Au cours des semaines écoulées, nous avons donné la parole aux contestataires du MMM, puis au porte-parole de sa direction en la personne de son secrétaire général pour parler de la crise qui secoue les mauves. Nous sommes allés demander à l’historien et observateur politique Jocelyn Chan Low son analyse de ce qui passe actuellement au MMM.
Depuis sa naissance, le MMM vit à travers des crises internes plus ou moins graves. Est-ce que celle qui est en cours est comme les autres, ou est-elle beaucoup plus grave ?
– Le MMM a su rebondir après chacune des crises qui ont accompagné son histoire. Ce parti a connu plusieurs crises : idéologiques, stratégiques, tactiques, et des conflits de personnalités. Il a rebondi parce qu’en dépit des défaites électorales, il avait un grand électorat tournant autour de 40%. Mais depuis quelque temps, peu avant 2014, le MMM connaît une succession de crises: certains comme Ivan Collendavelloo et Vishnu Lutchmeenaraidoo, suivis par Kee Cheong sont partis parce qu’ils étaient contre l’alliance avec le PTr. Il y a eu, après les élections, le départ d’Allan Ganoo et de ses amis, et puis, plus récemment, il y a eu le départ pour le MSM de Joubert Zoomye. Depuis janvier, le MMM connaît une nouvelle crise qui arrive à un moment difficile pour le parti.
Est-ce que la crise actuelle est idéologique ou stratégique ?
– Elle n’est certainement pas idéologique dans la mesure où le MMM suit une voie plus ou moins sociale-démocrate qui n’est pas contestée. Il faut voir le contexte de cette crise. Depuis décembre 2014, le MMM ressemble à un parti en lambeaux qui a perdu une grande partie de sa crédibilité auprès de son électorat, comme l’a démontré la partielle de Quatre-Bornes. Il n’a pas de stratégie définie pour les prochaines élections générales qui auront lieu dans un peu plus d’une année.
Est-ce que le MMM avait une stratégie définie avant ou se contentait-il de réagir en fonction de la situation politique du moment ?
– La question est de savoir quel est le poids électoral du MMM avant d’établir une stratégie et choisir un éventuel partenaire. Son alliance avec le PTr et la présentation de Bérenger comme Premier ministre ont été massivement rejetées par l’électorat rural. Je me demande encore si le PTr n’aurait pas remporté les élections de 2014 s’il n’avait pas fait d’alliance avec le MMM!
Donc, en terme d’éventuelle alliance électorale, le MMM est devenu un poids lourd?
– Je ne le pense pas. La question est de savoir si le MMM accepte d’être un parti d’appoint dans une alliance ou ira seul aux élections, et quelle sera sa place et celle de Bérenger dans une éventuelle alliance. Il faut aussi savoir que la période électorale créera des mécontentements au sein du parti avec une bataille interne pour le contrôle du pouvoir. Les contestataires actuels sont des militants de longue date et ont su soutenir le parti dans des moments difficiles et ont apporté leur contribution au parti. Mais est-ce que cela leur donne le droit de ne pas respecter le cadre et le fonctionnement du parti? Tous ceux qui sont au MMM savent que le droit à la tendance idéologique, qui a fait partir tant de militants dans le passé, n’existe plus. Le MMM a vieilli, est devenu beaucoup plus strict qu’avant. Les membres savent que le centralisme démocratique existe au MMM et qu’il y a une limite à leur action. Les discussions internes doivent avoir lieu dans les instances, pas dans la presse, pour ne pas affecter l’image du parti. Surtout dans un moment difficile.
Mais les trois contestataires ont dit qu’ils sont allés dans la presse parce qu’on ne les écoute pas dans les instances dirigeantes et que leurs propositions sont traitées avec dédain.
– Mais le MMM fonctionne comme ça depuis des années. S’ils ont pu tenir pendant toutes ces années, pourquoi n’ont-ils pas continué? Je pense que Steeve Obeegadoo charrie un mécontentement depuis qu’il n’a pas été élu secrétaire général et parce qu’il a eu des problèmes avec la base. Il est un bon technocrate, certes, mais pas un bon député de proximité, qui est une des qualités premières quand on aspire à de hautes fonctions au sein du parti. À un moment, Steeve a été pressenti pour être le dauphin du leader.
Predeep Jeeha aussi a été pressenti pour être le Premier ministre bis du MMM!
