Les campagnes sur les réseaux sociaux remplaceront-elles la politique de terrain traditionnelle à Maurice, ou encore quelles sont les limites du politicien qui déciderait de régler ses compteSpubliquement sur Facebook ? À la veille des élections générales, où les partis politiques rivalisent d’idées pour inonder les réseaux sociaux, plusieurs questions surgissent quant à l’impact réel de ce nouvel outil de communication. Pour tenter de répondre à cela, Week-End a interrogé l’historien et politologue Jocelyn Chan Low. Ce dernier nous explique pourquoi il ne faudrait pas surestimer l’impact des réseaux sociaux.
Depuis quelque temps, les leaders politiques sont très présents sur les réseaux sociaux. Qu’est-ce qui explique ce phénomène ?
Il faut d’abord préciser qu’il n’y a pas encore eu d’études sérieuses à ce sujet à Maurice, sauf quelques dissertations ici et là. Ce qu’il faut néanmoins prendre en considération, c’est la présence des réseaux sociaux dans les foyers mauriciens et le nombre de smartphones vendus à Maurice, qui dépasse d’ailleurs le nombre d’habitants dans l’île. Aussi, il faut comprendre que les gens utilisent Facebook d’une part pour faire des rencontres, etc. et d’autre part pour des raisons politiques. Selon une étude américaine, très peu de gens s’expriment sur la politique sur les réseaux sociaux, car au lieu de se faire des amis, on en perd souvent beaucoup. Les gens sont généralement agacés lorsqu’un de leurs amis publie des commentaires politiques, par exemple. Donc, Facebook est un lieu de rencontre, mais la politique divise. À cet effet, compte tenu de cette minorité qui s’exprime librement, l’on peut dire que l’impact des réseaux sociaux est moindre que celui des radios et de la presse traditionnelle, par exemple. Aussi, les partis politiques se tournent vers les réseaux sociaux car c’est un outil de communication efficace, et l’utilisent pour informer les gens sur les réunions, les congrès, etc.
Les campagnes sur les réseaux sociaux pourraient-elles éventuellement remplacer la politique de terrain traditionnelle ?
La politique mauricienne a sa particularité. Souvent, ce que les gens cherchent, ce sont des députés de proximité et pas des députés virtuels. Vous savez, dans les réunions de quartiers aussi bien chics qu’ouvriers, le gens ne parlent pas d’enjeux nationaux ou de grande questions économiques, loin de là. Les gens parlent de choses qui les concernent directement, comme des chemins mal éclairés, la fourniture d’eau, etc. La politique c’est local, ce n’est surtout pas Facebook. Les gens qui pensent que les likes vont leur faire gagner des votes vivent dans un monde virtuel. D’ailleurs, ce fut le cas auparavant avec des petits partis qui ont récolté beaucoup de likes sur les réseaux sociaux, mais qui pour les élections n’ont pas obtenu le même nombre de votes. C’est la communication directe qui va jouer et pour cela il faut aller à la rencontre des gens. Il ne faut donc pas surestimer l’impact des réseaux sociaux. Rien ne peut remplacer la proximité.
Que pensez-vous des dérapages et des bisbilles entre politiciens sur ces plateformes, qui restent malgré tous des espaces publics ? Est-ce éthique du point de vue politique ?
Évidemment qu’il y aura des dérapages, car Facebook c’est avant tout un espace d’expression. Prenez l’exemple du tweet du président brésilien Bolsonaro sur l’épouse du président français Emmanuel Macron et les répercussions diplomatiques entre les deux pays qui en découlent. À cause de cet échange de tweets, Bolsonaro a refusé l’aide de l’Union européenne dans les incendies de la forêt amazonienne. L’impact était considérable. Donc, souvent, les réseaux sociaux font que les politiciens dévaluent la fonction de député, de chef d’État en entrant dans des polémiques. Pour ce qui est des partisans, c’est autre chose. D’ailleurs, ils se querellent constamment pour des broutilles. Les réseaux sociaux constituent un moyen de communication certes, mais avec des contradictions, où il faut l’admettre, les débats politiques sont moins académiques, et où il n’y a pas vraiment de réflexion sérieuse. À cet effet, j’aimerais citer Jacques Dutronc, qui dit « je n’ai strictement rien à dire, mais je veux que ça se sache. »
Finalement, pensez-vous que les réseaux sociaux puissent influencer des élections ?
Il est extrêmement important de rappeler que Maurice est un petit pays et que l’on ne peut pas nous comparer aux grands pays européens. Il faut arrêter de faire ça. En France, un député ne peut pas se permettre de rencontrer tous ses mandats, par exemple, tandis qu’à Maurice, oui. En somme, le Mauricien s’attend à ce que le député vienne le rencontrer, car les élections se jouent sur le terrain avec des relais traditionnels, comme le porte-à-porte, les réunions nocturnes et les congrès. Alors, oui, les réseaux sociaux ont un impact, mais pas suffisant, selon moi pour influencer des élections. On en est encore loin…