrants qui fuient actuellement des pays où il ne leur est plus possible de vivre (bonjour le bateau de réfugiés srilankais que Maurice a récemment repoussé vers La Réunion), on peut imaginer ce que cela va donner…
Des centaines de milliers non de réfugiés climatiques comme on le dit, mais d’apatrides climatiques, parce qu’ils n’auront nulle part où se réfugier, ne seront acceptés nulle part.
C’est peut-être cette perspective de millions de déracinés poussant à leur porte qui a finalement amené les « pays développés », lors de la COP27 en Égypte en novembre dernier, à accepter une question que les pays en développement ont essayé sans succès de mettre sur la table depuis 30 ans: celle du financement des pertes et dommages des impacts irréversibles du changement climatique (inondations, cyclones meurtriers, montée du niveau des mers etc.), effets qu’ils subissent alors qu’ils sont peu pollueurs.
Au terme de négociations houleuses, notamment sur la question de savoir qui qui doit contribuer à ce fonds, les pays développés ont fini par adopter la proposition des pays en développement. Mais il faudra maintenant s’atteler à définir les fonctions de ce fonds, déterminer où trouver l’argent pour l’alimenter et définir le mécanisme qui permettra d’assurer que l’argent est alloué aux populations qui en ont le plus besoin. Autant dire qu’on n’est pas sortis de l’auberge…
Pendant ce temps, alors que l’enjeu est énorme et urgent, nos hommes politiques semblent uniquement préoccupés de se faire la guéguerre de l’ego. Du « C’est moi qui dois être Premier ministre parce que je veux ce butin-là ». Dirigeant d’un territoire qui n’existera bientôt plus ?
Ou quand la politique du « après moi le déluge » risque de prendre une résonnance bien trop réelle…
SHENAZ PATEL

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