L’argument a cette fois été très clairement énoncé par les autorités : si nous n’ouvrons pas les frontières le 1er octobre, Maurice va se retrouver en grande détresse économique. C’est en tout cas, après le Premier ministre la semaine dernière, ce qu’a dit en substance le Premier ministre adjoint et ministre du Tourisme. Ce, en réponse à ceux qui s’inquiètent localement du fait qu’à partir d’octobre, toute personne entrant à Maurice, pour peu qu’elle soit vaccinée, n’aura plus besoin d’effectuer de quarantaine en établissement hôtelier à l’arrivée.
Pour resituer les choses, c’est la première fois depuis mars 2020 qu’il en sera ainsi. Suite à la fermeture totale des frontières entrée subitement en vigueur le 18 mars 2020, il aura fallu attendre octobre 2020 pour que des visiteurs soient à nouveau admis à Maurice, mais avec quatorzaine obligatoire et payante à l’hôtel à l’arrivée. Cela jusqu’à la nouvelle fermeture survenue le 7 mars 2021, puis la réouverture le 15 juillet 2021, mais toujours avec quarantaine stricte de quatorze jours à l’arrivée, ce qui a été réduit ce mois-ci à sept jours.
En d’autres mots, la réouverture du 1er octobre va mettre fin à dix-huit mois de sas entre nous et le monde extérieur. Soudain, nous n’aurons plus le “filet de protection” que constituait la quarantaine.
Si les autorités et Business Mauritius font appel au “patriotisme” des Mauriciens pour accueillir cette réouverture, il serait extrêmement réducteur de ne voir dans la réticence et la crainte exprimées par certains qu’une marque de non-amour de son pays.
En mai 2021, la revue Scientific American faisait état de ce que certains appellent « the cave syndrome ». Soit le fait qu’après des mois de pandémie et de confinement, un nombre important de personnes ont développé une peur de retourner à une « vie normale », sortir de chez eux, interagir avec d’autres personnes, même si elles sont dûment vaccinées. Jacqueline Gollan, professeure de psychiatrie et sciences du comportement à la Northwestern University de Chicago, explique ainsi que s’ajuster à la « nouvelle normalité », quelle qu’elle soit, va demander du temps, vu la peur et l’anxiété créées par la pandémie. Ce à quoi fait écho une récente étude de l’American Psychological Association, qui rapporte que 49% des adultes interrogés anticipaient d’avoir du mal à revenir à des interactions interpersonnelles lorsque la pandémie se terminera.
À Maurice, il y a certainement de ce sentiment-là pour un certain nombre de personnes. Le sentiment réconfortant de la bulle. Ainsi, à Rodrigues, pourtant fermée plus longuement encore que nous, on a pu voir des personnes et associations s’apprêter à manifester ce week-end contre la réouverture de l’île sans quatorzaine. Cela juste avant que le gouvernement annonce cette semaine que la réouverture de Rodrigues sera elle repoussée au 1er novembre, le temps d’atteindre une plus large vaccination.
Mais beaucoup de personnes se rendent compte qu’il ne nous sera plus possible de continuer à vivre en quasi-autarcie.
Ce serait prolonger de manière insoutenable toute la détresse humaine occasionnée par cette fermeture, les familles séparées, celles et ceux qui n’ont pu assister des proches et personnes aimées dans la maladie et la mort, les Rodriguais toujours bloqués à Maurice depuis des mois, sans logement, sans revenus, loin de leur famille.
Ce serait aussi prolonger de manière insoutenable la galère économique qui est devenue la réalité de milliers de personnes. Il est plus qu’évident qu’après 18 mois, les caisses publiques ne pourront plus continuer longtemps à soutenir les secteurs du tourisme et de l’hôtellerie, qui représentent chez nous 24% du PIB et quasiment 1 emploi sur 4. Cela sans compter tous les emplois indirects liés à ce secteur.
C’est dire l’enjeu. Et son importance permet de mesurer l’énervement de certains face à la récente dépêche de l’AFP, dont le vocabulaire et l’expression presque cataclysmique s’éloigne sensiblement du côté habituellement clinique des dépêches d’agence, pour décrire la situation alarmante, voire catastrophique que vivrait Maurice à la veille de la réouverture de ses frontières.
Mais ce qui ne rassure pas, c’est sans doute le sentiment qu’une certaine opacité, voire des manipulations de faits et de données, entoure aussi cette réouverture.