– Il y a une différence entre le poste de dauphin et celui de leader adjoint, c’est vrai. Le problème est de savoir ce qu’ils ont réalisé en tant que pressentis pour ces postes. Au départ, ce poste a été offert à Steeve pour qu’il amène des jeunes dans le parti. Est-ce qu’il l’a fait ? Pour son avenir, le MMM a besoin de montrer du sang neuf, de nouvelles têtes. Il ne peut continuer à vivre comme dans les années ‘70, dans le passé.
Dans le souvenir de la gloire de son passé, disait Pradeep Jeeha.
– Mais qu’est-ce que Jeeha a fait ou proposé de concret pour que plus de jeunes adhérent au MMM? Il ne suffit pas de dire, il faut aussi montrer qu’on sait faire. Est-ce que les prochaines élections internes ne sont pas le moment idéal pour faire entrer du sang neuf dans les instances du parti?
Certains à la direction du MMM redoutent que les réunions organisées par les contestataires puissent tourner la tête des militants et, ainsi, influer sur les résultats des prochaines élections internes. Vous êtes de cet avis?
– Je ne le pense pas parce que les contestataires ne sont pas candidats à cette élection, ce qui n’est pas logique. C’est l’occasion idéale pour convaincre les militants d’apporter des changements à la tête du parti, pour apporter le renouvellement demandé. Et ils s’en vont. Est-ce que ces contestataires ne sont pas un petit groupe d’ex-dirigeants qui se rendent compte qu’ils ne seront pas élus aux prochaines élections? En tout cas, les objectifs des contestataires ne sont pas clairs parce qu’ils claquent la porte à un moment où ils auraient pu convaincre les militants avec leurs arguments. Quelles sont leurs stratégies, solutions et propositions? Pour le moment, ils ne font que critiquer. Et en ne participant pas à l’élection, ils démissionnent. C’est paradoxal.
J’aimerais que, fort de votre expérience d’historien, vous m’expliquiez un autre paradoxe entourant cette crise. Tout en disant qu’il faut réformer le MMM et remettre en question la direction, aucun des contestataires ne réclame la démission de Bérenger qui dirige le parti. Françoise Labelle va même jusqu’à dire qu’il faut garder Bérenger pour qu’il organise l’après-Bérenger! Comment expliquez-vous cela ?
– Ils savent tous que Bérenger est la figure centrale du MMM. Le parti, qui est en difficulté, sera encore plus fragile sans lui. C’est un fait: il y a des leaders politiques qui ont un tel charisme qu’ils incarnent leur parti. À mon avis, tout cela exprime une frustration face aux élections au cours desquelles ils pourraient ne pas être élus, par rapport à leur performance passée au sein du parti. C’est pourquoi ils ont choisi de partir.
Au début de la semaine, Steeve Obeegadoo a annoncé qu’avec ses amis, il allait constituer une plate-forme pour réunir tous les déçus de la direction du MMM…
– C’est quelque chose qui est dans l’air depuis quelque temps déjà. Il s’agit d’une plate-forme qui réunirait non seulement les déçus de la direction actuelle, mais également les ex-militants connus comme Collendavelloo, Ganoo, Lutchmeenaraidoo. Mais encore une fois, il n’y a rien de concret, ce qui me fait dire que c’est un autre épiphénomène comme le MMM en a beaucoup connu tout au long de son histoire. Je ne pense pas que ce mouvement inquiètera le MMM plus que ça. Le problème du MMM est de réfléchir à son avenir et de répondre à ces deux questions: est-ce qu’il veut d’une stratégie qui le conduira au pouvoir aux prochaines élections en contractant une alliance? Ou est-ce qu’il va seul aux prochaines élections qu’il va perdre, mais en réorganisant le parti pour après?
Je crois que l’option d’aller seul aux prochaines élections est la seule qui reste au MMM dans la mesure où ni le PTr ni le MSM ne veulent envisager une alliance avec les mauves.
– Ils le disent aujourd’hui, mais est-ce que la situation sera la même aux prochaines élections? Est-ce qu’une alliance avec le MMM en parti d’appoint ne deviendra pas une obligation pour remporter la victoire?
Est-ce que d’ici aux prochaines élections, vous voyez le MMM récupérer son électorat qui s’est réduit comme une peau de chagrin au fil des élections, dont la partielle de Quatre-Bornes ?
