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Honte d’être Mauricien ?

Revoilà, encore en encore, la même histoire qui se joue.
Cette semaine, à l’Université de Maurice, une fête de fin d’année décidée par le conseil des étudiants, avec la participation du chanteur Big Frankii a dû être annulée. Motif officiel: de vives protestations d’une mouvance hindoue qui trouvait scandaleux qu’une telle fête puisse se tenir le jour d’une fête hindoue. Sur les réseaux sociaux se dévoilaient parallèlement des attaques très virulentes contre ceux jugés coupables d’œuvrer à la conversion de jeunes filles hindoues.

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En sortira-t-on jamais ?
Cette même semaine, la firme Straconsult a rendu publics les résultats d’un sondage Afrobarometer pour évaluer l’importance du patriotisme et de l’appartenance ethnique. Mené sur un échantillon de 1 200 personnes jugé représentatif de la population mauricienne, ce sondage affirme que plus de la moitié des Mauriciens estiment leur identité nationale en tant que Mauriciens aussi importante que leur appartenance ethnique.
Il en ressort ainsi qu’ils sont 55% à dire qu’ils se sentent autant Mauriciens que d’un groupe ethnique (contre 66% en 2017).

21% répondent qu’ils se sentent uniquement Mauriciens, ce qui constitue une hausse de 2% par rapport à 2020 (mais malgré tout une baisse par rapport à 2012, où ce chiffre montait à 24%). Ceux qui disent qu’ils se sentent plus Mauriciens que de leur communauté ethnique sont 7% (contre 13% en 2020). Ce sentiment est plus prononcé chez les citadins (32 %), les jeunes (32 %) et les « citoyens plus pauvres » (33 %).

Par ailleurs, ceux qui disent qu’ils se sentent plus de leur communauté ethnique que Mauriciens sont 13%, ce qui est quand même le plus haut niveau atteint depuis 2012. Enfin, ceux qui disent qu’ils se sentent seulement comme appartenant à un groupe ethnique sont 5%, un pourcentage en croissance constante depuis 2012 où il était de 2%.
Ce qu’il faut relever aussi dans ce sondage, c’est que 46 % des Mauriciens, soit près de la moitié, estiment que leur communauté est traitée parfois (30 %), souvent (12 %) ou toujours (4 %) de manière injuste par le gouvernement. La proportion de ceux qui disent que le gouvernement traite tout le monde de manière égale, et cela peu importe la communauté, a diminué de 20 % par rapport au sondage de 2017.

Enfin, on peut aussi en tirer le sentiment que les Mauriciens se voient comme « tolérants ». Ainsi, 94 % des citoyens affirment être tolérants envers les autres religions et 93 % envers les autres groupes ethniques. 69% des sondés vont même jusqu’à affirmer que le fait qu’un membre de leur famille se marie avec une personne d’une autre communauté ne leur poserait pas problème, alors que 25% n’aimeraient pas du tout.
Parallèlement, une autre étude sur sensiblement le même thème a été rendue publique mardi dernier à l’Université de Maurice. Intitulée « Working Together to Succeed Together », cette étude est le fruit d’une recherche académique menée par les Dres Naseem Aumeerally et Fiona Grant, chargées de cours à l’Université de Maurice, et la Dre Myriam Blin de Curtin Mauritius (Charles Telfair Campus).

Il est important ici de souligner que cette étude a été commanditée par l’entreprise de communication et relations publiques Blast BCW, qui a sollicité le soutien du Groupe IBL pour sa réalisation. Lekha Seebaluck, Managing Director de Blast, affirme à ce propos : « À l’aube du 55e anniversaire d’indépendance de Maurice, cette étude tombe à point-nommé, car elle apporte une contribution précieuse pour comprendre la complexité de l’identité mauricienne, surtout dans la société d’aujourd’hui et le monde du travail. Cette recherche est d’autant plus importante, car ces thèmes ont été peu abordés par les travaux universitaires à Maurice jusqu’à présent ».

