On n’échappe pas à la Fête des Mères.
Si à Maurice elle est célébrée aujourd’hui, cela fait déjà plusieurs semaines qu’elle est signalée par son sempiternel cortège de pubs qui en soulignent plus que jamais le côté commercial. La quasi-obligation d’acheter et d’offrir pour une fête qui, comme la Saint Valentin, fait d’une relation affective une chose qui devrait se prouver matériellement.
Mais il y a peut-être là matière à explorer autrement une relation manifestement essentielle à nos vies.
La psychologie et la psychanalyse ont exploré en profondeur l’importance de la relation à la mère dans nos existences, tant dans ses lumières que dans ses insondables manques, dérives et traumatismes.
De son côté, la science avance aussi des éclairages on ne peut plus intéressants.
Ce jeudi 25 mai, la start-up Neuralink, dirigée par Elon Musk, a annoncé avoir reçu l’accord des autorités sanitaires américaines pour tester ses implants cérébraux connectés sur des humains. De la taille d’une pièce de monnaie, ces implants sont censés permettre de communiquer avec des ordinateurs directement par la pensée. Si elle affirme que ces implants sont dans un premier temps destinés à aider des personnes paralysées ou souffrant de maladies neurologiques, la start-up travaille déjà à ce que ces implants puissent être utilisés par des personnes qui souhaiteraient doter leur cerveau d’une puissance informatique. Ce, selon Elon Musk, pour permettre à l’humanité d’arriver à une “symbiose avec l’Intelligence Artificielle”…
Pour l’instant, les prototypes ont été implantés dans le crâne d’animaux, notamment de singes qui seraient ainsi, dit-on, « capables de jouer à des jeux vidéo ou de taper des mots sur un écran, simplement en suivant des yeux le mouvement du curseur à l’écran ».
Si ces « inventions » sont étonnantes, et risquent rapidement de se révéler inquiétantes, il est une chose que la science n’est pas encore arrivée à faire : et elle concerne la gestation. A ce jour, on a toujours besoin, à la base, d’un corps de femme pour « fabriquer » une vie humaine, même si des travaux extensifs ont été menés sur le clonage depuis des décennies.
La science a par contre amené ces dernières années des découvertes déterminantes par rapport aux échanges de cellules entre une mère et son enfant pendant la grossesse. Et si pendant longtemps on a cru que ces échanges allaient uniquement dans le sens de la mère à l’enfant, on réalise de plus en plus que cela va aussi dans l’autre sens : en d’autres mots que l’enfant transmet des cellules à sa mère, cellules qui demeurent longtemps après sa naissance.
Si certains font remonter les premières intuitions de ce fait au pathologiste allemand Christian Georg Schmorl aux abords du 20ème siècle, d’autres études affirment que la première confirmation remonte à 1953, lorsqu’une certaine Mme McKey, âgée de 25 ans, décide de donner son sang pour la première fois. Curieusement, l’analyse effectuée en vue de déterminer à quel groupe sanguin elle appartient révèle que son sang est constitué d’un mélange de groupe A et de groupe O. Jusque-là, cette configuration n’avait été relevée que chez des personnes ayant récemment fait l’objet d’une transfusion sanguine. Mais Mme McKey n’a jamais été transfusée…
Interrogés, les laborantins certifient qu’il n’y a pas eu de mélange accidentel avec d’autres échantillons sanguins. Le mystère est entier.
Les médecins décident alors d’effectuer un deuxième prélèvement du sang de Mme McKey. Dont l’analyse confirme les premiers résultats et révèle, plus précisément, que son sang est constitué à 65% de groupe O et 35% de groupe A. Une occurrence qui avait jusque-là été relevé par des vétérinaires chez des jumeaux de bovins, mais jamais chez l’être humain. La piste de la transmission de cellules fœtales est alors évoquée. Et en 1996, des chercheurs découvrent effectivement, chez des femmes, des cellules fœtales qui ont survécu des années voire des décennies après une grossesse.
On commence alors progressivement à se rendre compte que loin d’être une barrière hermétique, le placenta laisse non seulement passer des cellules de la mère vers le fœtus mais aussi, plus inattendu, du fœtus vers la mère. Au cours de ces dernières années, les connaissances ont commencé à se répandre autour de ce qui est appelé le «microchimérisme fœtal». Un terme qui viendrait de chimère, cette créature hybride qui, dans la mythologie grecque, était composée de diverses parties d’animaux (tête de lion, corps de bouc, queue de serpent par exemple).
Les études s’interrogent aussi sur l’effet bénéfique ou néfaste que ces cellules pourraient avoir. En 2015, une équipe de recherche américaine publie dans la revue Bio Essays ses observations après avoir passé en revue près de 120 études internationales. Elle conclut que ce « don du fœtus » apporterait potentiellement à la mère des effets bénéfiques, néfastes ou neutres.
Ainsi, les chercheurs ont découvert que les cellules fœtales qui survivent de façon durable chez la mère sont souvent des cellules souches qui sont capables de régénérer différents tissus chez la mère, notamment pour réparer des blessures internes, favoriser la cicatrisation ou pour contrer certains problèmes cardiaques… Ces travaux montrent aussi que certaines cellules fœtales peuvent non seulement pénétrer dans le cerveau de la mère mais aussi s’y installer pendant des décennies, et s’y transformer en neurones…
Mais les cellules fœtales pourraient aussi, selon ces chercheurs, « perturber le système immunitaire de la maman, créant des inflammations persistantes, et à long terme des maladies auto-immunes ».
Tout se rapporterait donc, selon les chercheurs, à un subtil mécanisme de coopération/conflit. Ainsi, en envoyant certaines de ses cellules à sa mère, le fœtus lui apporte du renfort pour qu’elle se puisse se maintenir suffisamment en bonne santé afin de lui permettre de se développer et d’aller vers la naissance. Le fœtus contribue à réparer la mère, pendant que la mère le construit. Mais il pourrait aussi être « en compétition » si certaines ressources sont limitées.
Pendant toute la période de la gestation donc, et même si la grossesse n’est pas menée à terme, les cellules s’échangent, et certaines de ces cellules resteront dans le corps de la mère parfois très longtemps après la fin de la grossesse.
Au-delà, il est aussi intéressant de noter que selon les scientifiques, nous sommes susceptibles de porter en nous des cellules de fœtus nous ayant précédé dans le corps de notre mère. Créer la vie implique donc que chacun de nous porterons, dans nos os, nos tissus, nos poumons, notre cœur, notre cerveau, des cellules autres que celles qui sont nôtres en propre.
Cela veut dire, littéralement, que nous aurons toujours d’autres dans la peau.
Que nous serons toujours multiples, déjà dans nos cellules.
Cela veut dire que nous nous construirons toujours avec d’autres…
Au-delà de l’aspect scientifique, tout ce que cela peut représenter en termes d’identité, en termes d’imaginaires, en termes de poésie et de beauté, tout cela, assurément, vaut bien une fête vivante…