La promesse du vent

On a morflé ces derniers temps avec ce vent qui n’en finissait pas. Un vent qui faisait valser les feuilles et qui maltraitait les pauvres branches dénudées ; un vent qui nous poussait à rester bien au chaud à l’intérieur dès que cela était possible et qui, lorsqu’il nous fallait absolument sortir, nous entraînait dans une démarche inhabituelle, car poussés en avant ou en arrière par les bourrasques ! On se demande bien comment les oiseaux ont fait pour s’envoler et planer librement dans ces conditions. Ils ont été tantôt poussés à grande vitesse malgré eux, tantôt obligés de voler avec force contre la résistance causée par ce vent coriace et continu.

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Le vent est bruyant en cette fin d’hiver qui s’apprête à accueillir, nous l’espérons, des jours plus tranquilles et moins venteux. J’apprécie le spectacle auquel il nous invite chaque jour : danses des branches fragiles et feuilles en tourbillon ; chants des arbres ; mer démontée qui s’agite au son du bruit des vagues révoltées ; passants cheveux au vent et yeux larmoyants ; envol à toute allure d’écrits sur des morceaux de papier griffonné, invitant l’auteur des petits mots à une course sympathique pour essayer de rattraper le bout de papier avec des coups de main insensés ou des jeux de pied au sol pour la récupérer.

Fenêtres fermées et portes entrouvertes, j’ai lu brièvement et avec beaucoup de plaisir et d’intérêt ces quelques mots de Guy Dupré : « Je chercherais longtemps encore le secret de conduite qui permet de lier la douceur sans quoi la vie est peu de chose au déchaînement intérieur sans quoi la vie n’est rien. »

Pour le moment, le déchaînement est à l’extérieur. J’écoute murmurer, radoter et crier ces rafales imposantes et intimidantes. Elles en disent long sur la vie, sur nos limites, nos impuissances et nos envies. Elles racontent tout plein de choses enfouies dans un silence intérieur imposé par le bruit du vent.

Elles disent que nous devons croire en l’année prochaine sans se mettre la pression aujourd’hui. Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui est pénible qu’il le sera éternellement. Ce n’est pas non plus parce qu’aujourd’hui est facile qu’il le sera demain. Il faut continuer à croire malgré tout, tout en sachant que nous avons la grâce d’aujourd’hui pour aujourd’hui. Demain est un autre jour. Il nous est impossible d’en connaître la douceur et les rebondissements, l’amertume et les réjouissances.

Je suis tout ouïe devant un conseil avisé donné par la brise qui assure des jours paisibles : nous ne devons jamais accepter ni les compromis douteux ni les silences coupables. Ils nous plombent le moral et encombrent les ailes de notre liberté. À quoi bon alourdir les cœurs et les consciences ! Laissons ces poids lourds à ceux avides de puissance et de pouvoir. Deux boulets aux pieds qui tôt ou tard épuiseront et mettront à terre ceux qui empruntent la route de la toute-puissance, démente, désordonnée et parsemée d’orgueil.

Préférons plutôt celle qui conduit tranquillement à la sagesse. Un chemin bien plus discret mais salvateur, où discernement et humilité sont des ailes et non des boulets. Elles nous mèneront bien plus loin et bien plus haut sans que nous soyons contraints à des efforts surhumains.

D’un même élan, un souffle léger susurre inlassablement un mot que je ne connais pas : “Pistos, pistos… ” Je crois alors qu’elle évoque le fait d’être pistonné. Pas du tout ! Le père Michon, sur une radio française, a su m’éclairer. Ce mot grec signifie être sûr, fidèle et loyal, entre autres. N’est-ce pas là des qualités sur lesquelles nous pouvons compter ? Grâce à elles, nous pouvons être des personnes ancrées, solides et persévérantes. Mais pourquoi le vent nous insuffle une si belle chose avec tant de délicatesse et de douceur ? C’est parce que pour arriver à être cette personne-là, il nous faut deux choses : la fidélité et être éprouvé. Pas si simple d’accepter d’être éprouvé par la vie, mais qui y échappe ? Les épreuves éduquent, fortifient et sont une leçon de vie. Pas toujours, il est vrai, car certains y laissent parfois leurs plumes malheureusement… Mais appuyons-nous sur ce qui nous éprouve pour sortir de là comme d’humbles vainqueurs.

La vie est faite d’obstacles, de vallées tranquilles et de retournements. Sans cela, quels enseignements en tirerions-nous ? Qu’a-t-on à raconter sur un point d’eau tranquille, sans troubles ni nouveautés ? Qu’a-t-il à nous apprendre ? Rien. Il en est de même de notre vie. Une vie faite seulement de plaisirs, de désirs assouvis, de rires et d’insouciance mène à une vie faite d’illusions loin de toute réalité.

Oh la la ! Le vent a soufflé tellement fort qu’il m’a entraînée bien loin. Trop loin même ! Décoiffée et mine déconfite, je reviens sur mon sofa, face à cette porte vitrée entrouverte, qui est elle-même en face d’une mer gris vert foncé. Les vagues que je perçois ont un côté décalé en ce jour venteux. Elles s’expriment par des mouvements ininterrompus, se trémoussant comme des folles en délire.

La nature semble exprimer toutes ses émotions à travers l’eau en émoi, le bois sec des arbres qui s’entrechoquent et ce vent, ce vent qui nous fatigue, mais qui nous promet aussi de nous rafraîchir et de nous pousser au large. C’est sa promesse. Celle de toujours nous revigorer et nous porter plus loin dans nos combats et dans nos réflexions.

À rester en place, on ferait du surplace. Alors, du balai ! On se bouge et on n’aspire pas seulement à vivoter, mais à vivre pour changer les choses et faire la différence.

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