Cela fera bientôt deux mois, le 11 prochain, que le gouvernement du changement est en place. Le temps d’un tout premier bilan va vite s’imposer et la fameuse notion du verre va devoir être vérifiée. Est-il plein ou n’est-il qu’à moitié vide parce que tout est à faire et à refaire ?
Dans un souci d’indulgence et de respect du temps de grâce qui sont de rigueur pour toute équipe qui vient de s’installer, aventurons-nous sur le postulat que ce verre est à moitié plein. Certains pourront, avec raison, se plaindre des nominations qui ne sont pas toujours à la hauteur des espoirs placés dans l’équipe du changement.
C’est vrai que les critiques les plus virulentes viennent, sans doute, de ceux qui s’attendent à un signe et qui se voyaient déjà dans des postes rémunérateurs, mais le fait brut est qu’à côté d’excellents choix, il y aussi quelques uns qui font tiquer.
La valse à deux temps à Air Mauritius, entre le membre du conseil d’administration et le CEO désigné Dass Thomas – désormais jugé indésirable en raison d’une incartade sur un green, selon la version officielle, mais qui doit cacher certainement autre chose – est la dernière des choses qui doit arriver à la compagnie nationale d’aviation, en ces temps de grande turbulence.
La situation sur les routes est aussi une cause de grande inquiétude de la population. Trop de morts déjà depuis le début de l’année. C’est un dossier difficile dans la mesure où le nombre de véhicules ne cesse d’augmenter et que les chauffeurs qui, pour beaucoup, ne savent pas conduire, sont de véritables dangers publics avec leur indiscipline, leur excès de vitesse, leur consommation d’alcool et, surtout, de stupéfiants.
C’est une cause nationale qui demande l’attention urgente du nouveau gouvernement, s’il ne veut pas que les statistiques restent trop élevées. Réduire le flot de véhicules en encourageant les transports publics, taxer ces grosses cylindrées qui sont bien trop nombreuses pour un aussi petit pays que le nôtre et qui encombrent nos artères, introduire au plus vite le permis probatoire et être bien plus exigeant aux examens de conduite, il faut sans doute un programme à multiples volets pour réduire le nombre de morts sur nos routes.
La drogue est aussi un sujet de grande préoccupation. Les clichés de ces zombies qui s’affalent à même l’asphalte ne sont pas que quelques incidents isolés. Dans nos villes comme dans nos campagnes, on croise quotidiennement des jeunes hommes surtout, incapables de se tenir debout, et ce n’est de toute évidence pas les effets d’une alcoolisation élevée mais ceux d’une prise de drogue synthétique bon marché mais terriblement dévastatrice.
Si la NATRESA doit prochainement renaître de ces cendres où l’avait enseveli un gouvernement MSM mal inspiré, la question du cannabis devra, tôt ou tard, se poser comme une voie de sortie strictement encadrée, à titre d’essai, de l’enfer du synthétique. Ne pas envisager la perspective de la dépénalisation du gandia, c’est se condamner à l’échec et hypothéquer une génération déjà fortement impactée par le fléau de la drogue.
Il y a les dossiers urgents sus-mentionnés comme il y a celui de l’économie. Qui, selon les tenants de l’ancien régime, reposerait sur “une base solide”. Or, Moody’s, tout en maintenant notre statut de Baa3, ce qui représente un soulagement, a prévenu d’une rétrogradation si des mesures radicales ne sont pas prises pour renverser la tendance d’un déficit chronique, d’un endettement massif et d’une générosité sociale difficilement soutenable à long terme. C’est le dossier le plus difficile, et le plus tôt les mesures seront prises, le mieux ce sera pour tout le monde.
À coté des dossiers brûlants, il y a aussi quelques avancées qui doivent être relevées. Le dernier Conseil des ministres a décidé de la mise sur pied d’un Steering Committee pour assurer le suivi des annonces du discours-programme et veiller à la réalisation de leurs objectifs.
C’est une très bonne nouvelle parce que cela permettra à ceux qui ont la responsabilité des divers chantiers à ne pas dormir sur leurs dossiers et à les faire avancer dans les délais. Parce que 2029 c’est vite arrivé et, si le gros des mesures annoncées le 24 janvier dernier ne se sont pas matérialisées dans les deux ans qui viennent, ce sera extrêmement difficile de se présenter devant l’électorat avec un maigre bilan.
La Financial Crimes Commission (Miscellaneous Provisions) Bill, qui sera débattu mardi prochain, a l’air d’un petit amendement, mais sa portée est pourtant considérable. C’est bien, après les lois urgentes présentées sur la compensation salariale et le 14ème mois que ce premier texte sur la FCC, dont la création fut très contestée, restaure la prérogative exclusive du DPP d’engager des poursuites à l’encontre de personnes accusées.
On en finit, donc, avec ce véritable “evil precedent” qui autorisait un commissaire de police vassal de Pravind Jugnauth à usurper les responsabilités constitutionnelles d’un DPP et à défier son autorité en infligeant aux contribuables une note de près de Rs 15 millions pour le service de ses avocats. Dans un autre pays moins tolérant, cette somme aurait été puisée des indemnités de retraite d’Anil Kumar Dip, et la Porsche avec laquelle il est parti aurait été mise en vente à l’encan pour honorer les frais légaux encourus.
En matière de tolérance, l’empressement de certains à voir Pravind Jugnauth, Renganaden Padayachy, Maneesh Gobin, les protagonistes de la Pulse Analytics Saga et ceux derrière les magouilles à la CNT ou à la CWA et ailleurs, enfiler leur costume orange de prisonniers de Melrose, pour tout compréhensible qu’il soit, appelle quelques réflexions.
S’il faut faire comme le régime d’avant et emprisonner les opposants, sans respecter le droit, le changement n’aurait aucun sens. Oui, aucun des nombreux voleurs de l’ancien gouvernement ne doit échapper à la justice mais, pour cela, le droit doit être respecté, les enquêtes doivent être bien ficelées et le DPP convaincu par la qualité des dossiers, afin que les tribunaux condamnent finalement les coupables. Aucune autre avenue expéditive ne serait acceptable dans une vraie démocratie.
JOSIE LEBRASSE