Journée mondiale du Théâtre… malgré tout – Ashish Beesoondial : « Le théâtre, c’est le maintien de l’équilibre émotions et idées »

En temps normal, le 27 mars est ponctué par plusieurs événements célébrant la journée mondiale du Théâtre. Cette année, les restrictions liées à la pandémie en ont décidé autrement. On ne peut que ressentir la crise qui a frappé de plein fouet le secteur de la culture. En cette Journée mondiale du Théâtre, quelles répliques trouvera le monde du théâtre pour résister à la crise économique provoquée par la pandémie ? Ashish Beesoondial du Caudan Arts Centre répond à nos questions.

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Est-ce que le Caudan Arts Centre, comme centre d’art privé, poursuit sa responsabilité dans la recherche sur la forme et le sens, et une liberté qui doit se déployer pour divertir le spectateur ?

Le Caudan Arts Centre, comme toutes les autres organisations artistiques, a une responsabilité envers les arts, les artistes et le public, en créant une forte dynamique entre ces trois sphères. En période de crise comme celle que nous vivons depuis deux ans, il y a une responsabilité encore plus grande envers le public: celle de fournir une alternative viable, une perspective différente de ce qui se passe autour de nous. La pandémie a, en effet, frappé de plein fouet les artistes et les organisations artistiques. Le Caudan Arts Centre n’a pas été épargné. C’est arrivé après 15 mois d’activité, à un moment où nous commencions tout juste à prendre notre envol. Nous avons dû surfer sur la vague et faire preuve de résilience. Notre objectif est d’offrir une expérience artistique, émotionnelle et esthétique au public par le biais d’une variété de formes artistiques, de styles et de contenus différents. Même lorsqu’on fonctionnait à 50% de notre capacité, on consacrait la même énergie à un spectacle pour offrir une expérience inédite au public. Les spectateurs se connectent à ce qui se passe sur scène de différentes façons: ils se connectent à eux-mêmes, aux artistes et aux autres. C’est pourquoi l’art et le spectacle sont vitaux, surtout en ces temps difficiles. Et, aussi cliché que cela puisse paraître, the show must go on.

Depuis la crise sanitaire, quelles sont les stratégies d’adaptation qui ont été développées pour atteindre le plaisir de s’exprimer, montrer et diffuser?

À une époque où tous les espaces de représentation étaient fermés, il ne restait qu’une seule chose à faire: rester présent dans l’esprit des gens en leur fournissant un contenu créatif. Nous avons basculé en ligne pendant et après le confinement, afin que les artistes puissent trouver un nouvel espace de diffusion. Le besoin de rester présent et de se connecter au public était crucial. Les artistes et les organisations artistiques ont dû aller vers le public à travers tout ce qui est online, et cela s’est avéré être LE moyen par lequel nous pouvions rester connectés et nous engager avec le public. Le nombre de projets artistiques mis en ligne était impressionnant à travers le monde entier, y compris dans les grands théâtres comme le National Theatre à Londres.

Cette forme de présence est, autrement dit, une forme de résistance ? Entre l’acte de création et l’acte de résistance, les artistes du spectacle ont-ils choisi de s’appuyer sur des stratégies de contournement pour activer des propositions innovantes ?

Oui, ça devient un acte de résistance. Ne pas céder, être présent. De belles collaborations sont nées pendant la pandémie et, surtout, pendant le confinement. Au Caudan Arts Centre, nous avons réuni des artistes pour travailler sur différentes adaptations de chansons qui étaient dédiées aux frontliners. Nous avons également organisé des ateliers en ligne. Ça aurait été facile de ne rien faire, mais c’était le moment de rester présent et de donner au public quelque chose de différent et de créatif pour contrer toute l’angoisse et l’incertitude qui prévalaient autour. Cette période a été propice aux actes de création. De nouveaux projets ont vu le jour pour nous et pour de nombreux artistes, transformant ainsi une période sombre en une période très créative avec des moments de réflexion et de réévaluation.

Quels sont les différents projets qui ont émergé et les outils trouvés, afin de pouvoir toucher le public ?

La pandémie a eu et a jusqu’à présent des répercussions négatives. Mais face à ce nouveau défi, il est fascinant de voir la quantité de contenu créatif qui a découlé de cette volonté de toucher le public. Différentes formes, différents styles sur différentes plateformes, y compris les médias sociaux, ont été diffusés pour un vaste public, ce qui est extrêmement louable.

Cependant, deux questions se posent. Que cela nous plaise ou non, il existe une réalité fondamentale derrière chaque projet artistique, à savoir le coût. Comment équilibrer les coûts et les revenus tout en atteignant le public en ligne ? Différentes mesures ont été prises dans ce sens, afin de monétiser les productions artistiques. Mais est-ce que cela a vraiment été rentable dans un pays comme le nôtre – suffisamment pour que les artistes et les organisations artistiques puissent dire que nous pouvons désormais compter aussi sur les productions en ligne ? Je pense que nous avons un long chemin à parcourir dans ce domaine.

L’autre souci, en particulier dans le cas du théâtre, c’est qu’avec la diffusion en ligne, je pense que l’écran devient un 4e mur qui empêche une connexion directe et émotionnelle. C’est ce que nous essayons de briser en tant que metteurs en scène et comédiens. Rien ne remplace un spectacle live – où nous nous connectons à un moment de vie, où le here and now se mélangent au there and then. Ce sont deux mondes temporels du public et des personnages qui se mêlent, et le public réagit à ce qui passe sur scène de manière critique et émotionnelle. Et je me permets d’ajouter que c’est la raison pour laquelle les spectacles vivants doivent être encouragés. Un petit clin d’œil aux entreprises pour dire que la publicité, c’est bien, mais soutenez les artistes et les organisations artistiques en sponsorisant, en offrant des billets au public – donnez la chance aux individus d’avoir cette expérience du live. Ils en sortiront grandis et s’en souviendront.

Vous mettez en scène, au mois de mai, la célèbre pièce de Tennessee Williams, Un tramway nommé Désir, une histoire d’adaptation à la société ou la recherche d’un équilibre. L’équilibre émotions et idées, entre le ludique et l’intellectuel, doit être maintenu au théâtre ?

Il n’y a pas de doute que c’est l’équilibre émotions et idées qu’il nous faut mettre en avant dans le théâtre. Parce que tout simplement, le théâtre invite les gens à voir et à réfléchir sur soi-même et sur la vie des autres. On se retrouve dans leurs choix, etc. C’est un miroir aussi où l’on voit la complexité de la nature humaine, les paradoxes, des choses qui ne sont pas nécessairement dites dans notre vie quotidienne. C’est ça la spécificité de Tennessee Williams, un géant de la dramaturgie. Tout ça nous fait poser des questions sur l’être humain. Un tramway nommé Désir est une pièce de grande qualité et je pense que c’est aussi notre devoir de ne pas uniquement proposer tout ce qui relève du divertissement léger au public.

C’est rare qu’on décide à Maurice de porter à la scène de grands textes littéraires. On a peur que le spectacle ne se vende pas, mais je pense qu’on en a grand besoin. Nous voulons que les gens se posent des questions, qu’ils se sentent touchés par des pièces. Un tramway nommé Désir sera le grand projet du Caudan Arts Centre en 2022 et on veut vraiment marquer le coup. Un texte comme cela demande beaucoup d’efforts et un travail assidu de la part des comédiens aussi – et ça me donne du plaisir de travailler avec les comédiens tels Rachel de Speville, Guillaume Silavant, Clémence Soupe et Josias Anthony.

 

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