— Ce pays est anbalao, je te dis !
— Qu’est-ce qui t’arrive encore ?
— J’ai reçu un coup de téléphone de la police.
— Ne me dis pas que tu étais parmi ceux qui ont crié « eta gopia ! » ?
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire de gopia-là ?
— Ayo, ne dis pas ce mot-là fort comme ça. Taleur la police va te fermer !
— Pourquoi ? Je ne comprends rien du tout à ce que tu es en train de raconter.
— C’est parce que tu ne lis pas le journal, que tu n’écoutes pas les radios et que tu n’es pas sur les réseaux sociaux.
— Heureusement que tu es là pour les remplacer. Alors qu’est-ce qui est arrivé comme ça ?
— La semaine dernière, deux ministres ont été obligés de lev pake galoupe ale depuis une réunion.
— Qu’est-ce qu’ils avaient fait comme ça, ces ministres ?
— Des conseillers du village de Plaine Magnien sont venus leur demander des explications sur les inondations dans leur endroit. Le ton est monté et les ministres ont du lev pake sous protection policière. Une des personnes présentes a crié « to ale gopia ».
— Bien fait ! Tu sais combien de personnes rêvent de pouvoir dire ça à un ministre ?
— Il vaut mieux éviter. En début de semaine, une radio a fait une émission en direct à Vacoas sur les problèmes de la ville et des habitants.
— Vacoas, c’est pas la ville qu’un PPS a promis de transformer en Manhattan ?
— Ça même. Le fameux PPS et le maire de la ville étaient les invités de l’émission qui se déroulait en direct avec un public.
— Je parie que le public a profité de l’occasion pour ris zot lakord de ces politiciens-là.
— Au départ, ça avait bien commencé, puis ça a dérapé quand le PPS et le maire ont refusé de répondre aux questions pour faire des discours. Ensuite, le PPS a essayé de contrôler l’émission.
— Ah bon ?
— Oui, avant d’être PPS il était animateur de radio et avait l’habitude de dire « koz koze ki bizin koze », mais quand il a voulu koz enn lot koze, le public n’a pas apprécié.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Le public a commencé à huer les politiciens, tout le monde s’est mis à crier, ça a été une belle pagaille.
— Tout ça en direct à la radio ?
— Et également sur les réseaux sociaux puisqu’il y a des gens dans le public qui ont filmé et posté l’émission. Il y a eu une telle pagaille que la police a dû intervenir.
— Comme dans la réunion des ministres ?
— Oui toi, d’autant qu’à un moment le maire a voulu quitter le plateau parce qu’il avait entendu quelqu’un le traiter de gopia.
— C’est décidément un mot à la mode ces jours-ci pour les politiciens du gouvernement.
— Et pour la police aussi.
— Comment ça pour la police ?
— Dis-toi que la police est allée arrêter les quatre conseillers de villages du sud qui voulaient interpeller les deux ministres.
— Seulement parce que quelqu’un avait dit « eta gopia ! » ?
— On dirait. Et puis à Vacoas, la police a arrêté une personne qui aurait traité le maire de gopia pendant le programme radio.
— Tu es sérieuse ? La police a arrêté des personnes qui ont traité des politiciens de gopia ?
— Mais puisque je te le dis. Les quatre conseillers de Plaine Magnien ont passé la nuit en prison avant d’être traduits en cour.
— Assez donc ! Et qu’est-ce qui s’est passé pour la personne de Vacoas ?
— Elle a été elle aussi arrêtée avant de comparaître en cour.
— Toutes ces personnes ont été arrêtées parce qu’elles auraient utilisé le mot gopia pour des politiciens ?
— D’après ce que j’ai compris, elles sont accusées d’outrage contre des personnes publiques.
— Traiter un politicien de gopia est un outrage maintenant ?! Maurice est devenue pareille que la Russie alors ?
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Tu ne sais pas qu’en Russie si tu critiques l’armée tu peux être condamnée à la prison. Ici, si tu dis qu’un ministre, un député ou un maire est un gopia, la police vient t’arrêter. On est pareil que la Russie je te dis. C’est de la dictature.
— C’est ce que les partisans des conseillers ont crié devant la cour.
— La police ne les a pas arrêtés ?
— Non.
— Sans doute parce qu’ils ont crié « dictature » et pas « gopia » !
— Ne crie pas fort comme ça. Taler un de tes voisins va faire une déclaration contre toi à la police. D’ailleurs, tu ne m’as pas dit pourquoi la police t’a téléphoné.
— Pour me dire qu’il fallait que je me présente en cour pour une contravention qui date de plusieurs années.
— Pour aller en cour la police ne doit pas t’envoyer une convocation par la poste ?
— Le policier m’a dit que la section qui s’occupe des contraventions en cour est mari en retard à cause du Covid. C’est pourquoi on a téléphoné pour me convoquer.
— Mais pourquoi on ne t’a pas envoyé une convocation par la poste ?
— J’ai posé la question au policier. Il m’a dit que ça risque de ne pas arriver à temps.
— Les convocations pour aller en cour se font maintenant par téléphone ? ! On arrête des gens qui traitent les politiciens de gopia. ! Tu as raison sur un point.
— Sur quel point ?
— Maurice est de plus en plus anbalao.