Le hourra des Chagos

Enfin. Enfin. Enfin.

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Enfin, le 25 février dernier, la Cour Internationale de Justice des Nations unies a émis un avis favorable à la cause chagossienne. Affirmant que l’administration des Chagos par la Grande Bretagne va à l’encontre de la législation internationale.

Et cet événement est de taille.

Depuis une vingtaine d’années, le Groupement Réfugiés Chagos mené par Olivier Bancoult a inlassablement multiplié les recours judiciaires en vue de faire reconnaître le tort causé aux Chagossiens, lorsqu’en plein processus de décolonisation, en 1965, la Grande Bretagne soustrait l’archipel des Chagos du territoire de Maurice pour en louer l’île principale de Diego Garcia aux Etats-Unis. Résultat : une base militaire de premier plan pour les Américains, et une expulsion de leurs îles natales pour des Chagossiens livrés à l’incompréhension et au désespoir face au sort qui leur est infligé.

Depuis, les Chagossiens n’ont cessé de se battre pour tenter de faire reconnaître le préjudice commis, réclamer une compensation et un droit de retour dans leur pays natal. Une lutte d’abord menée par des femmes, Charlesia Alexis, Lisette Talatte, et bien d’autres, des femmes battantes qui ne reculent devant manifestations de rue, grèves de la faim, affrontements avec la police et emprisonnements, pour tenter d’obtenir justice.

Si l’option légale adoptée par la génération suivante menée par Olivier Bancoult et le GRC semble d’abord obtenir quelques avancées, ces dernières années marqueront une série de revers. Le dernier en date : le 8 février dernier, avec le rejet par la Divisional Court britannique de la demande de révision judiciaire du GRC, affirmant qu’une cour de justice ne peut statuer sur le bien-fondé d’une décision gouvernementale.

Il y a aussi eu, en décembre 2012, le jugement désastreux de la Cour Européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg, qui avait déclaré irrecevable le recours des Chagossiens, estimant qu’ils avaient renoncé à toute autre prétention en acceptant une compensation financière accordée par Londres dans les années 80. Une somme dérisoire de Rs 40 000, versée à des personnes sans le sou, en échange d’une signature sur un document que beaucoup ne pouvaient pas lire…

Ce qui a évolué entretemps, c’est la décision du gouvernement mauricien, porté par Anerood Jugnauth, de finalement engager l’Etat mauricien dans cette lutte en revendiquant plus fermement la souveraineté perdue de Maurice sur les Chagos. Fermeté qui se traduit par le choix de porter l’affaire devant l’ONU. Ce qui, diplomatiquement, avait été jugé peu recommandable, voire impossible jusque-là.

Une première porte s’ouvre lorsque, le 22 juin 2017, Maurice obtient de l’Assemblée Générale de l’ONU le vote d’une résolution de porter l’affaire devant la Cour Internationale de Justice (CIJ).

Et puis survient enfin, cette semaine, l’avis tant attendu de la CIJ. Qui dit, en termes forts et sans équivoque, qu’eu égard à la législation internationale, le processus de décolonisation de Maurice n’a pas été complété légalement lors de l’accession du pays à l’indépendance en 1968, suite à l’excision de l’archipel des Chagos du territoire mauricien. Que l’administration des Chagos, depuis, par la Grande Bretagne, constitue un acte illicite (a wrongful act) engageant sa responsabilité internationale. Et que la Grande Bretagne doit mettre un terme à son administration de l’archipel des Chagos, et ce le plus rapidement possible.

Avis quasi-unanime émis à 13 voix contre 1, le seul « dissenting vote » émanant d’un juge… américain.

Quelque 50 ans plus tard, c’est une avancée extraordinaire.

Certes, il s’agit là d’un avis consultatif, qui n’a rien de contraignant.

Mais si légalement, rien n’a changé, ce jugement est très important politiquement.

L’étape suivante est bien entendu que Maurice fasse pression pour que les Nations unies aillent de l’avant avec le vote d’une résolution. Mais ceci nous apportera-t-il une vraie avancée ? Certains citent les dizaines de résolutions prises par rapport à l’occupation de la Palestine par Israël. Qui n’ont rien changé.

De fait, le Foreign Office britannique a réagi à l’avis du 25 février dernier en disant que « c’est un avis consultatif, pas un jugement. Et que la décision de l’Assemblée Générale de l’ONU de faire appel à un avis consultatif de la CIJ était un abus de pouvoir (a misuse of power), qui instaure un dangereux précédent pour d’autres différends (ou litiges) bilatéraux. Cela alors même que la CIJ a estimé, à l’unanimité de ses 14 juges (y compris l’Américain), qu’elle a la juridiction nécessaire pour donner l’avis consultatif demandé.

Même si Maurice l’obtient, une résolution de l’ONU ne pourrait donc qu’appeler à la négociation. Une option qui pourrait toutefois ne pas apparaître totalement impossible, dans la mesure où le gouvernement mauricien a déclaré que sa revendication de souveraineté sur les Chagos ne remettait pas en cause la présence d’une base militaire américaine sur l’île principale de Diego Garcia…

Quoi qu’il en soit, cet avis du CIJ demeure important car il replace Maurice, et la population chagossienne, au cœur du débat international ayant trait à la décolonisation, à la sécurité internationale et aux droits humains. Ouvrant donc la voix. Et peut-être une voie. Y compris sur la question de la réinstallation dans l’archipel des Chagos de citoyens mauriciens, incluant ceux d’origine chagossienne, le CIJ disant que cette question devrait être résolue par l’Assemblée Générale des Nations unies comme partie du processus de parachèvement de la décolonisation de Maurice. Humainement, cet avis est capital, car il vient finalement apporter la reconnaissance internationale du préjudice subi par les Chagossiens. C’est déjà bon à prendre.

Pour le reste, le combat s’engage encore…

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