Inquiétantes ramifications

Le trafic de drogue, l’univers du jeu, la police, avec ou sans plan de carrière, si ce n’est d’être, pour un bon nombre, des complices fortement tarifés des marchands de la mort, et certains politiques friands de fric sans questionner son odeur ou sa provenance, c’est une coalition qui a toujours prospéré. Pas que dans les films de gangsters ou dans les thrillers qui déferlent en série sur le petit écran. Si les Mauriciens savaient que ces quatre mondes, les uns plus glauques que les autres, entretenaient entre eux une bien malsaine connivence, ils ne pouvaient pas se douter qu’ici même ces ramifications ont des proportions aussi inquiétantes qu’effrayantes.

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Si la commission d’enquête Lam Shang Leen, mise sur pied par Sir Anerood Jugnauth, apporte un nouvel éclairage sur ce qui est ni plus ni moins qu’une mafia très bien organisée, on sait qu’elle existe depuis quelque temps déjà. Le Gamblegate de 2013 aurait pu sonner comme un « wake up call », mais l’affaire n’a pas connu la suite logique à laquelle pouvaient s’attendre les observateurs. Cette affaire portait sur une dénonciation de Paul Foo Kune sur la corruption d’officiers de la Cour suprême.

Le bookmaker, dont l’avocat attitré était Roshi Bhadain, avait même soumis aux enquêteurs des échanges par mail entre Jean Michel Lee Shim, des membres de son entourage, dont des conseils légaux comme Raouf Gulbul ou Noor Hosenee pour étayer cette affaire qui avait abouti à l’interpellation des secrétaires des juges Hamuth et Caunhye, mais aussi à celle de Noor Hosenee et de Rama Valayden. Jean Michel Lee Shim n’étant pas au pays, ce n’est que dix-huit mois après qu’il s’est présenté pour une tasse de thé aux Casernes centrales. Après, rien ! Affaire classée, sans suite.

Peut-être que si une commission d’enquête avait été instituée sur ce qui ressemblait déjà à un drôle de serpent de mer, le pays aurait fait l’économie d’une plongée dans les eaux troubles de l’univers du jeu et de ses corollaires non moins suspectes et non moins nocives pour le petit peuple. Mais, à cette époque, le président du PTr, Patrick Assirvaden, ou la secrétaire générale de ce parti, Kalyanee Juggoo, et même le trésorier Ah Fat étaient vus au Champ-de-Mars, pour certains tenant de gros chèques de SMS Pariaz pour les remettre à des gagnants de paris.

Et lorsqu’on sait que Jean Michel Lee Shim disait à l’époque être enregistré comme un membre du PTr et qu’il avait même été nommé sur le conseil d’administration du BOI et désigné directeur par intérim de l’Université de Technologie et qu’il avait montré une grande proximité avec Pravind Jugnauth lorsque ce dernier était le ministre des Finances de Navin Ramgoolam en 2010 au point d’obtenir 139 arpents de terres de l’Etat à Côte d’Or pour un hippodrome, on ne peut que déduire que c’est une solide protection qui a contribué à faire dérailler une enquête sur un sujet aussi sérieux que des accusations de corruption de fonctionnaires du judiciaire.

Qu’apprenons-nous aujourd’hui au fil des auditions de la Commission d’enquête sur la drogue ? Que les principaux acteurs d’hier sont toujours là et qu’ils ont gagné en influence et en pouvoir. Les avocats qui défilent devant la commission, Raouf Gulbul, Sanjeev Teeluckdharry, Roubina Jadoo-Jaunboccus et Kailash Trilochun sont tous encartés au Sun Trust ; ou que ceux qui ont été aussi entendus comme Ashley Hurunghee et Samad Goolamally ont un jour au l’autre affiché leur proximité avec le MSM. Notamment lors de la dernière campagne électorale.

Un trafiquant de drogue présumé comme Gianchand Dewdanee avait, il y a quelques années, obtenu le feu vert du Premier ministre Navin Ramgoolam pour être le conseiller de son ministre Mahen Gowressoo. Aucun filtre, aucun comité parlementaire pour désigner les nominés politiques. Dewdanee a ensuite vite fait de suivre son ancien patron de Samlo au MSM et d’investir l’entourage de Pravind Jugnauth. Cela révèle un mode opératoire qui n’est pas si singulier que cela, les petits trafics et les gros commerces illicites pouvant tellement bien prospérer à l’ombre du pouvoir.

Plus glaçants encore certains témoignages. Comme celui qui considère Jean Michel Lee Shim comme son « papa » et qui prenait son salaire quotidien de chauffeur attitré du candidat du MSM Raouf Gulbul, d’un policier, encore un, lui-même et son épouse étant des salariés du bookmaker. Et lorsque le candidat battu propulsé à la Gambling Regulatory Authority, organisme qui délivre toutes sortes de permis pour les jeux, avait besoin de se ravitailler, il allait chez Gloria Fast Food de Shahebzada Azaree.

Vous avez oublié de qui il s’agit ? C’est celui sur lequel pesaient déjà des soupçons au moment de l’interpellation de Gianchand Dewdanee et de Navind Kisnah et de leur Rs 2 milliards d’héroïne et qui a été coffré après une incrimination précise du policier-trafiquant présumé Basana-Reddi. Son entourage revendique aussi une proximité et des photos complices avec certains travaillistes, mais ces clichés on ne les a pas vus.

Lorsqu’on redécouvre aussi que les partis extrémistes qui, hier, se spécialisaient dans des braquages pour lever des fonds et qui liquidaient les trafiquants de drogue au nom d’un nettoyage social et d’une mission de service public ont aujourd’hui en leur sein des personnes qui paient les cautions des trafiquants et qu’ils utilisent même l’obole pour aller jouer, on se doit de mesurer à quel point l’heure est grave.

Jeux, drogue, police, politique, le cocktail létal. Voilà pourquoi c’est tout le pays qui attend que la Commission sur la drogue du trio Paul Lam Shang Leen/Sam Lauthan/Ravin Doomun fasse oeuvre de salubrité publique et que son rapport constitue ce tournant tant attendu, cette nécessaire rupture avec un système mafieux qui n’a que trop duré. Et qui a conduit à leur perte des générations de jeunes, des sacrifiés.

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