– Aux élections générales de 2014, une bonne partie de l’électorat du MMM, refusant l’alliance avec Ramgoolam, a voté pour Lalians Lepep. Il était possible qu’une grosse partie de cet électorat, qui n’a pas adhéré au MSM ou au ML, rejoigne le PMSD. Or, les résultats de la partielle de Quatre-Bornes révèlent que cela n’a pas été le cas avec le candidat bleu incapable de récupérer sa caution. Donc, cet électorat du MMM peut être reconquis si la direction du parti suit la règle de l’offre et de la demande, et lui donne ce qu’il souhaite. Jusqu’à maintenant, l cet électorat est contre une alliance du MMM avec quelque parti qui ce soit pour les prochaines élections générales.
Cette idée que tous les grands partis aillent seuls aux élections et concluent une alliance après, en fonction de leur force réelle, ne date pas d’aujourd’hui. Mais est-ce que la direction du MMM, habituée aux alliances, est prête pour une lutte à trois?
– Si certains veulent exercer le pouvoir tout de suite, le MMM doit contracter une alliance. Mais si le MMM veut se reconstruire, se fortifier pour rebondir et prendre le pouvoir aux élections d’après, il doit aller seul aux prochaines élections. Il n’y a pas d’autre alternative.
Est-ce qu’en ce qui concerne l’avenir du MMM pour Bérenger c’est (i) après moi, le déluge ou (ii) après moi, Johanna Bérenger? Si c’est la deuxième solution qu’il choisit, Bérenger serait en train de faire ce qu’il a reproché à SSR et Anerood Jugnauth!
– Je ne pense pas que Bérenger ait jamais fait ce reproche à SSRamgoolam dans le mesure où c’est lui qui est allé chercher Navin Ramgoolam à Londres! Ce n’est pas SSR qui a fait de Navin le leader qu’il est devenu. Il a appris de ses échecs, notamment entre 1995 et 2000, pour revenir en force en 2010. De même, Xavier-Luc n’a pas été poussé par son père et, malgré ses hésitations, il a gagné ses propres galons de leader politique en entrant et, surtout, en quittant le gouvernement. Dans le cas de Jugnauth, je pense que les critiques s’adressent plus au manque de capacité de leadership de Pravind. On ne peut pas disqualifier quelqu’un d’office du poste de PM juste parce qu’il est le fils de son père! Il faut qu’il fasse ses preuves, ce qui n’est pas encore le cas de Pravind.
Johnna Bérenger se retrouvera dans la même configuration?
– Et le même raisonnement devrait s’appliquer pour elle: on ne peut disqualifier quelqu’une d’office du poste de leader juste parce qu’elle est la fille de son père! Elle est une militante activiste qui est dans une branche et est candidate aux élections. À part les ex-MMM, personne ne dit qu’elle deviendra leader. Il faut qu’elle fasse ses preuves.
Donc, cette crise n’affectera pas le MMM et devra être rangée dans les autres crises qui ont précédé?
– Oui, pour les raisons déjà données: les contestataires ne font que critiquer, n’ont pas de propositions pour réformer le parti et, au lieu d’utiliser les élections pour faire connaître leurs idées, pour convaincre de l’intérieur, ils ont choisi de démissionner. Je crois qu’on peut également dire que ce sont les anciens jeunes qui se sentent menacés par les vrais jeunes qui arrivent.
Si je résume ce que vous avez dit: la direction du MMM est en train de faire ce qu’il faut pour faire rebondir le parti après ses défaites successives…
– Je le pense. Et comme tout parti qui procède à cet exercice de renouvellement, il y a des questionnements et des remises en question. Il faut reconnaître que le MMM a un fonctionnement démocratique assez particulier où le charisme de Bérenger fait que ses décisions sont acceptées…
Mais quand il sent qu’il y a un fort courant de sympathie pour Steeve Obeegadoo, il menace de démissionner.
– Tous les leaders politiques le font, surtout quand ils sont sûrs d’avoir une majorité. Ils menacent de partir pour mieux rester. Il me semble que dans le passé, Bérenger l’a déjà fait pour remettre à sa place l’aile gauche du MMM qui commençait à l’agacer.
Est-ce que vous pensez que la plate-forme annoncée par Steeve Obeegadoo pourrait devenir une force politique ?