Ainsi, le fait que depuis le 5 septembre dernier les hôpitaux publics réservent les tests PCR uniquement aux personnes qui ont des symptômes du Covid et qui nécessitent une hospitalisation. En d’autres mots, et contrairement à ce qui se pratiquait jusqu’ici, si vous craignez d’être positif au Covid, vous ne pouvez plus aller faire un test Covid dans une flu clinic si vous n’avez pas de symptômes de la maladie. Un paradoxe total, alors que les autorités elles-mêmes n’ont cessé de faire ressortir jusque-là que la grande majorité des cas recensés avant le 5 septembre étaient… asymptomatiques. Mais néanmoins susceptibles de transmettre le virus.
Pour ce qui est des personnes qui sont en contact direct avec un cas positif, elles ne sont plus retracées comme avant et soumises à un test PCR si elles ont un schéma vaccinal complet, n’ont pas de comorbidités et ne présentent pas de symptômes. En d’autres mots, les cas contacts ne sont plus systématiquement dépistés. Exit le sacro-saint et jusque-là incontournable contact tracing.
Si le nombre de cas déclarés a baissé (passant de quelque 300 par jour à 180 depuis l’entrée en vigueur de cette nouvelle forme de comptage), cela pourrait donc être dû non à une réelle baisse de la contamination, mais tout simplement au fait que le nombre de tests effectués a été diminué…
Ajouté à cela que pour le nombre de cas rendus publics chaque jour, les autorités ne communiquent plus sur le nombre de test effectués. Rendant impossible de se faire une idée sur la proportion de tests positifs. Et de la prévalence par âge, sexe et statut vaccinal, toutes ces données étant jalousement gardées secrètes.
Ajouté à cela la décision subite de permettre le traitement des patients Covid dans n’importe quel hôpital voire clinique privée, alors qu’ils étaient strictement parqués dans deux hôpitaux jusque-là.
Ajouté à cela le fait que le nombre de patients positifs dont le décès n’est pas attribué au Covid ne sera plus comptabilisé.
Ajouté à cela le fait qu’abandonnant subitement un contrôle hyper strict des enterrements par le ministère de la Santé dans une seule portion d’un seul cimetière, on nous annonce du jour au lendemain que les morts pourront être pris en charge par n’importe quel opérateur de pompes funèbres et enterré dans n’importe quel cimetière.
Avouons que, d’un coup, ça fait beaucoup.
Assez pour alimenter les pires suspicions à l’effet que le gouvernement a décidé de sacrifier la santé, voire la vie des Mauriciens, à l’économie. Au lieu de réconcilier avec le fait que Santé et économie ne sont pas à être systématiquement opposés.
Après cela, on aura beau taxer d’antipatriotiques les sceptiques, ceux qui croient et crient au complot, les inquiets, les réfractaires et tout le reste, ce n’est pas la culture de l’opacité qui nous permettra d’avancer plus résolument et sereinement. Mais ce gouvernement, qui a fait de l’opacité son mode de fonctionnement, est-il capable d’entendre cela?
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On aura une fois de plus beaucoup parlé des lauréats en cette fin de semaine à la faveur de la proclamation des résultats de HSC. L’occasion de louer les efforts des élu-es, plus particulièrement en ces temps de pandémie et de scolarité perturbée. Mais l’occasion aussi de remettre sur le tapis l’élitisme de notre système éducatif. Cette année, sur les 45 bourses d’études supérieures attribuées, 13 sont revenues au seul collège Queen Elizabeth, et 12 au collège Royal de Curepipe.
Il faut dire aussi la pression du système, la non-reconnaissance des efforts de bon nombre en raison de leur condition socio-économique.
Il faudrait dire aussi que si quatre bourses sont attribuées à Rodrigues, il serait peut-être temps que des bourses soient aussi attribuées aux jeunes Chagossiens et pourquoi pas Agaléens. Cette année, le jeune Nicholas Pauline, soutenu par le Chagossian Welfare Fund, a obtenu le résultat extraordinaire de 5A avec Distinction à ses examens de HSC. Une bourse de l’État mauricien constituerait une triple affirmation d’inclusion : par rapport à une famille modeste et méritante ; par rapport à une communauté trop longtemps exploitée ; par rapport au retour des Chagos au sein de l’État mauricien…