S’il affirme « mettre en lumière le vivre-ensemble mauricien en 2022 », il est clair, de par la constitution de son échantillonnage de 1 300 personnes que ce travail constitue une photographie particulière surtout liée à certaines réalités du monde de l’entreprise, et qu’il ne peut prétendre être représentatif de l’ensemble de la population mauricienne. Mais il dessine des tendances qui n’en sont pas moins intéressantes.
Il en ressort ainsi que les Mauriciens éprouveraient des sentiments positifs très forts envers leur identité mauricienne. Quelque 8 Mauriciens sur 10 disent éprouver un sentiment d’appartenance à Maurice. En revanche, plus d’un tiers d’entre eux se sentent éloignés ou exclus de la société.

Interrogés sur leur identité ethnique, 24 % des participants considèrent qu’ils ont des origines « mixtes » ou « autres ». Selon les chercheuses, cette nouvelle donnée sur la société mauricienne de 2022 (par rapport à ces deux groupes non-répertoriés dans les catégories existantes du recensement national) vient élargir la désignation des Mauriciens d’aujourd’hui. « Ces résultats démontrent ainsi que les catégories traditionnelles définies dans notre Constitution ne reflètent plus la perception que certains Mauriciens ont de leur identité aujourd’hui », conclut l’étude.

Cette donnée est très intéressante. Car elle vient montrer, concrètement, que les quatre catégories définies dans la Constitution en 1968 (Indo-mauriciens, Musulmans, Sino-mauriciens et Population générale) demandent aujourd’hui à être revues. En prenant en considération la manière dont les Mauricien-nes de 2022 construisent leur perception d’eux-mêmes et des autres par le biais de groupes d’appartenance qui sont multiples et mouvants.

Il serait d’ailleurs intéressant de réaliser aujourd’hui un recensement où la question de l’appartenance serait laissée totalement ouverte, sans catégories pré-établies. Cela pourrait donner quelques surprises. A l’Université mardi dernier, il se chuchotait que le recensement de 2000 avait révélé que les Mauricien-nes avaient choisi de se définir sous… 52 catégories ethniques et religieuses différentes. Mais que cette section avait été « omise » des résultats publiés…

Après la publication de ces deux études, la semaine à venir va voir la projection en salles du film Biye Retour. Entièrement mauricien, ce long-métrage en créole réalisé sous la direction de Vivek Beergunnot et François Wiehe ne traite pas de l’identité nationale et/ou ethnique en soi. Mais il se révèle parlant à plus d’un titre sur notre « mauricianité ».
A la sortie des salles pour les avant-premières, il était significatif de noter à quel point celles et ceux présents mettaient en avant, avec une certaine exaltation, le sentiment d’être « fiers d’être Mauriciens ». Pourtant, le film n’est pas rose. Il raconte l’histoire d’un jeune homme qui rentre au pays, hanté par un passé qui menace à tout instant de le rattraper, le submerger. Mais ce film est beau. Intime et efficace dans son écriture. Juste dans le jeu de ses comédiens. Fort dans sa cinématographie. Subtil et prégnant dans sa musique qui a valu aux frères Sébastien et Alex Margéot de remporter le titre de meilleurs compositeurs au Boston Independent Film Festival.

Biye Retour a de fait déjà obtenu une douzaine de distinctions dans des festivals de films indépendants à Los Angeles, Cannes, Montreal, Toronto, Madras, Australie, Berlin, Népal, Boston, New York. On ne peut qu’espérer que les Mauricien-nes iront le voir dans les cinémas Star cette semaine. Car ce film dit beaucoup de ce que nous sommes.
D’une part, parce qu’on y retrouve des caractéristiques profondément mauriciennes qui ne sont pas sans rappeler certaines choses vues dans les réalisations de David Constantin par exemple, l’horizon barré, le rempart de la montagne, la cuisine comme foyer de l’intime, laboutik sinwa comme carrefour de la vie villageoise.

D’autre part parce qu’il dit beaucoup de la lutte que les cinématographes mauriciens, et les artistes en général, doivent mener ici pour arriver à créer des expressions qui semblent trouver plus de reconnaissance et d’appréciation ailleurs, alors qu’elles sont si fondamentales à l’approfondissement et à l’expression de notre identité.
Enfin, parce qu’il nous interroge sur ce que nous faisons de nos fantômes. Individuellement, et collectivement. De tout ce qui nous hante sans relâche, sans répit, sans repos.

Car c’est aussi avec cela, que se construit, ou se défait, une identité, une vie, une communauté…
SHENAZ PATEL

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