À l’heure où ce texte est écrit, on annonce que l’ex-Premier ministre, son épouse et deux de ses enfants vont quitter Maurice pour la Grande-Bretagne ce soir. Ils vont assister à la remise de diplôme d’une autre de leurs enfants. Ce sont les services d’information du gouvernement qui ont annoncé leur départ en précisant que l’ex-Premier ministre et sa famille bénéficieront, comme le prévoit le protocole et comme ils en ont fait la demande, de l’accès au salon VIP pour éviter de frayer avec les autres voyageurs. Quel contraste avec le sort réservé, il y a dix ans, à Navin Ramgoolam quand, grâce à la dénonciation d’un « ami » qui l’avait vendu, comme le Judas de l’Évangile, ses coffres-forts furent découverts et lui-même traînés aux Casernes centrales ! On se souviendra de ces images de la MBC — prévenue de l’arrestation montrant l’ancien Premier ministre tiré par le bras et la chemise par des policiers qui, comme son « ami », avaient rapidement changé de casaque, comme les fameuses carapates. Quelle différence entre ces deux manières de traiter un ex-Premier ministre. Il y a dix ans, on traitait — on condamnait — Navin Ramgoolam comme un malfaiteur, avant même que l’enquête ne soit ouverte. Une décennie plus tard, Pravind Jugnauth, que l’on pourrait accuser de pas mal de crimes contre le pays, est traité avec le respect dû à son rang d’ancien Premier ministre. Il y a dix ans, son père, qui ne cessait de se réclamer du système de Westminster, s’est comporté dans l’arrestation de Navin Ramgoolam comme un chef de gang, suivi par ses ministres et députés du MSM.
Très souvent, pendant son mandat de Premier ministre, Pravind Jugnauth a adopté le même comportement et le même langage contre Navin Ramgoolam. Pas seulement dans les meetings et autres réunions privées, mais également au Parlement. On se souviendra des questions plantées — comme les sachets de drogue, lors de certaines arrestations spectaculaires de la police de l’ex-commissaire de police — par des backbenchers serviles et complaisants. Juste pour permettre à Pravind Jugnauth de détailler le contenu de sacs découverts dans les fameux coffres-forts de Riverwalk. Comment oublier avec quelle excitation malsaine Pravind Jugnauth parlait de pilules et autres instruments d’aide à la sexualité, en lisant des réponses ressemblant plus à des textes de magazines pornos qu’à des réponses dignes d’un Parlement. Mais il est vrai qu’à cette période-là, le Parlement avait été transformé en foire avec un Speaker qui était tout ce que l’on veut sauf un arbitre des débats. Tout autre que lui aurait interdit au Premier ministre de rapporter une soi-disant conversation qu’il aurait eue avec l’épouse de Navin Ramgoolam à propos du traitement médical de son mari en Inde. Cette révélation d’une supposée conversation téléphonique privée a été faite au Parlement par l’ancien Premier ministre et figure dans le Hansard. Comme le fait que ni le Speaker, aucun ministre et backbenchers du gouvernement MSM et alliés — dont ceux qui affirmaient faire la politique autrement — ne s’opposèrent à cette bassesse politique.
Malgré l’envie qu’il doit avoir de rendre à Pravind Jugnauth la monnaie de sa pièce, Navin Ramgoolam se comporte, en la circonstance, en Premier ministre digne de ce nom. Ce type de conduite, carrément inexistant au cours des dix dernières années, doit être souligné. Il semble indiquer qu’après sa longue traversée du désert, le nouveau Premier ministre veut entrer dans l’histoire de son pays comme un homme d’État qui respecte la Constitution, et ne tire pas, comme son prédécesseur l’avait fait, sur un adversaire désarmé. Pravind Jugnauth a indiqué une date de retour à Maurice. Espérons qu’il reviendra au pays, car il faudra bien, comme dans toutes les démocraties qui se respectent, que celui qui a dirigé le pays assume ses décisions — même si on sait aujourd’hui que c’est son épouse qui les a prises à sa place — et rende compte de ses actes et assume ses responsabilités.
De la manière dont Navin Ramgoolam a commencé son mandat, on ne devrait pas s’attendre — je l’espère en tout cas — aux débordements orchestrés d’il y a dix ans. En tout cas, dans le traitement VIP qu’il fait accorder à son prédécesseur, Navin Ramgoolam donne une indication claire que, pour lui, dans ce cas précis en tout cas, le changement n’est pas qu’une promesse électorale. Cela écrit, le cynique que je suis ne peut s’empêcher de conclure ainsi : pourvu que ce ne soit pas l’exception qui confirme la règle !
Jean-Claude Antoine