– Une fois Sir Seewoosagur Ramgoolam a dit à une personne: la plus grande erreur qu’un politicien puisse faire, c’est de devenir un dissident. Parce que quand vous quittez votre parti, vous existez difficilement. Voyez Ivan Collendavelloo, il est obligé d’entretenir une relation de vassalité avec le MMM pour exister. Voyez le MP qui, malgré une campagne agressive à Quatre-Bornes, n’a pas réussi à tirer la caution de sa candidate à la partielle de cette ville. Qu’est-ce que la nouvelle plate-forme de Steeve Obeegadoo et ses amis amèneont de nouveau sur le terrain politique? Pas grand-chose. C’est une initiative vouée à l’échec, d’autant que les trois dissidents ne sont pas des élus et sont loin d’avoir une base solide. Une des solutions pour eux serait d’intégrer un grand parti. On dit que le PTr, qui a le vent en poupe, pourrait être intéressé par des candidats avec un profil électoral symbolique bien déterminé.
Question d’actualité: comment voyez-vous l’évolution de la politique locale jusqu’aux prochaines élections?
– Pour moi, il est clair que nous allons vers un face-à-face Navin Ramgoolam/Pravind Jugnauth, à moins que des problèmes judiciaires surviennent pour l’un et l’autre. Ce sera une bataille impitoyable entre deux individus qui ont amassé énormément de comptes à régler et de vengeances à assouvir. Cette lutte prendra de telles proportions qu’il faudra que les autres partis choisissent leur camp car, comme dit un proverbe africain, “si tu ne manges pas le lion, il te mangera.”
Autre question d’actualité: le Premier ministre a fait dire en Cour qu’il n’avait pas eu le temps d’étudier les documents de Résistans ek Alternativ dans le procès sur le mode d’inscription aux élections que ce parti intente au gouvernement. Par ailleurs, le PMSD s’est prononcé contre toute tentative de toucher au best loser system. Est-ce que vous pensez qu’il y a une volonté politique pour amender la loi électorale qui date de plus de 50 ans ?
– Quand toutes les circonstances étaient réunies pour abroger cette loi en 1982 après les 60-0, cela n’a pas été fait. Le problème c’est qu’aujourd’hui, il n’existe pas la majorité parlementaire des trois quarts requise pour abroger cette loi. Mais il faut reconnaître que si cela était fait et un nouveau recensement organisé, ce serait une catastrophe pour Maurice. Le nombre de revendications éthiques explosera, chaque groupe revendiquera son “boutte” en s’opposant aux autres à partir des résultats du prochain recensement.
Un pays moderne peut-il fonctionner avec des données statistiques établies sur le dernier recensement datant du siècle dernier ?
– Si un nouveau recensement était fait, il serait d’une complexité extraordinaire et ferait le pays éclater en une mosaïque. Rama Sithanen avait proposé une formule temporaire qui contournait le problème. Il semblerait que le temporaire de Sithanen demeurera pendant longtemps encore, pour ne pas dire deviendra permanent. Tout comme le best loser system avait été créé sur une base temporaire il y a plus de 50 ans!
Donc, aucun parti politique ne veut de la réforme de la loi électorale?
– Je pense que chaque parti veut faire SA réforme établie en fonction de sa stratégie, de ses ambitions et de ses besoins politiques immédiats. Une réforme doit être adoptée par une majorité de trois quarts au Parlement. Politiquement, au Parlement, je ne pense pas qu’il y a une majorité pour voter la réforme électorale. Tout le reste n’est que débats académiques.
Dernière question: selon vous, est-ce que les Mauriciens s’intéressent au débat politique, à la crise du MMM, aux prochaines élections?
– Je pense que nous sommes entrés à Maurice dans l’ère de la grève du vote, qui signifie beaucoup de choses. C’est un désintérêt pour la politique et pour la classe politique qui traverse le monde avec des résultats bizarres et dangereux. C’est pourquoi je dis que malgré ses résultats, le MMM peut encore avoir son mot à dire dans le débat politique s’il arrive à comprendre la raison de ce désintérêt des citoyens pour la politique et s’il se modernise. Je le répète: il faut comprendre la demande des électeurs pour leur faire une offre appropriée. Il faut écouter les questions du peuple pour lui répondre. Mais malheureusement, je ne vois pas les partis politiques aller dans cette voie. Ils revendiquent la modernité tout en étant passéistes!